Mélange de pratiques magiques, de sorcellerie et d’éléments empruntés à divers rituels venus d’Afrique noire, le vaudou garde toute son actualité à Haïti et dans certaines communautés afroaméricaines. Carmen Bernand nous explique comment les Haïtiens déjouent les pièges tendus par les loa, les esprits surnaturels, ou se concilient les divinités vaudou et lève un coin du voile sur les activités ambiguës de leurs prêtres-sorciers.
L’histoire particulière de l’île de Saint-Domingue et de sa partie occidentale, Haïti, rend compte des spécificités du vaudou. Tout d’abord parce qu’à Haïti, le poids démographique des Noirs fut considérable avant l’indépendance et majoritaire aujourd’hui, après le massacre ou le départ des planteurs européens. À la veille de la rébellion des esclaves, les Noirs étaient cinq cent mille, les mulâtres quarante mille et les Blancs ne dépassaient le chiffre de trente mille. En outre, après l’insurrection de 1791, les liens avec l’Afrique furent coupés et les rites religieux ne reçurent pas de nouveaux apports. En 1785, l’arrivée massive de Congos et d’Angolas introduisit dans les croyances Yorouba – en particulier Fon – des éléments bantous. Enfin, Rome rompit les relations avec Haïti en 1804, date de la proclamation de l’indépendance, et ne les rétablit qu’en 1860. C’est dire que l’influence chrétienne resta minime.
Après la Révolution, en 1800, Toussaint-Louverture prit des mesures contre le vaudou. L’empereur Dessalines fit fusiller plusieurs de ses adeptes et un peu plus tard, sous le gouvernement Boyer, une répression très dure s’abattit sur la paysannerie, considérée comme superstitieuse et arriérée. Le Code pénal punit sévèrement les pratiques magiques et l’utilisation des zombis, ces morts vivants travaillant comme des esclaves pour le compte d’un sorcier ou d’un homme riche. Sous l’occupation américaine (1915-1934), l’obsession d’éradiquer le vaudou s’intensifia. Malgré les efforts des élites modernisantes, le vaudou ne fut jamais abandonné et le culte, transporté par les immigrés haïtiens aussi bien en France qu’aux États-Unis, s’ouvre à de nouveaux apports.
Le vaudou est une religion avec ses prêtres, les houngan, et ses prêtresses, les mambo, ses sanctuaires ou houmfo, ses autels et son panthéon de divinités. Ces êtres surnaturels sont appelés génériquement loa, mais il y a aussi d’autres entités comme les Jumeaux ou les Gardiens de la mort. Un objet étrange, pour sa forme ou en raison des circonstances de son obtention, peut devenir un talisman et se transformer en loa. C’est le cas des fragments de météorites ou des haches néolithiques des Indiens Arawak, anciens habitants de l’île, « pierres de foudre » qui peuvent se déplacer, siffler ou parler et qui sont associées au dieu guerrier Ogoun.
Les loa les plus importants sont censés habiter une cité mythique en Guinée, mais ils hantent également les arbres et les rivières, où les prêtres leur rendent visite et en reviennent pourvus de nouveaux pouvoirs. Deux entités appartiennent spécifiquement au monde aquatique : la Sirène et la Baleine, qui sont toujours ensemble. Les loa fréquentent également les arbres qui entourent le temple : palmiers, bougainvilliers, manguiers, considérés comme des « reposoirs » des esprits. C’est pourquoi on allume tout autour des cierges et on pend aux branches des offrandes.
Damballah-wédo est le dieu serpent. Accompagné de sa femme, ils sont prêts à plonger dans un récipient ; selon les représentations, ils peuvent aussi prendre la forme d’un double arc-en-ciel, sorte de serpent céleste. Danballah est le maître de l’argent ; il aide à la découverte des trésors et sa couleur est le blanc, comme le métal qui lui est associé. Il est aussi représenté sous les traits de saint Patrick. Au Dahomey, Ogoun est le forgeron du monde mythique. À Haïti, Ogoun-la ferraillé est surtout un guerrier, revêtu de rouge, couleur de ses adeptes. Avec son épée et monté sur un cheval blanc, Ogoun rejoint saint Jacques, le Santiago exterminateur. Enfin la déesse Ezili incarne la beauté, la coquetterie et la sensualité. C’est une mulâtresse qui repousse ses prétendants à la peau noire. Les génies de la mort, les Guédés, ont aussi une grande importance. Leur couleur est le noir, ils aiment les lunettes de soleil et en portent parfois plusieurs paires. Ils sont personnifiés : Baron-Samedi, Baron-la-Croix, Baron-cimetière, Mama Brigitte…
La cérémonie de la descente des dieux s’accompagne de divers rites : les drapeaux brodés et portés par deux femmes annoncent leur arrivée ; des formules incantatoires sont prononcées par les prêtres, des rythmes musicaux retentissent. Les sacrifices d’animaux sont nécessaires pour faire manger les dieux. D’ordinaire on choisit des poulets mais on peut sacrifier des boucs et même des taureaux. Les victimes sont d’abord lavées et parfumées ; on les « habille » avec des foulards ou des ornements divers. La mise à mort est précédé d’une mutilation : on châtre le bouc, on brise les pattes des poulets contre un poteau, on peut même leur arracher la tête par torsion mais d’ordinaire on les égorge. Le sang doit couler sur la tête des initiés.
Dans une clinique psychiatrique de Port-au-Prince, le docteur Lamarque Douyon a essayé de rationaliser le phénomène de la « zombification ». En fait, la mort apparente du zombi serait provoquée par l’ingestion d’un poison composé d’herbes et de produits d’origine animale, qui réduit le métabolisme au point que ses fonctions vitales semblent avoir cessé. Tenue pour morte, la personne est enterrée et exhumée le soir même par un sorcier qui lui administre un contre-poison. L’individu reste plongé dans un état catatonique permanent, dû à la très faible oxygénation de son cerveau. Un régime alimentaire approprié, d’où le sel est banni, ainsi que l’administration d’autres substances, maintiendrait le zombi dans une sorte d’hébétude.
Les sociétés secrètes Bizango et Makanda inspirent également une forte crainte aux Haïtiens. Ses adeptes ont la réputation de manger des enfants et de transformer les humains en zombis. Les aînés prennent le titre d’« empereurs » ou d’« impératrices » ; les membres de Bizango sont censés se métamorphoser en animaux. À l’heure actuelle, ces sociétés s’efforcent de renforcer leur communauté d’appartenance et de se protéger contre les critiques des média.