C’est
dans la cordillère
des Andes, aux confins de la jungle amazonienne, à
égale
distance des Caraïbes
et de l’océan
Pacifique, qu'est né le mythe de l’Eldorado.
Des groupes de conquistadores sillonnent l’enfer
vert sans jamais le trouver, mais ils s'imposent aux populations
indigènes et établissent, au nom de l'Espagne, un
ordre nouveau appelé à durer pendant trois siècles. La fureur de
la conquête
apaisée,
la Nouvelle Grenade accouche d’une
société
originale
qui voit coexister Amérindiens et Espagnols, mais, au début du
XIXe siècle, Simon Bolivar lève
l’étendard
de la révolte
contre la métropole. Une fois les derniers
liens avec Madrid rompus, tout reste à
faire.
Le jeune Etat colombien est bientôt
pris en otage entre factions libérales
et factions conservatrices, antagonismes qui dégénèrent
en guerre civile. Aujourd’hui,
la Colombie cherche ses marques. Guérilla
et trafic de drogue sont les deux fléaux
les plus connus. Pourtant, la Colombie jouit d’un
niveau de développement
supérieur
à ceux du Brésil
et du Pérou,
et son agriculture compte parmi les plus florissantes du continent.
De la cordillère aux océans
Avec une superficie équivalente à deux fois la France, 1 141 748 kilomètres carrés, la Colombie est, à l’échelle du Nouveau Monde, un Etat de dimension modeste. Avec 30 habitants au kilomètre carré, la densité de la population est faible.A l’extrémité nord-ouest de l’Amérique du Sud, la Colombie s’ouvre à la fois sur l’océan Atlantique (mer des Caraïbes) et sur le Pacifique. Deux grands ensembles partagent l’espace colombien : à l’ouest la cordillère des Andes qui abrite l’écrasante majorité de la population ; à l’est, les bassins de l’Orénoque et de l’Amazonie dont le climat insalubre empêche toute installation humaine. En réalité, la « Colombie utile » se limite au premier ensemble. A l’image d’une main humaine, les chaînes de montagnes dessinent des doigts qui semblent agripper de leurs ongles les bordures des océans. Les trois cordillères et les deux vallées qui en constituent l’ossature y ont déterminé les implantations humaines. Au cœur de cette main, la capitale Bogota culmine à 2 600 mètres d’altitude. A cause de la guerre civile et de l’exode rural, la population a explosé et frôle les 6 millions d’habitants. Sa grande rivale, Medellin la besogneuse, se targue de produire la moitié de la richesse du pays. Sur les pentes triomphes la culture du café. A la fois bénédiction et malédiction, son exploitation fait vivre de manière directe ou indirecte 30 millions de Colombiens. Mais il est tributaire du climat et des cours mondiaux. Un incident climatique ou l’irruption de nouveaux concurrents font que les prix peuvent brutalement s’effondrer. A cela s’ajoute la déforestation qui, une conséquence de la monoculture intensive, bouleverse tout l’écosystème. La couche superficielle et utile du sol disparaît, alors que le nombre des bouches à nourrir s’accroît, au point qu'il faut maintenant importer à grands frais des produits alimentaires d’Amérique du Nord. A ceux qui suggèrent d’essayer d’autres cultures, le paysan, accroché à son caféier, rétorque « qu’il vaut mieux tenir un oiseau qu’en voir cent qui volent ».Puis la cordillère s’affaisse et se dilue dans une vaste étendue herbeuse, la Cordoba, où ruminent d’immenses troupeaux qui forment le meilleur cheptel du pays. Plus loin, vers la mer, se découpe la plaine du rio Magdalena. Les champs de coton y agitent leurs tiges blanches et la canne à sucre découpe le paysage de ses rangées géométriques.Gigantesque et plurielle, la Colombie offre un visage sans cesse renouvelé. L’homme y demeure prisonnier d’une sensation d’angoisse et d’anéantissement qu'inspire l’immensité du cadre naturel.Colossal rideau de roches, forêt sans fin, fleuve bouillonnant, mer jusqu’à l’infini. C’est encore pire, écrit Jacques Aprile-Gniset, « quand les éléments naturels, minéraux, liquides ou végétaux se déchaînent autour de l’homme. Un déluge d’eau tombe brusquement du ciel déchiré, submerge tout, une fumée noire sort d’un pic qui bientôt crache la pierre et le feu… L’homme andin n’est pas proportionné à sa géographie. Il subit sa nature comme une malédiction qui le domine et dont il se sent le jouet vulnérable. Ecrasé par son paysage aux horizons clos, il se sent enfermé, isolé du monde. Il n’admire jamais sa terre, la craint toujours. »
Les
Colombiens : Criollos, Ciudadanos, Macho
Désabusé,
le poète
Guillermo Valencia, murmure un jour à
la
vue des statues équestres
des premiers conquistadores qui peuplent les bourgades de son pays :
« Nous
descendons d’un
assassin espagnol et d’une
prostituée
indienne ».
