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La Colombie
Au cœur de l'Amérique hispanique

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Cest dans la cordillère des Andes, aux confins de la jungle amazonienne, à égale distance des Caraïbes et de locéan Pacifique, qu'est né le mythe de lEldorado. Des groupes de conquistadores sillonnent lenfer vert sans jamais le trouver, mais ils s'imposent aux populations indigènes et établissent, au nom de l'Espagne, un ordre nouveau appelé à durer pendant trois siècles. La fureur de la conquête apaisée, la Nouvelle Grenade accouche dune société originale qui voit coexister Amérindiens et Espagnols, mais, au début du XIXe siècle, Simon Bolivar lève l’étendard de la révolte contre la métropole. Une fois les derniers liens avec Madrid rompus, tout reste à faire. Le jeune Etat colombien est bientôt pris en otage entre factions libérales et factions conservatrices, antagonismes qui dégénèrent en guerre civile. Aujourdhui, la Colombie cherche ses marques. Guérilla et trafic de drogue sont les deux fléaux les plus connus. Pourtant, la Colombie jouit dun niveau de développement supérieur à ceux du Brésil et du Pérou, et son agriculture compte parmi les plus florissantes du continent.

De la cordillère aux océans

Avec une superficie équivalente à deux fois la France, 1 141 748 kilomètres carrés, la Colombie est, à l’échelle du Nouveau Monde, un Etat de dimension modeste. Avec 30 habitants au kilomètre carré, la densité de la population est faible.A lextrémité nord-ouest de lAmérique du Sud, la Colombie souvre à la fois sur locéan Atlantique (mer des Caraïbes) et sur le Pacifique. Deux grands ensembles partagent lespace colombien : à louest la cordillère des Andes qui abrite l’écrasante majorité de la population ; à lest, les bassins de lOrénoque et de lAmazonie dont le climat insalubre empêche toute installation humaine. En réalité, la « Colombie utile » se limite au premier ensemble. A limage dune main humaine, les chaînes de montagnes dessinent des doigts qui semblent agripper de leurs ongles les bordures des océans. Les trois cordillères et les deux vallées qui en constituent lossature y ont déterminé les implantations humaines. Au cœur de cette main, la capitale Bogota culmine à 2 600 mètres daltitude. A cause de la guerre civile et de lexode rural, la population a explosé et frôle les 6 millions dhabitants. Sa grande rivale, Medellin la besogneuse, se targue de produire la moitié de la richesse du pays. Sur les pentes triomphes la culture du café. A la fois bénédiction et malédiction, son exploitation fait vivre de manière directe ou indirecte 30 millions de Colombiens. Mais il est tributaire du climat et des cours mondiaux. Un incident climatique ou lirruption de nouveaux concurrents font que les prix peuvent brutalement seffondrer. A cela sajoute la déforestation qui, une conséquence de la monoculture intensive, bouleverse tout l’écosystème. La couche superficielle et utile du sol disparaît, alors que le nombre des bouches à nourrir saccroît, au point qu'il faut maintenant importer à grands frais des produits alimentaires dAmérique du Nord. A ceux qui suggèrent dessayer dautres cultures, le paysan, accroché à son caféier, rétorque « quil vaut mieux tenir un oiseau quen voir cent qui volent ».Puis la cordillère saffaisse et se dilue dans une vaste étendue herbeuse, la Cordoba, où ruminent dimmenses troupeaux qui forment le meilleur cheptel du pays. Plus loin, vers la mer, se découpe la plaine du rio Magdalena. Les champs de coton y agitent leurs tiges blanches et la canne à sucre découpe le paysage de ses rangées géométriques.Gigantesque et plurielle, la Colombie offre un visage sans cesse renouvelé. Lhomme y demeure prisonnier dune sensation dangoisse et danéantissement qu'inspire limmensité du cadre naturel.Colossal rideau de roches, forêt sans fin, fleuve bouillonnant, mer jusqu’à linfini. Cest encore pire, écrit Jacques Aprile-Gniset, « quand les éléments naturels, minéraux, liquides ou végétaux se déchaînent autour de lhomme. Un déluge deau tombe brusquement du ciel déchiré, submerge tout, une fumée noire sort dun pic qui bientôt crache la pierre et le feu… Lhomme andin nest pas proportionné à sa géographie. Il subit sa nature comme une malédiction qui le domine et dont il se sent le jouet vulnérable. Ecrasé par son paysage aux horizons clos, il se sent enfermé, isolé du monde. Il nadmire jamais sa terre, la craint toujours. »

Les Colombiens : Criollos, Ciudadanos, Macho

Désabusé, le poète Guillermo Valencia, murmure un jour à la vue des statues équestres des premiers conquistadores qui peuplent les bourgades de son pays : « Nous descendons dun assassin espagnol et dune prostituée indienne ». Si lon se fie aux statistiques plutôt qu'à ce propos un peu trop réducteur, la population colombienne se répartit entre 2,2% dIndiens, 6% de Noirs, 47,8% de métis, 24% de mulâtres et 20% de Blancs. Ces chiffres sont à prendre avec prudence dans la mesure où chacun se classe en fonction de son désir dappartenir à tel ou tel groupe. La clarté de la peau dessine une véritable hiérarchie sociale. Loin d’être un objet de fierté, une ascendance indienne trop prononcée peut-être considérée comme un handicap. A loccasion dune visite officielle en 1964, le général de Gaulle commit sans s'en rendre compte une maladresse. Visiblement peu informé des subtilités sociologiques du pays daccueil, il s’écria : « Enfin me voici parmi le grand peuple indien de la cordillère des Andes ! ». A son corps défendant, le chef dEtat français venait dinsulter deux Colombiens sur trois. Ainsi remarque sarcastiquement Jacques Aprile-Gniset « Lindien est celui que vous jugez plus indien que vous, celui qui vous rassure. Jai souvent vu des montagnes de talc dans les Prisunic, et aussi des faces livides et enfarinées dans les rues… je navais pas lidée de relier ces deux constatations. Des amis colombiens, un peu gênés, me confirment que nombre dentre eux tentent par le talc deffacer "la honte". Néanmoins, celui-là, rencontrant un ami au coin de la 19, plus blanc que lui, se venge en montrant quil nest pas dupe. Avec un grand sourire hypocrite, il lui lance en lui malaxant le dos: Holà ! comment ça va, Chino ! ». Les descendants desclaves noirs appartiennent à une autre catégorie de la population. Les Indiens ne supportent pas le travail forcé aux champs ou dans les mines. Dès le début du XVI siècle, les premières cargaisons humaines en provenance dAfrique débarquent à Carthagène. Au fil des siècles, de petites colonies desclaves en fuite se constituent dans les profondeurs de la jungle, les palenques. Ces trois influences indienne, africaine ou espagnole se coulent dans un même moule. Le Colombien est un criollo, un métis. Pendant longtemps, en Colombie, la ville nexistait pas. Il ny avait que quelques centres urbains tracés au cordeau par les premiers conquérants perdus dans l'immensité verte. Aujourdhui, trois Colombiens sur quatre sont des citadins. Les villes explosent. Au sujet de Bogota, un diction populaire affirme que cest « une ville qui progresse au détriment du reste du pays ».Fuyant les affres de la guerre civile, attirés par la lumière de la ville, des millions de paysans sentassent dans des bidonvilles. Les infrastructures (eau, électricité) ne suivent pas et limprovisation est la règle. Les nouveaux arrivants nont rien oublié de leurs origines modestes et reconstituent une contre-société avec ses codes et ses règles propres. Dans cet univers âpre, la virilité est une question de survie autant que dhonneur. Le macho, celui qui sait jouer du couteau, de la machette comme du fusil dassaut, jouit de lestime publique. Croyances et superstitions accompagnent cette dévotion effrénée au coq de village. Ainsi, les testicules de taureau grillés sont un mets recherché…Le diable côtoie souvent lange. Et le macho, peut-être simultanément assidu aux maisons closes et confit en dévotion à lendroit de la Sainte-Vierge. Limage de la femme oscille entre la prostituée et la sainte. Dès leur plus jeune âge, les filles sont élevées en prévision du jour fatidique où elles passeront devant lautel. Les Colombiens ont le culte de la famille nombreuse, du clan, de la lignée. Plus quun impératif religieux, il sagit dune nécessité vitale. Un manuel de classe de cinquième des années 60 résume en quelques phrases ce natalisme forcené : « Mon travail est pour vivre, dit le terrassier, et aussi pour payer les intérêts que je dois et massurer un capital dans lavenir »-« Comment cela ? », demande lenfant. Louvrier le conduit à sa maison : "Voici mon père et ma mère qui ont souffert et travaillé pour moi, pour m’élever. Je paie maintenant les intérêts de ce quils ont fait pour moi ». Puis il montre les six enfants et la mère: « Ce sont mes enfants, en leur donnant la nourriture jassure mon capital qui me donnera un intérêt quand je serai vieux et quils devront me nourrir ». Dans un pays où le chien na pas remplacé lenfant, ou la sécurité sociale comme la retraite sont embryonnaires, ou la théorie du gender na pas encore valeur didéologie dEtat, la famille nombreuse reste le meilleur obstacle à la misère. LEglise veille à cet état de fait. Jusquen 1990, elle a joui dimmenses avantages. La religion catholique est selon larticle premier « l’élément essentiel de lordre social ». LEtat sengage à entretenir ses ministres qui exercent leur autorité sans que la puissance publique puisse intervenir, précise larticle deux. Les questions financières et scolaires ne sont pas oubliées puisque lEglise et exonérée dimpôts et quelle dispose dun droit de regard sur les programmes scolaires. Le tableau de la société colombienne serait incomplet sans un rapide aperçu de la question posée par le trafic de drogue. Au café sajoutent désormais la marijuana et la coca comme principales sources dexportation. Selon des statistiques quasi-officielles elles fournissent à elles seules plus de rentrés de devises que le café.

La Colombie avant la conquête (20 000 av. J.-C. à 1492 ap. J.-C.)

L’époque davant la conquête est une page blanche de lhistoire colombienne. Les sources sont rares et les données lacunaires. A la différence du Mexique ou du Pérou, il ny a pas de civilisation grandiose et peu de vestiges monumentaux. Les tribus indiennes forment des groupes peu nombreux et isolés, sans contact les uns avec les autres. On évalue leurs effectifs, à la veille de la conquête, entre 500 000 et 1 500 000 d'individus. Pas de ville ni de lieux de culte spécifiques. On peut néanmoins distinguer quelques groupes à lorganisation plus avancée. Les Quimbayas vivent du rio Cauca au Magdalena. Ils cultivent le maïs et tissent le coton. Leurs tombes se distinguent par leurs céramiques et leur orfèvrerie. Toutefois, et en dépit dune légende tenace, les richesses accumulées dans ces régions nont rien à voir avec celles des Incas, des Mayas ou des Aztèques. Compte tenu de l'insalubrité du climat, la vie est une lutte de chaque instant. Evitant les régions malsaines, lhomme sinstalle sur les éminences ventilées éloignées des fonds marécageux.