Si l’on
se fie aux statistiques plutôt qu'à ce propos un peu trop
réducteur, la population colombienne se répartit
entre 2,2% d’Indiens,
6% de Noirs, 47,8% de métis,
24% de mulâtres
et 20% de Blancs. Ces chiffres sont à
prendre
avec prudence dans la mesure où
chacun
se classe en fonction de son désir
d’appartenir
à
tel
ou tel groupe. La clarté
de
la peau dessine une véritable
hiérarchie
sociale. Loin d’être
un objet de fierté,
une ascendance indienne trop prononcée
peut-être
considérée
comme un handicap. A l’occasion
d’une
visite officielle en 1964, le général
de Gaulle commit sans s'en rendre compte une maladresse. Visiblement
peu informé
des
subtilités
sociologiques du pays d’accueil,
il s’écria : « Enfin
me voici parmi le grand peuple indien de la cordillère
des Andes ! ».
A son corps défendant,
le chef d’Etat
français
venait d’insulter
deux Colombiens sur trois. Ainsi remarque sarcastiquement Jacques
Aprile-Gniset « L’indien
est celui que vous jugez plus indien que vous, celui qui vous
rassure. J’ai
souvent vu des montagnes de talc dans les Prisunic, et aussi des
faces livides et enfarinées
dans les rues… je
n’avais
pas l’idée
de relier ces deux constatations. Des amis colombiens, un peu gênés,
me confirment que nombre d’entre
eux tentent par le talc d’effacer "la
honte".
Néanmoins,
celui-là,
rencontrant un ami au coin de la 19, plus blanc que lui, se venge en
montrant qu’il
n’est
pas dupe. Avec un grand sourire hypocrite, il lui lance en lui
malaxant le dos: ‘Holà
!
comment ça
va, Chino ! ».
Les
descendants d’esclaves
noirs appartiennent à
une
autre catégorie
de la population. Les Indiens ne supportent pas le travail forcé
aux
champs ou dans les mines. Dès
le début
du XVI siècle,
les premières
cargaisons humaines en provenance d’Afrique
débarquent
à
Carthagène.
Au
fil des siècles,
de petites colonies d’esclaves
en fuite se constituent dans les profondeurs de la jungle, les
palenques.
Ces trois influences indienne, africaine ou espagnole se coulent dans
un même
moule. Le Colombien est un criollo,
un
métis.
Pendant
longtemps, en Colombie, la ville n’existait
pas. Il n’y
avait que quelques centres urbains tracés
au cordeau par les premiers conquérants
perdus dans l'immensité
verte.
Aujourd’hui,
trois Colombiens sur quatre sont des citadins. Les villes explosent.
Au sujet de Bogota, un diction populaire affirme que c’est
« une
ville qui progresse au détriment
du reste du pays ».Fuyant
les affres de la guerre civile, attirés
par la lumière
de la ville, des millions de paysans s’entassent
dans des bidonvilles. Les infrastructures (eau, électricité)
ne suivent pas et l’improvisation
est la règle. Les nouveaux arrivants n’ont
rien oublié
de
leurs origines modestes et reconstituent une contre-société
avec
ses codes et ses règles
propres. Dans cet univers âpre,
la virilité
est
une question de survie autant que d’honneur.
Le macho, celui qui sait jouer du couteau, de la machette comme du
fusil d’assaut,
jouit de l’estime
publique. Croyances et superstitions accompagnent cette dévotion
effrénée
au coq de village. Ainsi, les testicules de taureau grillés
sont un mets recherché…Le
diable côtoie
souvent l’ange.
Et le macho, peut-être
simultanément
assidu aux maisons closes et confit en dévotion
à
l’endroit
de la Sainte-Vierge. L’image
de la femme oscille entre la prostituée
et la sainte. Dès
leur plus jeune âge,
les filles sont élevées
en prévision
du jour fatidique où
elles
passeront devant l’autel.
Les Colombiens ont le culte de la famille nombreuse, du clan, de la
lignée.
Plus qu’un
impératif
religieux, il s’agit
d’une
nécessité
vitale.
Un manuel de classe de cinquième
des années
60 résume
en quelques phrases ce natalisme forcené :
« Mon
travail est pour vivre, dit le terrassier, et aussi pour payer les
intérêts
que je dois et m’assurer
un capital dans l’avenir »-« Comment
cela ? »,
demande l’enfant.
L’ouvrier
le conduit à
sa
maison : "Voici
mon père
et ma mère
qui ont souffert et travaillé
pour
moi, pour m’élever.
Je paie maintenant les intérêts
de ce qu’ils
ont fait pour moi ».
Puis il montre les six enfants et la mère: « Ce
sont mes enfants, en leur donnant la nourriture j’assure
mon capital qui me donnera un intérêt
quand je serai vieux et qu’ils
devront me nourrir ».