25 000 ans av. J.-C. : Première trace doccupation humaine en Colombie. Il s'agit de groupes de chasseurs-cueilleurs qui se sont répandus vers le sud en suivant les vallées du rio Magdalena et du rio Cauca ; deux sites de la cordillère orientale, El Abra (10 400 à 160 avant J.-C.) et Tequendama (7000 av. J.-C.) révèlent la présence de ces chasseurs qui fabriquaient un outillage lithique sur éclats.

7000 à 1250 av. J.-C. : Les sites de Manizales et de Retrepo correspondent à des groupes vivant en état de semi-nomadisme à proximité du littoral. On a découvert dans un amas de coquilles de Puerto Hormiga, sur la côte caraïbe, des fragments de poteries remontant à 3800-3500 av. J.-C. Une céramique plus évoluée sera découverte à Bucarelia, datée de 1550 av. J.-C.On voit apparaître vers 1200 avant J.-C. les premiers villages agricoles permanents. Cette agriculture repose sur la production de manioc et sur celle du maïs. Le site de Malambo (-1120), sur le bas Magdalena, rend bien compte de ce passage d'une économie de prédation à une économie de production. La céramique s'enrichit désormais de figures anthropomorphes ou zoomorphes incisées.

Ier millénaire avant J-C : Développement des cultures dites « subandines » caractérisées par des chefferies belliqueuses gouvernées par un chef semi-divinisé et organisées en classes sociales. La guerre occupe une place importante pour ces groupes humains. C'est durant cette période qu'émerge la fascinante culture de San Agustin. C'est un religieux espagnol qui visite le premier le site et rend compte de ses observations en 1756. Des archéologues allemands et italiens prennent le relais au XIXe siècle avant les campagnes de fouilles décisives menées en 1936-1937 par José Perez de Barradas. Le petit village de San Agustin se dresse au cœur d'une vaste région montagneuse où les vestiges archéologiques abondent (tumulus, temples, tombes et statues gigantesques représentant des êtres humains ou des animaux). Entre 1 500 et 2 000 mètres d'altitude, le climat tempéré a favorisé l'installation humaine. L'histoire de cette culture se partage entre diverses périodes : jusqu'à 550 av. J.-C., la population vit de chasse, de pêche et de cueillettes et réalise une céramique encore très grossière ; de 550 avant J.-C. à 550 ap. J.-C., la culture du maïs devient l'activité économique principale, les populations se sédentarisent et l'on voit apparaître la poterie peinte ; de 550 à 1180, les surplus de production agricole permettent l'apparition d'un artisanat spécialisé qui réalise des sculptures monumentales, des temples, des pièces de céramique plus raffinées et des objets d'orfèvrerie ; de 1180 à 1500, la culture de San Agustin se prolonge et l'inspiration réaliste s'affirme dans les décors, les villages étaient installés sur des plates-formes aménagées au sommet des collines et les huttes circulaires étaient réunies autour de la statue monolithique de l'ancêtre du clan local. Le village était dirigé par un cacique qui s'appuyait sur la caste des prêtres et sur celle des guerriers. La société vivait du travail des agriculteurs qui maîtrisaient l'irrigation et le drainage et savaient aménager des cultures en terrasses. Une trentaine de sites ont été découverts dans l'aire de diffusion de la culture de San Agustin, qui couvre une superficie d'environ 500 kilomètres carrés. Les plus importants sont Las Mesitas, Alto de Lavapatas, Alto de Lavaderos Alto de los Idolos et Quinchana. Il s'agit de centres cérémoniels où voisinent des sépultures, des temples, des autels et des statues mégalithiques.La statuaire de San Agustin est l'expression artistique la plus étudiée de cette culture : on a dénombré plus de trois cents statues monolithiques dont la hauteur varie de 0,73 mètres à 4,25 mètres, et qui représentent des êtres humains (guerriers, prêtres, chamans), des animaux (oiseaux félins, serpents) ou des personnages mi-hommes mi-félins.200 et 1000 ap. J.-C. : Culture Calima.sur le versant pacifique de la Cordillère occidentale. Le site le plus ancien (Canaguyero) remonte à 250 avant J.-C., mais c'est entre 1100 et 1250 ap. J.-C. qu'elle atteint son apogée. Cette culture a excellé dans les domaines de la céramique et de l'orfèvrerie.500 après J.C. : Apparition de la métallurgie.610 à 850 : Culture des hypogées de Tierradientro caractérisée par des tombes creusées directement dans la roche. Les traits de cette culture montrent qu'elle était proche de celle de San Agustin.On désigne sous le nom de « Qimbaya » (celui d'un groupe d'indigènes qui occupaient le bassin moyen du Cauca au moment de la conquête) une céramique particulière et un style d'orfèvrerie remarquable. 700 et 1200 : Culture Narino entre la Colombie et lEquateur. Culture de Tumaco, proche de celle, équatorienne, de La Tolita. A la veille de l'irruption des conquistadors, le plateau où s'élèvera Bogota est occupé par les Muiscas ou Chibchas qui disposent d'une économie prospère et font le commerce du sel et des émeraudes. Ils sont riches en or et c'est sur leur territoire que les conquistadors chercheront la trace d'El Dorado« le seigneur doré », vague écho de la tradition qui rapportait qu'un chef indien plongeait, couvert de poudre d'or, dans le lac de Guatavita. Ce n'est que durant l'entre-deux-guerres que les archéologues colombiens purent mettre en lumière ce qu'avait été la culture villageoise des Taironas qui, installée dans Sierra Nevada de Santa Marta, a connu son apogée à la veille de la conquête. 

1492 : Découverte de lAmérique par Christophe Colomb.

La découverte et la conquête (1494-1560)

Christophe Colomb na probablement jamais foulé le pays qui porte son nom. Autre paradoxe, la conquête de la Colombie savère une entreprise longue et difficile qui s’échelonne sur plus dun siècle. Tout concourt à entraver lentreprise des conquistadores. Le climat tropical, la forêt sans fin, le relief escarpé et labsence de voie de pénétration naturelle. Mais les conquistadores ont pour eux laudace et lesprit dentreprise. Chaque hidalgo arme son navire, recrute ses hommes darmes, appâtés par le goût de laventure et le mirage de lEldorado. Selon la rumeur, un roi indien surnommé El Dorado« le Seigneur doré », se baigne nu, couvert de poudre dor, dans un lac. Parvenu au centre du lac, il précipite dans les entrailles du lac de lor et des pierres précieuses. On n'a jamais retrouvé la trace du trésor, mais le musée de lOr de Bogota conserve un modèle miniature en or de la barque cérémonielle, ce qui tend à donner un ancrage cultuel à la légende. Madrid concède des droits de conquête en échange du versement d'une redevance, le quinto real, le cinquième des richesses découvertes. Cinq colonnes sillonnent bientôt la Colombie, écrasant la résistance autochtone. Une concurrence impitoyable anime entre eux les chefs espagnols. La plupart finissent par succomber, victimes de leur propre démesure. De la Cosa et Solis tombent, sous des flèches indiennes. Ces premiers conquérants ne sont quune poignée. Chaque expédition ne compte quune centaine dhommes. Les points dappui restent des mois, des années sans nouvelles de la métropole. Les chefs sont dextraction modeste, pour ne pas dire douteuse. Belalcazar est un condamné de droit commun pour vol de bétail. En revanche, dautres, plus jeunes, ont fréquenté les bancs de luniversité à linstar de Quesada, âgé de 27 ans. Une fois les Indiens soumis, les colons appliquent le système de lencomienda. Comme lexplique Jean-Pierre Minaudier, « les colons se répartirent les communautés indigènes qui leur étaient confiées ; ils devaient assurer leur évangélisation. Les Indiens, en échange, devaient un tribut payé en nature (de la nourriture, et aussi des pièces de coton qui firent très vite lobjet dun commerce à grande échelle) ou en service (transport de charges à dos dhomme) ».

1494 : Traité de Tordesillas. Le pape Alexandre VI confie à la couronne dEspagne toutes les terres situées à louest du méridien du cap Vert.

1499 : LEspagnol Alonso de Ojeda foule le sol colombien au cap de la Vela. Il est accompagné du pilote italien Amerigo Vespucci. A son retour, il publie un récit de voyage dans lequel il affirme que les terres découvertes et qu'il nomme « lAmérique » est un continent à part entière, distinct des Indes que croit avoir abordées Colomb.

1509-1510 : Les premiers conquistadores fondent les villes de San Sebastien dUruba et Santa Maria, toutes deux sur les rives du golfe dAruba.

1519 : Pedro Arias Davila atteint, six ans après Balboa, la « Grande Mer du Sud » que Magellan baptisera bientôt l'océan Pacifique.

1524-1526 : Deux gouvernements sont créés. A l’ouest du rio Magdalena, le bénéficiaire nhonore jamais sa charge. A lest, entre la Magdalena et le cap de la Vela, Rodrigo de Bastidas jette les premières pierres de la ville de Santa Marta.

1533 : Pedro de Heredia fonde la ville de Carthagène à louest de lembouchure du Magdalena. Lendroit est le point de départ de toutes les expéditions en direction du Pérou. Par ailleurs, la région est riche en tombes de caciques. Elle attire tous les aventuriers en quête dor.

1535-1538 : Le jeune Gonzalo Jimenez de Quesada prend, dans des circonstances très difficiles, la direction de la colonie de la Santa Marta. Afin de rompre son isolement, il organise une expédition vers lintérieur des terres. Il se heurte en route aux Indiens Chibchas quil subjugue sans difficultés. Sur lemplacement d'une ancienne ville indienne, il fonde Santa Fé de Bogota.

1536-1537 : Les villes de Cali et de Popayan sont fondées par Sebastian de Belalcazar. Au même moment, l’Allemand Nikolaus Federmann venant du bassin de lOrénoque parvient à son tour sur le plateau de Bogota.

1540 : Les rivalités qui les opposent obligent la monarchie espagnole à départager les sphères dinfluence attribuées aux trois conquistadores : Belalcazar, Quesada, Federmann. Charles Quint, après avoir tergiversé, tranche en faveur de Quesada et de Belalcazar qui reçoivent le titre de gouverneur.

1542 : Leyes Nuevas (« nouvelles lois »qui interdisent le travail forcé dans les mines pour les Indiens. Elle nest pas respectée.

1549 : Décentralisation de ladministration qui dépendait jusqualors de Saint-Domingue. Création de la Real audiencia de Santa Fé de Bogota. La nouvelle circonscription administrative, appelée également Nouvelle-Grenade, simpose rapidement.

1564 : Le pape Pie IV crée larchevêché de Bogota.

La Nouvelle-Grenade : la période coloniale (1564-1770)

La première étape de la conquête sachève. Celle-ci est en réalité bien incomplète. Quelques raids éclairs à lintérieur des terres sont appuyés par un chapelet de garnisons abritées dans des fortins rudimentaires. La colonisation débute par la transformation du soldat en paysan. Les soldats vivent encore sous des cabanes de branchages. Ainsi, Bogota a pour trame originelle une dizaine de cahutes entourant une modeste chapelle où laumônier militaire célèbre tous les matins loffice. Mais bientôt, le génie latin reprend ses droits. DEspagne arrivent des ingénieurs qui transforment les premiers camps en véritables villes. Du néant surgit un carré de 100 mètres de côté qui constitue la plaza mayor. A son centre convergent huit avenues qui dessinent le plan orthogonal de la future cité qui se développe en manzanas, carrés de 80 mètres de côté. Chaque fois que la ville sagrandit, on rajoute une nouvelle manzana qui prolonge à linfini le quadrillage existant. La Nouvelle-Grenade mue rapidement. Trois facteurs bougent les lignes de la nouvelle société : la dilution progressive des autochtones par le métissage, le choc microbien et la guerre ; lexploitation des mines dor grâce à larrivée desclaves dAfrique et les difficultés de communication qui favorisent l’émergence de particularismes locaux. LEspagnol, remarque Jacques Aprile-Gniset a « pris femme. Au viol brutal du début se substitue le concubinage, puis le mariage entre le soldat et sa servante indienne. Il remarque la polygamie paisible de lIndien et, bientôt, malgré linterdiction du curé, suit son exemple. Mais soldat ou fonctionnaire, dès quil a pris femme, lEspagnol du Sud la cloître dans une maison entourant un patio, semblable à celle quil connut en Andalousie. Ainsi se dégagent, des apports indiens et arabes, des éléments qui vont modeler la personnalité dun pays et de ses habitants ». Bogota abrite les lieux de décisions. La ville est entourée dun vaste espace agricole où sactivent esclaves et métis. Tabac et café sont exportés vers lAncien Monde. La côte caraïbe jouit du dynamisme des échanges avec la métropole tandis que le versant pacifique bénéficie de la présence des mines dor. Toutefois, la Nouvelle-Grenade reste très en retrait au sein de lempire colonial espagnol. Elle ne compte que 800 000 habitants en 1778. Rien à voir avec le Mexique, ni même le Pérou. En outre, la situation économique est tributaire du cours des matières précieuses. Trois phases émergent : la fin du XVIe siècle se caractérise par lapogée de lor ; le XVIIe siècle est plus tendu en raison de l’épuisement des mines ; le XVIIIe siècle bénéficie de la découverte de nouveaux gisements aurifères.

1565 : Lentretien des ports et le prélèvement des impôts sont affermés aux commerçants aisés.

1580 : Alonso de Narvaez peint la Vierge de Chiquiquira, sainte patronne de la Colombie.

1590-1593 : Une série de réformes vise à mettre un terme à larbitraire des colons. Les services personnels demandés au titre des tributs sont interdits. Les Indiens sont censés recevoir une rémunération.

1595-1599 : Niveau maximum de production des mines dor du Cauca et du Magdelana.

1587 : Début du système de lasiento : des compagnies portugaises, anglaises et françaises achètent le droit dexporter des esclaves noirs. Le prix dun esclave est relativement élevé, denviron 500 piastres. L’équivalent de vingt-cinq vaches.

1598 : Insurrection armée de Zaragoza. Les esclaves se révoltent. « Même si mon maître me tue, je ne vais pas à la mine », chante le mineur dIscuandé.

1600-1630 : Réduction progressive des Indiens Pijados. Abrités au cœur de la cordillère centrale, ils attaquent de manière continue la route de Bogota à Popayan. A la fin, les débris de ces tribus indiennes sont repoussés vers des zones marginales comme la Sierra Nevada.

1610 : Baisse drastique de lextraction dor. Les causes de cet effondrement sont multiples. La main dœuvre indienne manque, dautant que la traite négrière reste peu développée. Les méthodes dexploitation encore primitives empêchent dexploiter à fond les gisements.

1639 : Les dominicains fondent luniversité de Bogota.

1660 : Début du cycle du Choco. Larrivée massive desclaves et le perfectionnement des méthodes dexploitation permettent daugmenter les rendements. Les mines demandent de lespace et des travaux de drainage. Leau déviée sert à trier les alluvions et à découvrir les pépites qu'ils charrient.

1697 : Guerre de la ligue dAugsbourg. Le port de Carthagène est pris dassaut par une escadre française.

1700 : Les Bourbons montent sur le trône dEspagne. La nouvelle dynastie met aussitôt en œuvre un programme de réformes qui tend vers plus de centralisation.

1701-1713 : Guerre de succession dEspagne.

1720 : Le travail forcé est aboli. Les encomiendas disparaissent progressivement.

1739 : Création dune vice-royauté de la Nouvelle-Grenade dont la capitale est Bogota.

1741 : La Royal Navy assiège Carthagène. Les Britanniques sont repoussés et perdent plusieurs dizaines de bâtiments et des milliers dhommes.

1742 : Le Venezuela, davantage tourné vers les Caraïbes, est organisé en une Capitainerie générale pratiquement autonome.

1759-1789 : Règne de Charles III. Son règne est marqué par la volonté dabaisser les privilèges et les exemptions derrière lesquelles sabritent les colonies espagnoles.

1764 : Madrid passe au système de ladministration directe. Les prix dachat et de revente des produits sont fixés par une bureaucratie centralisée à Bogota.

1767 : Expulsion des jésuites des colonies espagnoles.

1770 : Le neveu du dernier cacique de Bogota, Don Ambrosio Pisco, refuse de prendre la charge de son père. Il préfère se tourner vers le monde des affaires où il fait fortune comme commerçant.

Réforme, révolte, révolution (1770-1809)

Au XVIIIe siècle, les Bourbons héritent dun pays en crise où les ressources fiscales sont rares. Tout le paradoxe est que la couronne dEspagne est un Etat pauvre dans un pays riche. Madrid enrage de constater que son colossal empire colonial lui rapporte moins qu’à la France la seule île de Saint-Domingue et ses richesses en sucre. Les colonies sont engluées dans un immobilisme stérile auquel sajoute un clientélisme qui entrave toute innovation. Pour encourager les échanges et la concurrence, la Couronne met fin aux barrières douanières et aux monopoles commerciaux. Le deuxième versant de cette entreprise réformatrice est la mise au pas de la bureaucratie locale. La Couronne supprime la vénalité des charges et oblige les fonctionnaires daudiences à faire carrière hors de leur région dorigine afin d’éviter le conflit dintérêt. A linverse, les natifs des colonies sont envoyés exercer leur métier en métropole. Cette politique se heurte à la résistance de la bourgeoisie criolla qui, à la même époque, commence à méditer lexemple de lindépendance américaine. Une formule résume leur revendication : « Vivre et travailler au pays ». En 1794, un admirateur de la Grande Révolution, Narino, traduit la Déclaration des droits de lhomme et du citoyen que lon se passe de main en main. Dans ce grand arc atlantique qui va de lAmérique du Nord à la France en passant par la Nouvelle-Grenade, la question du consentement à limpôt est le détonateur de lexaspération populaire. Désormais, afin daccélérer les rentrées fiscales, la Couronne confie la gestion des monopoles à des fonctionnaires dEtat auxquels les producteurs sont obligés de vendre le fruit de leur labeur. A la fin du XVIIIe siècle, et en dépit de toutes les difficultés rencontrées, cette politique donne des résultats. Mais ce succès, souligne Jean- Pierre Minaudier « eut un prix politique : la Couronne dut affronter à la fin du XVIIIe siècle une crise sans précédent ».

1768-1774 : La liberté de commerce est instaurée entre la Nouvelle-Grenade et le Pérou, puis avec lensemble du continent américain.

1774 : Le vice-roi Manuel Guirior propose une réforme du système éducatif. Il sagit dintroduire davantage l’étude des matières scientifiques.

1777 : Inauguration de la première bibliothèque publique avec plus de quatre mille ouvrages.

1780 : L’évêque de Bogota Caballero y Gongora encourage la création de sociétés économiques, mais également de limprimerie.

1778-1780 : Mission du visiteur général Gutierrez de Pineres. La Couronne lui donne mission dinstaurer une fois pour toute ladministration directe des monopoles. Afin daméliorer la qualité du tabac destiné à lexportation, sa culture est limitée à quelques régions. Lapplication de ces mesures, accompagnée dune campagne darrachages, provoque lexaspération populaire. Dautant que la production comme la qualité baissent. En outre, ladministration multiplie les contrôles tatillons sur les biens et les personnes, préludes à de nouvelles ponctions fiscales.

1781 : Révolte des Comuneros. Linsurrection éclate dans la région de Santander. Les causes sont liées aux réformes brutales entreprises par Madrid, ainsi quau refus des créoles de se laisser déposséder du pouvoir politique. Sous le commandement de José Antonio Galan, les insurgés marchent sur Bogota. Mais, au dernier moment, les révoltés négocient avec larchevêque un accord temporaire. Toutefois, le vice-roi Manuel Antonio Flores refuse de reconnaître laccord signé et envoie la troupe écraser linsurrection. A rebours dune interprétation marxiste, la révolte des communes est une émotion populaire qui ne vise pas à renverser les assises de la société, mais à restaurer un ordre idéal que le temps aurait altéré. Le slogan des insurgés exprime ce loyalisme à lordre traditionnel : « Viva el Rey y muera el mal gobierno ». Ce qui caractérise la révolte des Comuneros, écrit Jean-Pierre Minaudier, cest « avant tout la solidarité de toutes les classes sociales face aux réformes. Le peuple révolté place à sa tête des membres des élites locales… Avant tout, les Créoles révoltés aspirent à une plus grande autonomie des "communautés" quils pensent représenter, comme lindique le nom quils se donnent ; ils refusent quune autorité extérieure leur impose des charges supplémentaires sans négociation ni compensation ».