Dans
un pays où
le
chien n’a
pas remplacé
l’enfant,
ou la sécurité
sociale
comme la retraite sont embryonnaires, ou la théorie
du gender n’a
pas encore valeur d’idéologie
d’Etat,
la famille nombreuse
reste
le meilleur obstacle à
la
misère.
L’Eglise
veille à
cet
état
de fait. Jusqu’en
1990, elle a joui d’immenses
avantages. La religion catholique est selon l’article
premier « l’élément
essentiel de l’ordre
social ».
L’Etat
s’engage
à
entretenir
ses ministres qui exercent leur autorité
sans
que la puissance publique puisse intervenir, précise
l’article
deux. Les questions financières
et scolaires ne sont pas oubliées
puisque l’Eglise
et exonérée
d’impôts
et qu’elle
dispose d’un
droit de regard sur les programmes scolaires.
Le
tableau de la société
colombienne
serait incomplet sans un rapide aperçu
de la question posée
par le trafic de drogue. Au café
s’ajoutent
désormais
la marijuana et la coca comme principales sources d’exportation.
Selon des statistiques quasi-officielles elles fournissent à
elles
seules plus de rentrés
de devises que le café.
La Colombie avant la conquête (20 000 av. J.-C. à 1492 ap. J.-C.)
L’époque
d’avant
la conquête
est une page blanche de l’histoire
colombienne. Les sources sont rares et les données
lacunaires. A la différence
du Mexique ou du Pérou,
il n’y
a pas de civilisation grandiose et peu de vestiges monumentaux. Les
tribus indiennes forment des groupes peu nombreux et isolés,
sans contact les uns avec les autres. On évalue leurs effectifs, à
la veille de la conquête,
entre 500 000 et 1 500 000 d'individus. Pas de ville ni de lieux de
culte spécifiques.
On peut néanmoins
distinguer quelques groupes à
l’organisation
plus avancée.
Les Quimbayas vivent du rio Cauca au Magdalena. Ils cultivent le maïs
et tissent le coton. Leurs tombes se distinguent par leurs céramiques
et leur orfèvrerie.
Toutefois, et en dépit
d’une
légende
tenace, les richesses accumulées
dans ces régions
n’ont
rien à
voir
avec celles des Incas, des Mayas ou des Aztèques. Compte tenu de
l'insalubrité du climat, la vie est une lutte de chaque instant.
Evitant les régions
malsaines, l’homme
s’installe
sur les éminences
ventilées
éloignées des fonds marécageux.
25 000 ans av. J.-C. : Première
trace d’occupation
humaine en Colombie. Il s'agit de groupes de chasseurs-cueilleurs qui se sont répandus vers le sud en suivant les vallées du rio Magdalena et du rio Cauca ; deux sites de la cordillère orientale, El Abra (10 400 à 160 avant J.-C.) et Tequendama (7000 av. J.-C.) révèlent la présence de ces chasseurs qui fabriquaient un outillage lithique sur éclats.
7000 à 1250 av. J.-C. : Les sites de Manizales et de Retrepo correspondent à des groupes vivant en état de semi-nomadisme à proximité du littoral. On a découvert dans un amas de coquilles de Puerto Hormiga, sur la côte caraïbe, des fragments de poteries remontant à 3800-3500 av. J.-C. Une céramique plus évoluée sera découverte à Bucarelia, datée de 1550 av. J.-C.On voit apparaître vers 1200 avant J.-C. les premiers villages agricoles permanents. Cette agriculture repose sur la production de manioc et sur celle du maïs. Le site de Malambo (-1120), sur le bas Magdalena, rend bien compte de ce passage d'une économie de prédation à une économie de production. La céramique s'enrichit désormais de figures anthropomorphes ou zoomorphes incisées.