1782 : Le vice-roi proclame une amnistie générale, mais fait exécuter les meneurs comme Galan.

1783 : Début de lexpédition botanique, vaste entreprise scientifique qui vise à recenser la faune et la flore de lensemble de lAmérique espagnole. Un herbier de vingt mille espèces est constitué.

1790 : Vargas publie Mémoire sur la population du royaume, où il sattaque à linégale répartition de la propriété foncière.

1791 : Publication à Bogota du premier journal, dirigé par Manuel del Socorro Rodriguez.

1793 : Inauguration du théâtre du Colisée à Bogota.

1794 : Les autorités font jeter en prison un étudiant, Narino, qui a traduit et diffusé à plusieurs dizaines dexemplaires la Déclaration des droits de lhomme et du citoyen.

1797 : Narino rédige Essai sur un nouveau plan dadministration de la vice-royauté.

1801-1802 : Lexpédition dAlexandre von Humboldt traverse la Nouvelle-Grenade.

1808 : Charles IV dEspagne abdique en faveur de son fils Ferdinand VII. Napoléon envahit lEspagne et dépose Ferdinand VII au profit de son frère Joseph.

L'indépendance (1810-1830)

Lindépendance de la Colombie n'a rien d'évident. Elle est arrachée à la pointe du sabre et de la baïonnette à une métropole décidée à maintenir son autorité. En deux décennies, la Colombie livre deux guerres dindépendance tout en faisant face à une tentative de reconquête espagnole. Les hostilités opposent républicains et royalistes, mais dressent également à lintérieur du camp américain les patriotes entre eux. La première république, la Grande Colombie, ne dure quune dizaine dannées (1819-1830). La figure de Bolivar, pourtant originaire du Venezuela, domine de très loin l’époque. A son retrait, la Grande Colombie éclate et, de ses dépouilles, naissent lEquateur, le Venezuela, et lactuelle Colombie. La chute des Bourbons est loccasion plus que la cause de l’émancipation des colonies espagnoles. Plus que la monarchie, la véritable cible des patriotes américains est le système de centralisation mis en place à partir de la fin du XVIIIe siècle. En vertu de la « constitution non écrite », les Créoles estiment être liés de manière personnelle à la Couronne et non à la nation espagnole. En 1808, cette union personnelle est rompue. Naturellement, les Américains reprennent à leur compte la souveraineté désormais vacante. Cest ainsi, souligne Jean Pierre Minaudier, que « les colonies dAmérique proclamèrent leur souveraineté vis-à-vis de lEspagne, tout en se considérant encore liées à la dynastie légitime : un peu, si lon veut, selon les mêmes principes qui président à lactuel Commonwealth, mais sans laccord de la métropole ».

20 juillet 1810 : A cette date, écrit Jacques Aprile-Gniset, la Colombie connaît en une journée son « vase de Soissons et sa prise de la Bastille ». Ce jour-là, à Bogota, un habitant ayant besoin dun vase sadresse à son voisin, le fleuriste espagnol, dont la boutique est à langle. Le vendeur injurie l’Indien qui le frappe, ce qui ameute toute la ville. Aussitôt se forme une assemblée populaire qui oblige le vice-roi à accorder le lendemain lindépendance.

27 novembre 1811 : Un congrès des Provinces-Unies siège à Tunja et adopte un « Acte fédéral » dont les idéologues sont Camillo Torres et Miguel Pombo. De tendance fédéraliste, cette constitution souhaite faire respecter le droit des différentes provinces de Nouvelle-Grenade. A cette orientation fédéraliste soppose une tendance plus centralisatrice, groupée autour d'Antonio Narino. En conséquence, les délégués de Bogota et du Chocò rejettent lActe fédéral.

9 janvier 1813 : Narino bat les troupes fédéralistes aux portes de Bogota.

30 mai 1813 : Fédéralistes et unionistes parviennent à un accord. Ils saccordent sur la lutte contre lennemi commun espagnol.

12 décembre 1814 : Simon Bolivar, rentré en Nouvelle-Grenade après l’échec de la Deuxième République, entre à Bogota dans le but de refaire ses forces. Bogota devient officiellement la capitale du pays. Mais, rapidement, dégoûté par les intrigues et les disputes, Bolivar comprend quil narrivera à rien. Pour cette raison, il sembarque pour partir en exil à la Jamaïque.

1815 : Suite à la chute de Napoléon, Ferdinand VII remonte sur le trône dEspagne et entreprend de réunir à lui les colonies révoltées. LEspagne envoie un imposant corps expéditionnaire. Le colonel Pablo Morillo, un vétéran de la guerre contre la France, est choisi pour le commander. Les forces espagnoles atteignent un effectif de 10 000 hommes.

Août-décembre 1815 : Siège de Carthagène.

26 mai 1816 : Bogota tombe aux mains des Espagnols.

1817 : Rétablissement de laudience de Santa Fé. Un régime militaire dune grande brutalité sabat sur la Colombie. Les républicains sont pourchassés et exécutés. En dehors de cette répression qui sattaque aux élites locales, les exactions des troupes espagnoles sur la population civile excitent le ressentiment des populations locales. Dans lintérieur, quelques guérillas émergent. Mais faibles, elles ne peuvent rien entreprendre sans une aide extérieure.

15 février 1819 : Congrès dAngostura. Vingt-six délégués sont présents et représentent le Venezuela et la Nouvelle-Grenade. Y est décidée la création dun grand Etat commun. Sous la houlette de Simon Bolivar revenu dexil le mouvement saffirme. Créole de Caracas, il a été élevé à la lecture des auteurs des Lumières, et toute sa jeunesse a vibré au rythme des exploits de Napoléon et de lEmpire. Pour lui, l’échec de la Première République est dabord le fruit dune mauvaise constitution, à la fois trop libérale, trop décentralisée, et sans outil militaire. Aussi écrit-il dans la Lettre de Jamaïque que « les institutions parfaitement représentatives ne sont pas adaptées à notre caractère, à nos coutumes et à nos lumières actuelles ». De même que pour lui, il nest pas possible doublier l’épineux problème de lesclavage qui dresse les noirs et les mulâtres contre leurs maîtres créoles, partisans de lindépendance.

Mai-juin-1819 : Libération de la Colombie. Larmée du libérateur passe les Andes et surprend les Espagnols.

11 juillet 1819 : Bataille de Gameza. Les deux parties sattribuent la victoire. Bolivar réussit cependant à avancer vers Tanja, porte dentrée de lAltiplano.

25 juillet 1819 : Les patriotes, grâce à une charge de lanciers bien menée et à laction décisive de la légion anglaise, parviennent à enfoncer les lignes espagnoles et à mettre en déroute larmée de Madrid.

10 août 1819 : Bolivar entre triomphalement à Bogota. Le vice-roi fuit, déguisé en Indien.

17 décembre 1819 : Le congrès dAngostura scelle lunion de la Nouvelle-Grenade et du Venezuela en une république de Colombie composée de trois départements : le Venezuela, la Nouvelle-Grenade et Quito. Néanmoins, une grande partie de ce territoire était encore sous le joug espagnol : la côte du Venezuela et, surtout, tout le Sud, puisque, pour Bolivar, la nouvelle nation devait s’étendre jusquaux limites du Pérou.

1er janvier 1820 : Les soldats qui doivent être embarqués à Cadix en direction des Amériques se révoltent et contraignent le roi Ferdinand VII à rétablir la constitution espagnole de 1812.

Mai-octobre 1820 : Bolivar convoque un congrès constituant à Cùcuta. Antonio Narino est chargé de diriger les travaux du congrès.

24 juin 1821 : Bataille de Carabobo. Bolivar écrase le maréchal Miguel de la Torre.

10 octobre 1821 : Les troupes républicaines prennent Carthagène.

7 novembre 1821 : Bolivar est élu président de la Colombie et Santander vice-président.

16 juin 1822 : Bolivar entre à Quito. Effectivement, Bolivar poursuit la lutte contre lEspagne en lançant une campagne de libération continentale au Pérou et en Bolivie. Santander exerce la réalité du pouvoir en Colombie.

Juillet 1822 : Les Etats-Unis dAmérique reconnaissent le nouvel Etat.

1824 : Tous les suspects de royalisme sont expulsés de Grande Colombie et leurs biens sont confisqués.

1824-1826 : Pendant labsence de Bolivar, des problèmes apparaissent au sein du nouvel Etat, du fait du gigantisme de son territoire, formé de régions très différentes. Les divergences idéologiques un instant disparues dans lunion sacrée contre les Espagnols rejaillissent. Les partisans de Santander prônent un Etat faible et laïc. A linverse, Bolivar défend lidée dune Grande Colombie catholique forte et centralisée aspirant à lhégémonie continentale. Le nouvel Etat se dote dune Bibliothèque nationale, dun Musée national, dune école des Mines et dune Académie littéraire. Linquisition politique (comme en Espagne) ainsi que la censure religieuse sont abolies.

4 septembre 1826 : Bolivar quitte le Pérou pour la Colombie.

2 mars 1828 : Bolivar convoque un congrès dans la ville dOcana afin de réfléchir à une nouvelle constitution plus centralisée.

27 août 1828 : Face aux résistances, Bolivar passe outre et adopte la « loi fondamentale » qui abolit la précédente constitution et assume la dictature. Cependant, les difficultés intérieures saggravent.

25 septembre 1828 : Coup dEtat avorté. Santander est exilé en Europe.

3 juin-28 février 1829 : La Grande Colombie est en guerre avec le Pérou qui lorgne sur le Sud du pays. Le conflit sachève sur un statu quo.

27 décembre 1829 : Le Venezuela fait sécession.

8 mai 1830 : Incapable de juguler la crise ouverte par la déclaration dindépendance du Venezuela et affaibli physiquement, Bolivar donne sa démission.

13 mai 1830 : LEquateur déclare également son indépendance.

Ier juillet 1830 : Antonio José de Sucre, que Bolivar considère comme son dauphin, est assassiné.

17 décembre 1830 : Bolivar s’éteint dans la Quinta de San Pedro Alejandrino, à Santa Marta. Il écrit peu avant de mourir que l’ « Amérique est ingouvernable », que « servir une révolution, cest labourer la mer », et que « la seule chose à faire en Amérique, cest d’émigrer ».

20 octobre 1831 : Ce qui reste de la Grande Colombie se regroupe sous le nom de république de la Nouvelle-Grenade.

L'improbable stabilisation (1830-1886)

Après quatre noms successifs, six constitutions, trois coups dEtats, neuf guerres civiles et des dizaines de conflits frontaliers avec ses voisins, le nouvel Etat qui naît sur les cendres de la Grande Colombie connaît une gestation douloureuse. Ainsi, souligne Jean Pierre-Minaudier, « cet ensemble de territoires disparates, rassemblés autrefois sous l’égide des mêmes autorités coloniales, ne formait absolument pas une nation, cest-à-dire une communauté consciente de son unité et désireuse de partager un destin commun. LEtat, faible, dépourvu de légitimité et de projet mobilisateur, se dissout dans la violence et lanarchie ». Les différentes constitutions savèrent en pratique inapplicables. On raconte que Victor Hugo, le phare spirituel des constituants, recevant un exemplaire de la constitution colombienne, sexclama que « ce pays devait être peuplé danges ». Cest aussi au milieu du XIXe siècle que naissent les deux grands partis qui dominent encore la vie politique colombienne : les libéraux et les conservateurs. Quelle différence y a-t-il entre un conservateur et un libéral ? Garcia Marquez nous lexplique dans Cent Ans de solitude : « Les conservateurs vont à la messe de cinq heures, les libéraux vont à l’église à sept heures. » En réalité, la ligne de fracture entre les deux partis saffirme au gré de lesprit de contradiction. Ainsi, les conservateurs deviennent les porte-drapeaux de la religion et des valeurs traditionnelles parce que les libéraux ont une inclinaison plus anticléricale. A linverse, les libéraux sont de farouches avocats de la décentralisation alors que les conservateurs ne croient quen un Etat fort. Le clientélisme domine la vie politique. A la racine se trouvent les solidarités, locales et familiales, les réseaux élaborés dans les loges maçonniques ou les confréries religieuses. Cest également à cette époque qu’émerge la figure du caudillo, grand propriétaire terrien ou chef de guerre intrépide qui sappuie sur un fief, un clan. Plus généralement, cest un homme daction épris de rêve de grandeur. Un siècle plus tard, dans son roman LHomme à cheval, Pierre Drieu la Rochelle en donne cette définition : « Il y a beaucoup daction dans lhomme de rêve et beaucoup de rêve dans lhomme daction. »

29 février 1832 : Une nouvelle constitution est adoptée. Elle établit un régime présidentiel. De retour dEurope, le général Santander est élu à la charge suprême par le Congrès.

1833 : Réélection de Santander. En dépit de son expérience dhomme dEtat et de juriste, il ne parvient pas à stabiliser le régime, en partie faute davoir su se concilier les partisans de Bolivar. Lœuvre de sa présidence se borne à labolition du monopole de leau de vie. Par ailleurs, les frontières avec le Venezuela sont fixées. Toutefois, des imprécisions demeurent. Les deux pays sont toujours en conflit au sujet du golfe de Maracaibo.

1837 : José Ignacio de Marquez est élu président de la République.

30 juin 1839-mai 1840 : Le pays est plongé dans une guerre civile. Le Congrès supprime les couvents de la région de Pasto, provoquant la révolte de la population locale. Le général Pedro Alcantara Herran écrase la rébellion. Le chef de linsurrection, José Erato, est capturé. Celui-ci accuse le général José Maria Obando, candidat du parti dopposition aux prochaines élections présidentielles, de ne pas être étranger à lassassinat de Sucre en 1830. Obando quitte Bogota et rejoint les débris de la rébellion. Il profite de la mort de Santander pour sortir de Pasto. Mais le gouvernement de Bogota anéantit les insurgés avec laide de lEquateur. Cette ingérence extérieure déclenche une contestation générale. Les dirigeants insurgés proclament lindépendance de leurs provinces et déclarent quils naccepteront de réintégrer le giron de la Nouvelle-Grenade qu’à condition quelle se transforme en fédération. Néanmoins, les rebelles ne parviennent pas à sentendre, ce qui conduit José Maria Obando à la déroute. Le président Marquez reprend la main et termine son mandat en pacifiant le pays.

1841-1845 : Présidence de Pedro Alcantara Herran.

1843 : Nouvelle Constitution qui renforce lautorité du président.

1845-1849 : Présidence de Tomas Cipriano de Mosquera.

1848-1849 : Formation des partis libéraux et conservateurs. Les tensions mises en relief par la guerre entre les bolivaristes et les santandéristes se cristallisent avec la naissance des partis libéral et conservateur. Mais la vie démocratique reste assez réduite. Le corps électoral ne dépasse pas 5 % de la population : les analphabètes, les journaliers, les domestiques sont exclus du droit de vote, les esclaves l’étaient même de la nationalité néo-grenadine. En outre, le collège en charge de l’élection du président ne compte que 1 600 grands électeurs.

1er avril 1849 : Le libéral José Hilario Lopez accède à la présidence. Il entreprend aussitôt une vaste campagne de réformes. Il abaisse les droits de douane, décentralise la fiscalité. La peine de mort pour des motifs politiques est abolie. Les jésuites sont expulsés en raison de leur trop grande influence dans l’éducation.

21 mai 1851 : Le gouvernement décide labolition de lesclavage. Cette mesure provoque une brève période daffrontement. Mais les libéraux sortent renforcés de l’épreuve.

1853 : Nouvelle constitution qui introduit une dose de fédéralisme. Le Panama devient le premier Etat fédéral.

1854 : Une courte guerre civile éclate suite au coup dEtat du général José Maria Melo. Melo sassure le soutien de Bogota. Mais sans charisme, isolé, mal organisé, il ne résiste que quelques mois face à lunion sacrée des conservateurs et des libéraux.

1857 : Création des Etats autonomes de Bolivar, Boyaca, Cauca, Cundinamarca et Magdelana.

1858 : Transformation de la république de Nouvelle-Grenade en un Etat plus décentralisé nommé Confédération grenadine. Le poste de vice-président est supprimé et le suffrage universel direct est adopté tandis que le président est élu pour quatre ans par le Congrès. Cependant, malgré ces progrès en direction du fédéralisme, les libéraux estiment que le pouvoir central garde encore trop de pouvoir et souhaitent écarter lEglise des affaires politiques.

1860-1862 : Guerre civile. Le général Tomas Cipriano de Mosquera (ancien président conservateur de Nouvelle-Grenade devenu entre-temps leader des libéraux) proclame la sécession de lEtat du Cauca, le plus vaste des Etats du pays. Il sempare de Bogota et se déclare président provisoire. Lun de ses premiers actes est de changer le nom du pays en Etats-Unis de Colombie espagnole.

4 février 1864 : Convention de Rionegro. Le pays se dote dune nouvelle constitution encore plus fédérale. La Colombie, remarque Jean-Pierre Minaudier, ne fut plus que laddition de neufs Etats confédérés souverains « qui menaient chacun leur vie propre, avec leurs constitutions, leurs lois, leur justice, leur monnaie, leurs douanes, leurs armées. Au pouvoir confédéral, il restait en théorie les relations extérieures et la conduite de la guerre : mais le président, dont le mandat avait été réduit à deux ans, navait même plus le droit de déclarer la guerre sans laccord des gouverneurs des Etats, ni dintervenir en cas de conflit armé contre le gouvernement de lun des Etats. La Constitution limitait les forces armées confédérales à mille hommes, une garde nationale inoffensive, bonne à parader aux fêtes nationales. » Instituée pour éviter le retour d'un caudillo aspirant à la dictature à l’échelle nationale, la constitution plonge la Colombie en campagne électorale permanente du fait de la brièveté des mandats. La fraude explose. Ainsi, en 1875, le futur président Rafael Nunez obtient dans lEtat de Bolivar plus de voix que l'Etat ne comptait dhommes adultes.

1er avril 1864 : Le général Mosquera cède la place de président à Manuel Murillo Toro. Il radicalise sa politique religieuse et fait voter une loi expulsant les membres du clergé ne jurant pas fidélité à la constitution.

1866 : Mosquera est réélu président de la République. Sur le plan de la politique étrangère, il tente de maintenir la neutralité du pays dans la guerre qui oppose lAmérique du Sud à lEspagne. Il ouvre les ports colombiens aux belligérants.

1867 : Un scandale éclate au sujet de lachat aux Etats-Unis dun navire de guerre. Après avoir suspendu les activités du Congrès pour un an, il est renversé par un coup dEtat radical et exilé. Ce coup dEtat entérine le début de lhégémonie politique des libéraux radicaux.

1er avril 1868 : Santos Gutierrez est élu président. Il fait face à plusieurs révoltes quil réprime sans problèmes.

1870 : Election dEustorgios Salgar à la présidence de la République. L’éducation saméliore avec la création d’écoles normales. Un traité est signé avec Washington au sujet de Panama et de la voie de chemin fer qui permet la liaison entre les océans.

1872 : Bogota devient la capitale fédérale.

1872-1874 : Mandat présidentiel de Manuel Murillo Toro.

1874-1876 : Mandat de Santiago Pérez de Manosalbas.

1876-1877 : Guerre civile. Elle éclate à cause de la frustration des conservateurs privés de postes et qui sont furieux de la politique anticléricale des libéraux. Des troubles perturbent la tenue des élections présidentielles. Le Congrès finit par élire Aquileo Parra. Les conservateurs refusent de reconnaître le résultat. Le général Largacha mate la rébellion.

1er avril 1878 : Le général Largacha, le vainqueur de la guerre, est élu à la présidence. Son mandat est compliqué car les caisses de lEtat sont vides et lautorité du pouvoir central est toujours contestée.

10 janvier 1880 : Ferdinand de Lesseps débute les travaux de percement du canal de Panama qui est encore en territoire colombien.

1er avril 1880 : Le docteur Rafael Nunez est élu à présidence. Libéral, il a effectué plusieurs voyages d’étude en Europe. Lucide, il observe que lanarchie et de trop grandes libertés aboutissent au chaos. Pour cette raison, il préconise un Etat central fort et respecté.

1er avril 1882 : Le docteur Francisco Javier Zaldua est élu président sans candidat de lopposition. Il sert en réalité dalibi à Rafael Nunez. La constitution interdit à celui-ci denchaîner deux mandats consécutifs.

1er avril 1884 : Rafael Nunez est réélu à la présidence.

Janvier 1885 : Sept Etats se révoltent. Leurs milices occupent toute une bande côtière le long du rio Magdalena. Nunez, avec la bienveillance de Washington, mène une campagne militaire qui rétablit lordre. Nunez se rapproche des conservateurs et fonde le parti national.