Ier millénaire avant J-C : Développement des cultures dites « subandines » caractérisées par des chefferies belliqueuses gouvernées par un chef semi-divinisé et organisées en classes sociales. La guerre occupe une place importante pour ces groupes humains. C'est durant cette période qu'émerge la fascinante culture de San Agustin. C'est un religieux espagnol qui visite le premier le site et rend compte de ses observations en 1756. Des archéologues allemands et italiens prennent le relais au XIXe siècle avant les campagnes de fouilles décisives menées en 1936-1937 par José Perez de Barradas. Le petit village de San Agustin se dresse au cœur d'une vaste région montagneuse où les vestiges archéologiques abondent (tumulus, temples, tombes et statues gigantesques représentant des êtres humains ou des animaux). Entre 1 500 et 2 000 mètres d'altitude, le climat tempéré a favorisé l'installation humaine. L'histoire de cette culture se partage entre diverses périodes : jusqu'à 550 av. J.-C., la population vit de chasse, de pêche et de cueillettes et réalise une céramique encore très grossière ; de 550 avant J.-C. à 550 ap. J.-C., la culture du maïs devient l'activité économique principale, les populations se sédentarisent et l'on voit apparaître la poterie peinte ; de 550 à 1180, les surplus de production agricole permettent l'apparition d'un artisanat spécialisé qui réalise des sculptures monumentales, des temples, des pièces de céramique plus raffinées et des objets d'orfèvrerie ; de 1180 à 1500, la culture de San Agustin se prolonge et l'inspiration réaliste s'affirme dans les décors, les villages étaient installés sur des plates-formes aménagées au sommet des collines et les huttes circulaires étaient réunies autour de la statue monolithique de l'ancêtre du clan local. Le village était dirigé par un cacique qui s'appuyait sur la caste des prêtres et sur celle des guerriers. La société vivait du travail des agriculteurs qui maîtrisaient l'irrigation et le drainage et savaient aménager des cultures en terrasses. Une trentaine de sites ont été découverts dans l'aire de diffusion de la culture de San Agustin, qui couvre une superficie d'environ 500 kilomètres carrés. Les plus importants sont Las Mesitas, Alto de Lavapatas, Alto de Lavaderos Alto de los Idolos et Quinchana. Il s'agit de centres cérémoniels où voisinent des sépultures, des temples, des autels et des statues mégalithiques.La statuaire de San Agustin est l'expression artistique la plus étudiée de cette culture : on a dénombré plus de trois cents statues monolithiques dont la hauteur varie de 0,73 mètres à 4,25 mètres, et qui représentent des êtres humains (guerriers, prêtres, chamans), des animaux (oiseaux félins, serpents) ou des personnages mi-hommes mi-félins.200
et 1000 ap. J.-C. : Culture Calima.sur le versant pacifique de la Cordillère occidentale. Le site le plus ancien (Canaguyero) remonte à 250 avant J.-C., mais c'est entre 1100 et 1250 ap. J.-C. qu'elle atteint son apogée. Cette culture a excellé dans les domaines de la céramique et de l'orfèvrerie.500 après J.C. : Apparition de la métallurgie.610 à 850 : Culture des hypogées de Tierradientro caractérisée par des tombes creusées directement dans la roche. Les traits de cette culture montrent qu'elle était proche de celle de San Agustin.On désigne sous le nom de « Qimbaya » (celui d'un groupe d'indigènes qui occupaient le bassin moyen du Cauca au moment de la conquête) une céramique particulière et un style d'orfèvrerie remarquable.
700
et 1200 : Culture Narino entre la Colombie et l’Equateur. Culture de Tumaco, proche de celle, équatorienne, de La Tolita. A la veille de l'irruption des conquistadors, le plateau où s'élèvera Bogota est occupé par les Muiscas ou Chibchas qui disposent d'une économie prospère et font le commerce du sel et des émeraudes. Ils sont riches en or et c'est sur leur territoire que les conquistadors chercheront la trace d'El Dorado, « le seigneur doré », vague écho de la tradition qui rapportait qu'un chef indien plongeait, couvert de poudre d'or, dans le lac de Guatavita. Ce n'est que durant l'entre-deux-guerres que les archéologues colombiens purent mettre en lumière ce qu'avait été la culture villageoise des Taironas qui, installée dans Sierra Nevada de Santa Marta, a connu son apogée à la veille de la conquête.
1492 :
Découverte
de l’Amérique
par Christophe Colomb.
La découverte et la conquête (1494-1560)
Christophe
Colomb n’a
probablement jamais foulé
le
pays qui porte son nom. Autre paradoxe, la conquête
de la Colombie s’avère
une entreprise longue et difficile qui s’échelonne
sur plus d’un
siècle.
Tout concourt à
entraver
l’entreprise
des conquistadores. Le climat tropical, la forêt
sans fin, le relief escarpé
et
l’absence
de voie de pénétration
naturelle. Mais les conquistadores ont pour eux l’audace
et l’esprit
d’entreprise.
Chaque hidalgo arme son navire, recrute ses hommes d’armes,
appâtés
par le goût
de l’aventure
et le mirage de l’Eldorado.
Selon la rumeur, un roi indien surnommé El
Dorado, « le Seigneur doré », se baigne nu, couvert de poudre d’or, dans un lac.
Parvenu
au centre du lac, il précipite
dans les entrailles du lac de l’or
et des pierres précieuses.
On n'a jamais retrouvé
la
trace du trésor,
mais le musée
de l’Or
de Bogota conserve un modèle
miniature en or de la barque cérémonielle,
ce qui tend à
donner
un ancrage cultuel à la
légende.
Madrid
concède
des droits de conquête en échange
du versement d'une redevance, le quinto
real,
le cinquième des richesses découvertes. Cinq colonnes sillonnent
bientôt
la Colombie, écrasant
la résistance
autochtone.