5 août 1886 : Le Congrès élabore une nouvelle refonte constitutionnelle. Le pays abandonne lappellation dEtats-Unis de Colombie pour relever celui de république unitaire de Colombie. Les neufs Etats souverains sont abolis et remplacés par trente-deux départements. Dorénavant, les gouverneurs et les maires sont nommés directement par le gouvernement et non plus élus. Les lois, la monnaie, la collecte de limpôt redeviennent des prérogatives régaliennes. Les armées régionales sont prohibées. Le président jouit désormais de larges pouvoirs. Il nest pas responsable de ses actes et peut, en cas de crise, proclamer l’état de siège.

La régénération et l'âge d'or du conservatisme (1886-1930)

Les institutions conçues à la fin du XIXe siècle ont charpenté toute lhistoire politique de la Colombie jusquen 1991. Elles partent dun constat d’échec. Ainsi, Nunez, en résumant lexpérience du libéralisme radical, écrivait en 1886 : « Nous avons fait de la liberté humaine un idéal stupide semblable aux idoles sanglantes des tribus barbares, source fangeuse de dispositions aveugles qui perturbent le jugement et finissent par plonger chaque citoyen dans la plus déplorable des servitudes, la dépression morale. » A cause de la décentralisation à outrance, il nexiste aucun réseau routier national, ce qui renforce le cloisonnement entre les régions. Lindustrialisation est inexistante. Cette seconde renaissance, cette régénération nationale se fait dans le sang et la douleur, tant les haines et les fossés sont profonds entre les différentes composantes de la population. Le pays qui endure trois nouvelles guerres civiles est amputé dune partie de son territoire. Pourtant, après 1905, la Colombie connaît quatre décennies de paix et de stabilité. Lhomme va défricher trois fois plus quil ne lavait fait durant les siècles précédents. En Antioquia, qui ne comptait que quarante-huit bourgs et hameaux en 1800, naîtront cinquante-et-un villages nouveaux avant 1900, dont vingt-sept dans les cinquante dernières années.

1887 : Concordat avec le Vatican qui rend à lEglise le contrôle de l’éducation et reconnaît le catholicisme comme religion de la République colombienne.

1888 : La loi dite « de Ley de los Caballos » permet dinterdire les journaux dorientation libérale.

1894-1898 : Election à la présidence de Miguel Antonio Caro.

22 janvier 1895 : Le directeur de la nouvelle police nationale colombienne, le commissaire français Jean-Marie Marcelin Gilbert, déjoue une conspiration organisée depuis l’étranger par le général libéral Avelino Rosas Cordoba qui pensait faire arrêter le président Miguel Antonio Caro.

Janvier-mars 1895 : Les libéraux sinsurgent et la révolte se répand dans toute la Colombie. Mais elle est rapidement écrasée.

1898 : Election de Sanclemente, âgé de 85 ans, à la présidence de la République.

1899-1902 : Guerre des Mille Jours. Cest la dernière et la plus meurtrière des guerres civiles du XIXe siècle. Sous la houlette des généraux Gomez Pinzon, Herrera et Uribe, les libéraux essayent de profiter de la crise qui agite le parti conservateur. En raison de son âge, Sanclemente a du mal à se faire respecter. Mais les libéraux ne parviennent pas à trouver des alliés et, surtout, savèrent incapables de faire face à larmée nationale modernisée et équipée à leuropéenne. La guerre est responsable d’énormes destructions, de leffondrement du commerce, de campagnes saccagées, de la mort de plus de cent mille personnes (3 % de la population). Le conflit sarrête par épuisement. En outre, les Etats-Unis réussissent à faire parapher un accord de paix entre les belligérants. Il est signé à bord du cuirassé Wisconsin. Les libéraux renoncent à la lutte armée et sont amnistiés.

Janvier 1903 : Le gouvernement colombien signe le traité Herran-Hay qui prévoit la concession du canal de Panama et dune bande de terre de 5 kilomètres de large en échange dun dédommagement de 10 millions de dollars. Mais le Congrès colombien refuse de le ratifier. Irrités, les Américains décident dapporter leur soutien aux autonomistes panaméens.

3 novembre 1903 : Coup de force des indépendantistes panaméens soutenus par les soldats américains. La république de Panama est proclamée. Par la suite, la Colombie sera indemnisée pour la perte du Panama, soit un total de 25 millions de dollars.

1904 : Rafael Reyes est élu à la présidence. Dans le domaine de l’économie, laction du nouveau président vise à accélérer la modernisation des transports et à protéger une industrie naissante grâce à des tarifs douaniers élevés (augmentés de 70 % en 1907).

1905 : Reyes met fin aux travaux du Congrès et convoque une assemblée dont il désigne les membres.

1906 : Un attentat raté déclenche la répression contre les milieux libéraux.

1909 : Reyes signe avec les Etats-Unis un traité qui entérine la perte du Panama et autorise les bâtiments de lUS Navy à faire escale dans les ports colombiens en cas de guerre. Laccord est rejeté par lassemblée, ce qui oblige Reyes à donner sa démission.

1910 : La coalition hétéroclite qui a déchu Reyes se rassemble au sein dun nouveau parti, le Parti républicain, le parti qui porte à la présidence le conservateur Carlos Eugenio Restrepo. La durée du mandat présidentiel est ramenée à quatre ans et les mandats successifs sont prohibés. Désormais, le chef de lEtat est élu au suffrage universel. Quelle que soit la nature du crime, la peine de mort est définitivement supprimée.

1914 : Election du conservateur José Vicente Concha qui forme un gouvernement purement conservateur.

1918 : Election du conservateur Marco Fidel Suarez.

1920 : La Colombie devient le deuxième producteur de café au monde. La United Fruit Company emploie 25 000 personnes. Néanmoins, la United Fruit demeure une compagnie étrangère détestée (elle dispose de ses propres lois qui priment sur le droit national). Elle ne sintéresse pas au développement du pays. Les dividendes ne sont pas réinvestis sur place. La firme utilise un personnel qualifié américain et exploite la main-dœuvre autochtone. L’élevage de viande ovine double et la Colombie exporte sa marchandise vers les Antilles et les Etats-Unis.

1921 : La compagnie américaine ouvre sa première raffinerie en Colombie. Une décennie plus tard, le pays exporte vingt millions de barils.

1922 : Election du conservateur Pedro Nel Ospina dans des circonstances douteuses.

1923 : Création de la banque centrale. La surintendance bancaire (institution chargée de contrôler le système financier) et le contrôle général (organisme chargé de contrôler les dépenses de lEtat).

1924 : Naissance du Parti socialiste révolutionnaire dobédience marxiste.

1925-1929 : Spéculation effrénée. Afflux massif de capitaux américains qui va de pair avec lendettement. Cette période de croissance est appelée par la suite, la « Danse des millions ».

1926 : Election de Miguel Abadia Mendez sans candidat dopposition.

1928 : Massacre des bananeraies, dans la ville de Ciénéga au nord de la Colombie, lorsquun régiment fait feu sur des grévistes de la United Fruit Company, faisant cent morts et deux cent cinquante blessés.

1929 : Après des échauffourées entre étudiants qui font un mort, le maire de Bogota doit démissionner. Le climat devient si tendu que le parti conservateur se scinde en deux.

1930 : Les libéraux présentent Enrique Olaya Herrera qui est élu président. Trois décennies de règne sans partage des conservateurs prennent fin.

L'impossible république libérale (1930-1957)

Trois épisodes scandent cette triple décennie : laccession aux affaires des libéraux et lapplication de leur programme avancé ; puis la montée fulgurante de Jorge Eliecer Gaitan. Il soutient les petits planteurs de café, encourage linstruction publique, défend lidée dun organisme proposant des habitations accessibles à tous. A la fois nationalistes et révolutionnaires ses idées mêlent bolivarisme et quête dun homme nouveau affranchi de la domination du capitalisme international. Comme il est mort fauché dans la fleur de l’âge à quelques mois dun scrutin dont il était le favori, il est devenu un personnage mythique, même si ses idées nont jamais pu être confrontées à l’épreuve du pouvoir. Enfin, une nouvelle guerre civile éclate, sempiternelle répétition de la haine séculaire entre bleus et rouges. Jacques Aprile Griset remarque que lidéologie est reléguée au second plan. « Depuis longtemps déjà un libéral nest pour un conservateur quun sale cachiporro qui lui-même méprise laffreux godo. On ne choisit dailleurs pas son étiquette car on naît dans une famille où un lointain ancêtre a déjà choisi une fois pour toutes, et pour tous ceux qui suivront. » Simultanément, linsertion du pays dans le concert mondial se poursuit. Les différences entre les régions sestompent et un authentique sentiment national émerge.

1931 : Effondrement du cours du café suite à la crise aux Etats-Unis. L’étalon-or est abandonné et le contrôle des changes instauré. Le peso est dévalué et linflation atteint jusqu’à 40 % par an.

1932-1933 : Guerre entre la Colombie et le Pérou. Le président péruvien savance en territoire colombien dans le but dannexer le trapèze amazonien au sud du pays. La marine colombienne riposte tandis que laviation péruvienne lance plusieurs raids. Les Colombiens ont recours à plusieurs centaines de mercenaires allemands. Après lassassinat du président péruvien, le conflit cesse et un traité de paix est signé qui confirme la frontière entre les deux pays.

1933 : Jorge Elicier Gaitan fonde lUNIR, lUnion nationale révolutionnaire de gauche, qui sinspire du PRI mexicain et des Chemises noires italiennesJeune boursier doctorant en droit, Gaitan a passé plusieurs années en Italie. Lexemple mussolinien la beaucoup impressionné.

1934 : Election du président Afonso Lopez Pumarejo. Issu dun milieu bourgeois de producteurs de café, il lance en sinspirant du New Deal de Roosevelt lidée dune « Révolution en marche ».

1935 : Le gouvernement réunit une commission denquête sur les conditions de vie des ouvriers de la Tropical Oil.

1936 : Double réforme agraire et constitutionnelle. LEtat reconnaît aux colons la propriété de la terre quils ont mis en culture. Toutes les corvées en nature et en travail sont supprimées. Le clergé perd son immunité fiscale. La nouvelle constitution garantit le droit de grève.

23 mars 1936 : Gaitan est nommé maire de Bogota. Il lance une ambitieuse politique d’éducation populaire qui vise à améliorer la santé et lhygiène.

1937 : Le directeur de la United Fruit est emprisonné pour infraction à la législation sociale.

1938 : Lalphabétisation progresse de 11 % en 1900 à 41 % en 1938.

1940 : Avec la guerre, le marché du café connaît un nouvel effondrement. Les exportations diminuent de 20 %.

1941 : La Colombie déclare la guerre à lAxe. Les entreprises allemandes sont nationalisées.

1942 : Réélection de Lopez Pumarejo.

1943 : Lopez Pumarejo laisse le pouvoir pendant plusieurs mois à un président intérimaire.

1945 : Instauration dun code du travail. Il limite la durée du travail, institue des congés payés.

1946 : Election du conservateur Ospina Pérez à la présidence de la République.

1947 : Gaitan, après avoir réintégré les rangs du parti libéral, lance la campagne des élections présidentielles. Tribun de la plèbe hors pair, il joue de son aspect physique imposant, de sa mâchoire proéminente. En bras de chemise, il sue, tonne et éructe. Ses discours sont simples et vigoureux. Il réserve ses attaques « les plus féroces aux oligarchies et plus encore qu’à la ploutocratie, à ce pays politique coupé du peuple, qui profitait de son pouvoir pour exploiter la sueur du pays national » remarque Jean-Pierre Minaudier. Il conclut chacune de ses harangues par son cri de ralliement : « A la charge ! »

9 mars 1948 : En début daprès-midi, Gaitan est assassiné en plein centre de Bogota alors que vient de souvrir la première conférence panaméricaine. Les mobiles du meurtre restent obscurs : mari jaloux, déséquilibré, tueur à gage engagé par les conservateurs. Car, en quelques minutes, il est lynché par la foule en fureur. Immédiatement, cest lanarchie. La masse déchaînée, écrit Jacques Aprile-Gniset « descend dans la rue et incendie joyeusement tramways, banques, ministères, églises et collèges, magasins de luxe, bref une bonne moitié du centre dune capitale comptant alors 500 000 habitants. Dans vingt villes, l’émeute populaire éclate, brutale, mais le président, fort de lappui américain, refuse de démissionner. Il arrive même à effrayer les dirigeants libéraux qui lâchent leurs troupes, convaincus quelles sont manœuvrées par les communistes. Larmée entre en scène et, deux jours plus tard, on enterre entre 3 000 et 5 000 victimes ». Cet épisode dramatique a joué un rôle essentiel dans la propagation de lidée dun peuple immature et barbare. Après les événements, on interdit symboliquement la vente de la chicha, la bière de maïs traditionnelle des Indiens et des métis.

30 avril 1948 : Fin de la Conférence panaméricaine et naissance de lOrganisation des Etats américains (OEA).

Mai 1949 : Les ministres libéraux quittent le gouvernement.

Novembre 1949 : Le président Ospina Pérez met un terme aux activités du Congrès où les libéraux demeurent majoritaires. Ces derniers décident de boycotter l’élection présidentielle remportée par le conservateur Laureano Gomez. Surnommé le « Monstre », il incarne le conservatisme radical. Admirateur de lexpérience de Salazar, il rêve dinstaurer un ordre nouveau à la fois autoritaire et corporatiste. Immédiatement, il désigne les libéraux à la vindicte : « En Colombie, on parle encore du Parti libéral pour désigner une masse amorphe, informe et contradictoire que lon peut seulement comparer à une création imaginaire d’époques révolues : le basilic. Notre basilic se meut grâce à des pieds de confusion et de stupidité, sur des jambes de brutalité et de violence qui traînent son énorme ventre oligarchique ; avec une poitrine assoiffée de vengeance, des bras francs-maçons, et une petite, toute petite tête communiste ; mais cest la tête. »

1951 : Dans les confins du pays, des insurgés proclament des républiques libérales.

Juin 1951 : Fidèle alliée de Washington, la Colombie est le seul pays dAmérique du Sud à envoyer un bataillon sous mandat des Nations unies, participer aux opérations en Corée.

1952 : Les insurgés tiennent une conférence nationale dans le Boyaca.

1953 : Nomination dun « commandant en chef des guérillas » en la personne de Guadalupe Salcedo. Leur nombre s’élève à 10 000. Ils éditent deux manifestes, où ils exigent une réforme agraire drastique.

Juin 1953 : Coup dEtat de larmée qui porte au pouvoir le général Rojas Pinilla. Il promulgue aussitôt une amnistie générale. Mais celui-ci se met à rêver dun destin à la Peron. Il cherche à mettre sur pied une troisième voie politique à équidistance des libéraux et des conservateurs : le Mouvement daction nationale soutenu par le double pilier peuple-armée. Pinailla souhaite se présenter aux présidentielles de 1958.

1954 : Des manifestations étudiantes sont réprimées.

Juillet 1956 : Pacte de Benidorm. Les libéraux et les conservateurs réunis en Espagne donnent naissance au Front national. Ils unissent leur force contre Pinilla. Les deux partis sengagent pendant seize ans à se partager le pouvoir à tous les niveaux, et à se partager les postes de ladministration publique. Aux quatre prochaines élections présidentielles, les deux partis présentent un même candidat. Le premier tour revient aux libéraux. Ainsi, écrit Jean-Pierre Minaudier, « les conservateurs et les libéraux, enfin conscients que ce qui les séparait était infiniment moins important que ce qui les rapprochait, ne formaient plus pour seize ans quun étrange parti unique du genre siamois, pourvu dune seule tête, de deux visages distincts et de deux corps étroitement mêlés lun à lautre ».

Mai 1957 : Une grève générale éclate, soutenue aussi bien par lEglise que par les syndicats. Pinailla est poussé à la démission.

Décembre 1957 : Le pacte de Benidorm est soumis à un plébiscite.

Mai 1958 : Le premier président libéral du Front national, Alberto Liera Camargo, est élu.

Entre Marx et Pablo Escobar (1958-2002)

A la différence dautres pays dAmérique du Sud, la Colombie a beaucoup moins souffert des soubresauts de l’économie planétaire. Elle na enduré ni chômage de masse, ni hyperflation, ni récession. Lendettement est très supportable. Cest lunique pays dAmérique latine qui na jamais eu besoin de négocier l’étalement de ses créances avec le FMI. En revanche, loin de trouver un point d’équilibre, le système politique sest desséché, victime du partage du pouvoir entre bleus et rouges. Le système fait lobjet dun rejet de plus en plus violent. A partir des années quatre-vingt, les guérillas contrôlent des pans entiers du pays. Les Forces armées colombiennes (FARC) rêvent encore de la société sans classes, bien que le marxisme soit entré en phase terminale. En réalité, dans les campagnes, les soldats perdus de la guérilla se sont mués en mercenaires de causes de moins en moins politiques. Le trafic de drogue, le racket et les enlèvements deviennent progressivement une fin en soi. Les homicides se comptent par dizaines de milliers ; cest la première cause de décès. Ainsi, selon les statistiques, 10 % des assassinats au monde sont commis en Colombie alors que les Colombiens ne représentent que 0,5 % de la population de la planète Les barons de la drogue ajoutent au chaos limmoralité dun argent-roi qui arrose toutes les strates de l’économie, quand ce nest pas de la politique colombienne. Largent sale se déverse à gros bouillons. Il finance les campagnes des candidats quelles que soient leurs couleurs. Il décide aussi des résultats. En 1994, une voix valait 50 000 pesos (un peu plus de 100 euros), soit quinze jours de salaire. Ainsi, écrit Jean-Pierre Minaudier, « toutes les valeurs ont été bouleversées par l’émergence brutale dune nouvelle élite exclusivement formée de malfaiteurs fabuleusement riches ; en particulier le fameux cartel de Medellin formé de sous-prolétaires parvenus, vulgaires et mas-tu-vu ».

1962 : Election à la présidence du conservateur Guillermo Léon Valencia.

1961 : De retour dexil, Rojas Pinilla fonde lAlliance nationale populaire. Mouvement social-national qui, sur le modèle du péronisme, entend rallier tous les opposants à lalliance contre nature des bleus et des rouges.

1963 : LEtat colombien opte pour la politique dindustrialisation par substitution des exportations. Le principe est simple : instaurer des barrières douanières drastiques, dans le but de servir de béquilles aux industries balbutiantes ; encourager les exportations au moyen de subventions et privilégier la production nationale dans les achats.

1964 : Création des Forces armées révolutionnaires de Colombie. Dobédience marxiste-léniniste, ce mouvement prend de lampleur sous la houlette du commandant Manuel Marulanda Vélez. Il est très proche de lappareil du PC clandestin.

1966 : Election à la présidence du libéral Carlos Lieras Restrepo. Comme le résultat des élections ne fait aucun doute, la participation seffondre à moins de 30 %.

1968 : Lieras Restrepo lève lEtat de siège.

1967 : Adoption dun système de dévaluation progressif du peso vis-à-vis du dollar. En quelques années, le PIB croît de 6 % par an en moyenne.

1970 : Election à la présidence du libéral Pastrana Borrero. Il lemporte dune courte tête face à Rojas. Vraisemblablement, les résultats ont été truqués, ce qui provoque la colère des partisans de Rojas dont certains optent désormais pour la lutte armée et fondent le M-19. Ce mouvement se fait remarquer par ses actions spectaculaires comme le vol de l’épée de Bolivar.

1971 : Une série de manifestions sur les campus universitaires sont réprimées dans le sang. La gauche étudiante se radicalise et commence à fournir des cadres à la lutte armée.

1974 : Election dAlfonso Lopez Michelsen à la présidence. Le système de partage des pouvoirs entre libéraux et conservateurs prend fin.

1975 : Apparition du trafic de coca. A lorigine, il sagit juste dune activité de transformation. Les feuilles cultivées en Bolivie et au Pérou sont transformées dans des laboratoires clandestins en pleine jungle. Les raisons qui expliquent que la Colombie soit devenue le pays phare de la production de drogue sont triples. Tout dabord, elle nest distante que de trois heures en avion des Etats-Unis. Ensuite, le territoire national est constitué de très larges tâches blanches peu ou pas contrôlées. Enfin, lEtat ferme les yeux sur la provenance des capitaux abondants qui irriguent lensemble de l’économie et sont à lorigine du dynamisme de l’économie, quels que soient les aléas de la conjoncture mondiale. Endurante, la coca ne demande que peu de soins. Le travail est faible en proportion des gains escomptés et des surfaces cultivées.

1978 : Election de Julio César Turbay Ayala à la présidence.

1979 : Signature dun traité dextradition entre les Etats-Unis et la Colombie. Il prévoit de livrer aux Etats-Unis les trafiquants de drogue.

1980 : La politique de substitution aux importations est à bout de souffle. Les barrières douanières élevées sont un frein à linnovation. Elles protègent une production nationale dont la qualité nest pas le souci premier. A part le café, les exportations s’écoulent difficilement. En outre, largent facile de la drogue ou du café alimente linflation au détriment du travail et de linvestissement.