Une concurrence impitoyable anime entre eux les chefs espagnols. La plupart
finissent par succomber, victimes de leur propre démesure.
De la Cosa et Solis tombent, sous des flèches
indiennes. Ces premiers conquérants
ne sont qu’une
poignée.
Chaque expédition
ne compte qu’une
centaine d’hommes.
Les points d’appui
restent des mois, des années
sans nouvelles de la métropole.
Les chefs sont d’extraction
modeste, pour ne pas dire douteuse. Belalcazar est un condamné de droit commun pour
vol de bétail.
En revanche, d’autres, plus jeunes, ont fréquenté
les
bancs de l’université
à l’instar
de Quesada, âgé
de
27 ans. Une fois les Indiens soumis, les colons appliquent le
système
de l’encomienda.
Comme
l’explique
Jean-Pierre Minaudier, « les
colons se répartirent
les communautés
indigènes
qui leur étaient
confiées ;
ils devaient assurer leur évangélisation.
Les Indiens, en échange,
devaient un tribut payé
en
nature (de la nourriture, et aussi des pièces
de coton qui firent très
vite l’objet
d’un
commerce à
grande
échelle)
ou en service (transport de charges à
dos
d’homme) ».
1494 :
Traité
de
Tordesillas. Le pape Alexandre VI confie à
la
couronne d’Espagne
toutes les terres situées
à
l’ouest
du méridien
du cap Vert.
1499 :
L’Espagnol
Alonso de Ojeda foule le sol colombien au cap de la Vela. Il est
accompagné
du
pilote italien Amerigo Vespucci. A son retour, il publie un récit
de voyage dans lequel il affirme que les terres découvertes et qu'il nomme « l’Amérique » est un continent à
part
entière,
distinct des Indes que croit avoir abordées
Colomb.
1509-1510 :
Les premiers conquistadores fondent les villes de San Sebastien
d’Uruba
et Santa Maria, toutes deux sur les rives du golfe d’Aruba.
1519 :
Pedro
Arias Davila
atteint, six ans après Balboa, la « Grande Mer du Sud » que
Magellan baptisera bientôt l'océan Pacifique.
1524-1526 :
Deux gouvernements sont créés.
A l’ouest
du rio Magdalena, le bénéficiaire
n’honore
jamais sa charge. A l’est,
entre la Magdalena et le cap de la Vela, Rodrigo de Bastidas jette
les premières
pierres de la ville de Santa Marta.
1533 :
Pedro de Heredia fonde la ville de Carthagène à
l’ouest
de l’embouchure
du Magdalena. L’endroit
est le point de départ
de toutes les expéditions
en direction du Pérou.
Par ailleurs, la région
est riche en tombes de caciques. Elle attire tous les aventuriers en
quête
d’or.
1535-1538 :
Le jeune Gonzalo Jimenez de Quesada prend, dans des circonstances
très
difficiles, la direction de la colonie de la Santa Marta. Afin de
rompre son isolement, il organise une expédition
vers l’intérieur
des terres. Il se heurte en route aux Indiens Chibchas qu’il
subjugue sans difficultés.
Sur l’emplacement
d'une ancienne ville indienne, il fonde Santa Fé de Bogota.
1536-1537 :
Les villes de Cali et de Popayan sont fondées
par Sebastian de Belalcazar. Au même
moment, l’Allemand
Nikolaus Federmann venant du bassin de l’Orénoque
parvient à son tour sur le plateau de Bogota.
1540 :
Les rivalités
qui les opposent obligent
la monarchie espagnole à
départager
les sphères
d’influence
attribuées aux trois conquistadores : Belalcazar, Quesada, Federmann.
Charles Quint, après
avoir tergiversé,
tranche en faveur de Quesada et de Belalcazar qui reçoivent le titre
de gouverneur.
1542 :
Leyes
Nuevas (« nouvelles lois ») qui
interdisent le travail forcé
dans
les mines pour les Indiens. Elle n’est
pas respectée.
1549 :
Décentralisation
de l’administration
qui dépendait
jusqu’alors
de Saint-Domingue. Création
de la Real
audiencia de Santa Fé de Bogota. La
nouvelle circonscription administrative, appelée
également
Nouvelle-Grenade, s’impose
rapidement.
1564 :
Le pape Pie IV crée
l’archevêché
de
Bogota.
La Nouvelle-Grenade : la période coloniale (1564-1770)
La
première
étape
de la conquête
s’achève.
Celle-ci est en réalité
bien
incomplète. Quelques
raids éclairs
à
l’intérieur
des terres sont appuyés
par un chapelet de garnisons abritées
dans des fortins rudimentaires. La colonisation débute
par la transformation du soldat en paysan. Les soldats vivent encore
sous des cabanes de branchages. Ainsi, Bogota a pour trame originelle
une dizaine de cahutes entourant une modeste chapelle où
l’aumônier
militaire célèbre
tous les matins l’office.
Mais bientôt,
le génie
latin reprend ses droits. D’Espagne
arrivent des ingénieurs
qui transforment les premiers camps en véritables
villes. Du néant
surgit un carré
de
100 mètres
de côté
qui
constitue la plaza
mayor.
A son centre convergent huit avenues qui dessinent le plan
orthogonal de la future cité
qui
se développe
en manzanas,
carrés
de
80 mètres de côté.
Chaque fois que la ville s’agrandit,
on rajoute une nouvelle manzana
qui prolonge à
l’infini
le quadrillage existant.
La
Nouvelle-Grenade mue rapidement. Trois facteurs bougent les lignes de
la nouvelle société :
la dilution progressive des autochtones par le métissage,
le choc microbien et la guerre ; l’exploitation
des mines d’or
grâce
à
l’arrivée
d’esclaves
d’Afrique
et les difficultés
de communication qui favorisent l’émergence
de particularismes locaux. L’Espagnol,
remarque Jacques Aprile-Gniset a « pris
femme. Au viol brutal du début
se substitue le concubinage, puis le mariage entre le soldat et sa
servante indienne. Il remarque la polygamie paisible de l’Indien
et, bientôt, malgré
l’interdiction
du curé,
suit son exemple. Mais soldat ou fonctionnaire, dès
qu’il
a pris femme, l’Espagnol
du Sud la cloître
dans une maison entourant un patio, semblable à
celle
qu’il
connut en Andalousie. Ainsi se dégagent,
des apports indiens et arabes, des éléments
qui vont modeler la personnalité
d’un
pays et de ses habitants ».
Bogota abrite les lieux de décisions.
La ville est entourée
d’un
vaste espace agricole où
s’activent
esclaves et métis.
Tabac et café
sont
exportés
vers l’Ancien
Monde. La côte
caraïbe
jouit du dynamisme des échanges
avec la métropole
tandis que le versant pacifique bénéficie
de la présence
des mines d’or.
Toutefois, la Nouvelle-Grenade reste très
en retrait au sein de l’empire
colonial espagnol. Elle ne compte que 800 000 habitants en 1778. Rien
à
voir
avec le Mexique, ni même
le Pérou.
En outre, la situation économique
est tributaire du cours des matières
précieuses.
Trois phases émergent :
la fin du XVIe siècle
se caractérise
par l’apogée
de l’or ;
le XVIIe siècle
est plus tendu en raison de l’épuisement
des mines ; le XVIIIe siècle
bénéficie
de
la découverte
de nouveaux gisements aurifères.
1565 :
L’entretien
des ports et le prélèvement
des impôts
sont affermés aux
commerçants
aisés.
1580 :
Alonso de Narvaez peint la Vierge de Chiquiquira, sainte patronne de
la Colombie.
1590-1593 :
Une série
de réformes
vise à mettre un terme à
l’arbitraire
des colons. Les services personnels demandés
au titre des tributs sont interdits. Les Indiens sont censés
recevoir une rémunération.
1595-1599 :
Niveau maximum de production des mines d’or
du Cauca et du Magdelana.
1587 :
Début
du système
de l’asiento :
des compagnies portugaises, anglaises et françaises
achètent
le droit d’exporter
des esclaves noirs. Le prix d’un
esclave est relativement élevé, d’environ
500 piastres. L’équivalent
de vingt-cinq vaches.
1598 :
Insurrection armée
de Zaragoza. Les esclaves se révoltent.
« Même
si mon maître
me tue, je ne vais pas à
la
mine », chante
le mineur d’Iscuandé.
1600-1630 :
Réduction
progressive des Indiens Pijados. Abrités
au cœur de la cordillère
centrale, ils attaquent de manière
continue la route de Bogota à
Popayan.
A la fin, les débris
de ces tribus indiennes sont repoussés
vers des zones marginales comme la Sierra Nevada.
1610 :
Baisse drastique de l’extraction
d’or.
Les causes de cet effondrement sont multiples. La main d’œuvre
indienne manque, d’autant
que la traite négrière
reste peu développée.
Les méthodes
d’exploitation
encore primitives empêchent
d’exploiter
à
fond
les gisements.
1639 :
Les dominicains fondent l’université
de
Bogota.
1660 :
Début
du cycle du Choco. L’arrivée
massive d’esclaves
et le perfectionnement des méthodes
d’exploitation
permettent d’augmenter
les rendements. Les mines demandent de l’espace
et des travaux de drainage. L’eau
déviée
sert
à
trier
les alluvions et à
découvrir
les pépites
qu'ils charrient.
1697 :
Guerre de la ligue d’Augsbourg.
Le port de Carthagène
est pris d’assaut
par une escadre française.
1700 :
Les Bourbons montent sur le trône
d’Espagne.