Février 1980 : Le M-19 organise lenlèvement dune douzaine dambassadeurs à loccasion dun cocktail à lambassade dominicaine, dont celui des Etats-Unis et du Vatican.

1981 : Interception, au large de la côte Pacifique, dun bateau bourré darmes en provenance de Cuba et à destination de la guérilla. Les relations entre La Havane et Bogota sont rompues.

1982 : Election du conservateur Belisario Betancur. Il décide une amnistie sans conditions aux guerilleros qui ne sont pas obligés de rendre leurs armes.

1984 : Les FARC et le M-19 acceptent le cessez-le-feu.

1985 : Les guérillas se coordonnent et décident de reprendre la lutte armée.

1986 : Election du libéral Virgilio Barco.

Mars 1986 : Une coulée de boue dévalant les pentes dun volcan en éruption submerge la ville dArmero, faisant plus de 20 000 morts.

Juin 1986 : Spectaculaire opération du M-19 contre le palais de Justice de Bogota. La prise dassaut du bâtiment par larmée provoque le massacre de plus de cent personnes, dont la moitié des juges suprêmes.

1988 : Le trafic de drogue prend des proportions dramatiques. La drogue provoque un afflux de devises, de dollars. Ce qui provoque un renchérissement du peso. Lindustrie nationale est découragée, la spéculation explose.

1989 : Assassinat en pleine campagne présidentielle du candidat des libéraux, Luis Carlos Galan. L’état de guerre est déclaré. L'Etat fait saisir les propriétés des parrains du cartel de Medellin.

1990 : Election de César Gavirias. Epaulé par les Etats-Unis, il entreprend une vaste campagne anti-drogue. Lors de ces élections et pour la première fois, lusage de lisoloir est obligatoire. Pour la première fois également, les électeurs votent avec des bulletins imprimés par le gouvernement et non par les partis. La Constitution est réécrite.

1991 : Pablo Escobar, qui est traqué, accepte de se rendre. Il est incarcéré dans une prison trois étoiles quil a lui-même fait construire. Entouré de ses gardes du corps, il continue néanmoins à diriger son « entreprise ». Pour obtenir la capture dEscobar, le président Gavirias est contraint de céder sur la question de lextradition. Ce principe est même désormais inscrit dans la nouvelle constitution.

1992 : Pablo Escobar s’évade de manière spectaculaire de sa prison. Il est aussitôt pourchassé par toutes les polices et des mercenaires alléchés par la prime de plusieurs millions de dollars qui est offerte.

1993 : Pablo Escobar est abattu à lissue dune cavale rocambolesque à Medellin.

1994 : César Gaviria devient pour cinq ans le secrétaire général de lOrganisation des Etats américains.

Avril 1994 : Election du libéral Ernesto Samper à la présidence. Il est aussitôt victime dun scandale financier ayant trait au financement de sa campagne par le cartel de Cali. Bien que dédouané personnellement, ce scandale le discrédite totalement.

Mai 1994 : La Cour constitutionnelle décide de dépénaliser lusage de la drogue au nom du respect des libertés individuelles.

1996-1998 : Les FARC lancent une offensive militaire denvergure qui étrille durement les unités antiguérilla de larmée.

1997 : Essor des milices paysannes qui travaillent en coopération avec larmée.

Juin 1998 : Le conservateur Andrés Pastranas Arango est élu président. Aussitôt, il commence à négocier avec les FARC. Une zone démilitarisée est donnée aux FARC sur plusieurs dizaines de milliers de kilomètres carrés. Des prisonniers sont libérés. Mais lautorité de lEtat se délite tandis que l’économie entre en récession.

2000 : Les autorités colombiennes obtiennent des Etats-Unis le lancement du plan Colombie 2000. Washington injecte 1,6 milliard de dollars dans la lutte antidrogue et accepte de prendre en charge la formation de larmée colombienne.

Le sursaut ? (2002-...)

En une décennie, grâce à une politique volontariste, la situation est rétablie. LEtat a repris le contrôle de régions entières qui lui échappaient jusqualors. Repoussés aux confins des frontières du Venezuela et du Brésil, les combattants des FARC font dorénavant profil bas. La conjoncture économique sest aussi améliorée. En définitive, le drame, écrit Jean-Pierre Minaudier, « cest que les Colombiens manquent tout simplement du sens de la vie en société, de ce quil faut accepter de limites à lindividualisme pour que lindividu puisse s’épanouir : ils on toujours été seuls aux moments difficiles ; les autorités, toutes les autorités, leur ont toujours beaucoup pris et peu donné ».

2002 : Election d'Alvaro Uribe à la présidence. Il est plébiscité dès le premier tour, ce qui prouve que les Colombiens approuvent son discours de fermeté à l’égard des groupes armés et sa volonté de restaurer lautorité de lEtat sur lensemble du territoire, au nom d'une politique de « sécurité démocratique ».

2003-2004 : 30 000 soldats professionnels sont recrutés et un réseau de surveillance civique de plus dun million de personnes est mis sur pied. Les champs de coca sont détruits grâce à l’épandage massif dherbicide. Des centaines dotages sont libérés et le nombre dhomicides chute spectaculairement. Les FARC sont malmenés et nombre de leurs soldats désertent.

2006 : Alvaro Uribe est réélu à la présidence dès le premier tour.

2008 : Lopération Jaque permet la libération dotages des FARC dont Ingrid Betancourt. Cest une victoire de sa ligne puisqu' il réussit à libérer la célèbre Française tout en refusant de négocier avec lorganisation terroriste.

2009-2010 : Les relations entre le Venezuela et la Colombie se tendent. Des documents démontrent que le Venezuela a apporté un soutien financier aux FARC. Par ailleurs, alors quUribe, qui na jamais caché sa proximité personnelle avec Georges Bush, campe sur des positions pro-américaines, Hugo Chavez se fait le chantre de la lutte contre limpérialisme. Les deux pays rompent leurs relations diplomatiques.

2010 : Juan Mauel Santos est élu président après le rejet par la Cour constitutionnelle dune loi autorisant Alvaro Uribe de briguer un troisième mandat. Son homme de confiance et ancien ministre de la Défense prend la succession.

2011 : Le Venezuela et la Colombie restaurent leurs relations diplomatiques.

2012 : Juan Manuel Santos se prononce pour louverture dun dialogue avec les FARC à condition que ceux-ci commencent à libérer les otages. Cette volte-face lui vaut les attaques de son ancien mentor Alvaro Uribe. Des négociations sont ouvertes à la Havane avec al guerilla

2013 : Uribe fonde le Centre démocratique. La rupture entre Uribe et Santos est consommée.

2014 : En dépit dun premier tour favorable au candidat du Centre démocratique, Juan Manuel Santos est réélu avec 50,95% des voix à la présidence de la République.

Sortie d’une crise politique qui l’a affectée pendant plusieurs décennies qui l’ont vue plongée dans une interminable guerre civile, la Colombie a entrepris d’en finir avec le fléau qu’a longtemps constitué le trafic de drogue, devenue, avant le café, son premier produit d’exportation. Même si de nombreuses fragilités demeurent, le pays profite d’un incontestable dynamisme économique (5,7% de croissance en 2011, 4,8% en 2014). Partenaire privilégié des États-Unis en Amérique latine, il apparaît en revanche un peu isolé politiquement face aux voisins « anti-impérialistes » que sont le Venezuela, la Bolivie et l’Équateur. Avec un taux de croissance de près de 5% par an – que l’on peut comparer à la récession (-3%) qui affecte le Venezuela – le pays dispose de solides atouts pour affronter l’avenir. La dépendance aux exportations de pétrole (60% des recettes d’exportation) constitue cependant une fragilité.

2015 : Les négociations engagées avec les FARC se révèlent plus difficiles que prévu et butent notamment sur le statut qui sera réservé aux guérilleros démobilisés. La désescalade n’en est pas moins engagée sur tout le territoire et l’année 2015 s’avère être la plus pacifique depuis 1990. Le 20 août, le président vénézuélien Nicolas Maduro, successeur de Chavez, a fait fermer la frontière entre les deux pays et a expulsé plus de 20 000 Colombiens alors que Juan Manuel Santos rappelait son ambassadeur à Caracas. Le commerce bilatéral chute de 46% sur les six premiers mois de l’année.

En fait, le Venezuela n’est plus le partenaire commercial privilégié de la Colombie, qui se tourne désormais davantage vers les États-Unis et les pays du Pacifique. La baisse des prix du pétrole et des matières premières, tout comme la sécheresse provoquée par le phénomène climatique El Niño, compliquent une situation marquée par la hausse des produits alimentaires et l’augmentation du chômage.

26 septembre 2016 : Après 52 ans de conflit armé et quatre ans de négociations difficiles, les Forces Armées Révolutionnaires de Colombie (FARC) ont accepté de déposer les armes et de se transformer à terme en parti politique. Le président Juan Manuel Santos et le chef des rebelles, Rodrigo Londoño, ont en effet signé à Carthagène un accord de paix, à la satisfaction de la communauté internationale. Un accord qui vaudra, dix jours plus tard, au chef de l’État colombien de recevoir le prix Nobel de la Paix. la surprise vient du référendum qui suit et qui voit le corps électoral colombien repousser l’accord à une très faible majorité (0,4%). Une renégociation s’en est suivie et, le 30 novembre, un nouvel accord a été ratifié par le Congrès, malgré l’opposition de la droite conservatrice menée par l’ex-président Alvaro Uribe. 6 000 guérilleros doivent être démobilisés et des négociations vont pouvoir commencer avec l’ELN, l’autre guérilla (Ejercito de Liberacion Nacional). L’accord va bien au delà de ses clauses militaires et sécuritaires puisqu’il prévoit une ambitieuse politique de développement rural et la mise en place d’un système de justice transitionnelle visant à la réconciliation des différentes parties. Les FARC s’engagent à cesser toute activité liée au trafic de drogue et leurs membres pourront se présenter aux élections. Le retour de la paix civile intervient dans un contexte économique qui s’est sensiblement assombri, même si la Colombie a mieux encaissé que ses voisins la baisse des prix du pétrole. La croissance atteint encore, certes, 2,2%, en baisse par rapport aux années précédentes, mais le chômage demeure à 10% et l’inflation à 7%. Le gouvernement et l’opinion tablent cependant sur les effets de la paix retrouvée pour attendre des investissements étrangers et l’augmentation de la consommation intérieure, même si l’élection, en novembre 2016, de Donald Trump laisse planer des incertitudes quant au versement de l’aide antérieurement promise par les États-Unis.