La nouvelle dynastie met aussitôt
en œuvre un programme de réformes
qui tend vers plus de centralisation.
1701-1713 :
Guerre de succession d’Espagne.
1720 :
Le travail forcé
est
aboli. Les encomiendas
disparaissent progressivement.
1739 :
Création
d’une
vice-royauté de la Nouvelle-Grenade dont la capitale est Bogota.
1741 :
La Royal Navy assiège
Carthagène.
Les Britanniques sont repoussés
et perdent plusieurs dizaines de bâtiments
et des milliers d’hommes.
1742 :
Le Venezuela, davantage tourné
vers
les Caraïbes, est organisé
en
une Capitainerie générale
pratiquement autonome.
1759-1789 :
Règne
de Charles III. Son règne
est marqué
par
la volonté
d’abaisser
les privilèges
et les exemptions derrière lesquelles s’abritent
les colonies espagnoles.
1764 :
Madrid passe au système
de l’administration
directe. Les prix d’achat
et de revente des produits sont fixés
par une bureaucratie centralisée
à
Bogota.
1767 :
Expulsion des jésuites
des colonies espagnoles.
1770 :
Le neveu du dernier cacique de Bogota, Don Ambrosio Pisco, refuse de
prendre la charge de son père.
Il préfère
se tourner vers le monde des affaires où
il
fait fortune comme commerçant.
Réforme, révolte, révolution (1770-1809)
Au
XVIIIe siècle, les Bourbons héritent
d’un
pays en crise où
les
ressources fiscales sont rares. Tout le paradoxe est que la couronne
d’Espagne
est un Etat pauvre dans un pays riche. Madrid enrage de constater que
son colossal empire colonial lui rapporte moins qu’à
la
France la seule île
de Saint-Domingue et ses richesses en sucre. Les colonies sont
engluées
dans un immobilisme stérile
auquel s’ajoute
un clientélisme
qui entrave toute innovation. Pour encourager les échanges
et la concurrence, la Couronne met fin aux barrières
douanières
et aux monopoles commerciaux. Le deuxième
versant de cette entreprise réformatrice
est la mise au pas de la bureaucratie locale. La Couronne supprime la
vénalité
des
charges et oblige les fonctionnaires d’audiences
à
faire
carrière
hors de leur région
d’origine
afin d’éviter
le conflit d’intérêt.
A l’inverse,
les natifs des colonies sont envoyés
exercer leur métier
en métropole.
Cette politique se heurte à
la
résistance
de la bourgeoisie criolla qui, à
la
même
époque, commence à
méditer
l’exemple
de l’indépendance
américaine.
Une formule résume
leur revendication :
« Vivre
et travailler au pays ».
En 1794, un admirateur de la Grande Révolution,
Narino, traduit la Déclaration
des droits de l’homme
et du citoyen que l’on
se passe de main en main. Dans ce grand arc atlantique qui va de l’Amérique
du Nord à
la
France en passant par la Nouvelle-Grenade, la question du
consentement à
l’impôt
est le détonateur
de l’exaspération
populaire. Désormais,
afin d’accélérer
les rentrées
fiscales, la Couronne confie la gestion des monopoles à
des
fonctionnaires d’Etat
auxquels les producteurs sont obligés
de vendre le fruit de leur labeur. A la fin du XVIIIe siècle, et en dépit
de toutes les difficultés
rencontrées,
cette politique donne des résultats.
Mais ce succès,
souligne Jean- Pierre Minaudier « eut
un prix politique : la Couronne dut affronter à
la
fin du XVIIIe siècle
une crise sans précédent ».
1768-1774 :
La liberté
de
commerce est instaurée
entre la Nouvelle-Grenade et le Pérou,
puis avec l’ensemble
du continent américain.
1774 :
Le vice-roi Manuel Guirior propose une réforme
du système
éducatif.
Il s’agit
d’introduire
davantage l’étude
des matières
scientifiques.
1777 :
Inauguration de la première
bibliothèque
publique avec plus de quatre mille ouvrages.
1780 :
L’évêque
de Bogota Caballero y Gongora encourage la création
de sociétés
économiques, mais également
de l’imprimerie.
1778-1780 :
Mission du visiteur général
Gutierrez de Pineres. La Couronne lui donne mission d’instaurer
une fois pour toute l’administration
directe des monopoles. Afin d’améliorer
la qualité
du
tabac destiné
à l’exportation, sa culture est limitée
à
quelques
régions.
L’application
de ces mesures, accompagnée
d’une
campagne d’arrachages,
provoque l’exaspération
populaire. D’autant
que la production comme la qualité
baissent.
En outre, l’administration
multiplie les contrôles
tatillons sur les biens et les personnes, préludes
à
de
nouvelles ponctions fiscales.
1781 :
Révolte
des Comuneros.
L’insurrection
éclate
dans la région
de Santander. Les causes sont liées
aux réformes
brutales entreprises par Madrid, ainsi qu’au
refus des créoles
de se laisser déposséder
du pouvoir politique. Sous le commandement de José
Antonio
Galan, les insurgés
marchent sur Bogota. Mais, au dernier moment, les révoltés
négocient
avec l’archevêque
un accord temporaire. Toutefois, le vice-roi Manuel Antonio Flores
refuse de reconnaître
l’accord
signé
et
envoie la troupe écraser
l’insurrection.
A rebours d’une
interprétation
marxiste, la révolte
des communes est une émotion
populaire qui ne vise pas à
renverser
les assises de la société, mais
à
restaurer
un ordre idéal
que le temps aurait altéré.
Le slogan des insurgés
exprime ce loyalisme à
l’ordre
traditionnel : « Viva
el Rey y muera el mal gobierno ».
Ce
qui caractérise
la révolte
des Comuneros,
écrit
Jean-Pierre Minaudier, c’est
« avant
tout la solidarité
de
toutes les classes sociales face aux réformes.
Le peuple révolté
place
à
sa
tête
des membres des élites
locales… Avant
tout, les Créoles
révoltés
aspirent à
une
plus grande autonomie des "communautés" qu’ils
pensent représenter,
comme l’indique
le nom qu’ils
se donnent ; ils refusent qu’une
autorité
extérieure
leur impose des charges supplémentaires
sans négociation ni compensation ».
1782 :
Le vice-roi proclame une amnistie générale, mais fait exécuter
les meneurs comme Galan.
1783 :
Début
de l’expédition
botanique, vaste entreprise scientifique qui vise à
recenser
la faune et la flore de l’ensemble
de l’Amérique
espagnole. Un herbier de vingt mille espèces
est constitué.
1790 :
Vargas publie Mémoire
sur la population du royaume,
où
il
s’attaque
à
l’inégale
répartition
de la propriété
foncière.
1791 :
Publication à Bogota du premier journal, dirigé
par
Manuel del Socorro Rodriguez.
1793 :
Inauguration du théâtre
du Colisée
à
Bogota.
1794 :
Les autorités
font jeter en prison un étudiant,
Narino, qui a traduit et diffusé
à plusieurs
dizaines d’exemplaires
la Déclaration
des droits de l’homme
et du citoyen.
1797 :
Narino rédige
Essai
sur un nouveau plan d’administration
de la vice-royauté.
1801-1802 :
L’expédition
d’Alexandre
von Humboldt traverse la Nouvelle-Grenade.
1808 :
Charles IV d’Espagne
abdique en faveur de son fils Ferdinand VII. Napoléon
envahit l’Espagne
et dépose
Ferdinand VII au profit de son frère
Joseph.
L'indépendance (1810-1830)
L’indépendance
de la Colombie n'a rien d'évident. Elle est arrachée
à
la
pointe du sabre et de la baïonnette
à
une
métropole
décidée à maintenir son autorité. En deux décennies,
la Colombie livre deux guerres d’indépendance
tout en faisant face à
une
tentative de reconquête
espagnole. Les hostilités
opposent républicains
et royalistes, mais dressent également
à
l’intérieur
du camp américain
les patriotes entre eux. La première
république,
la Grande Colombie, ne dure qu’une
dizaine d’années (1819-1830). La figure de Bolivar, pourtant originaire du Venezuela,
domine de très
loin l’époque.
A son retrait, la Grande Colombie éclate
et, de ses dépouilles, naissent l’Equateur,
le Venezuela, et l’actuelle
Colombie.
La
chute des Bourbons est l’occasion
plus que la cause de l’émancipation
des colonies espagnoles. Plus que la monarchie, la véritable
cible des patriotes américains
est le système
de centralisation mis en place à
partir
de la fin du XVIIIe siècle.
En vertu de la « constitution
non écrite »,
les Créoles
estiment être
liés
de manière
personnelle à
la
Couronne et non à
la
nation espagnole. En 1808, cette union personnelle est rompue.
Naturellement, les Américains
reprennent à
leur
compte la souveraineté
désormais
vacante. C’est
ainsi, souligne Jean Pierre Minaudier, que « les
colonies d’Amérique
proclamèrent
leur souveraineté
vis-à-vis
de l’Espagne,
tout en se considérant
encore liées
à
la
dynastie légitime :
un peu, si l’on
veut, selon les mêmes
principes qui président
à
l’actuel
Commonwealth, mais sans l’accord
de la métropole ».
20
juillet 1810 : A cette date, écrit
Jacques Aprile-Gniset, la Colombie connaît en une journée
son « vase
de Soissons et sa prise de la Bastille ».
Ce
jour-là,
à
Bogota,
un habitant ayant besoin d’un
vase s’adresse
à
son
voisin, le fleuriste espagnol, dont la boutique est à
l’angle.
Le vendeur injurie l’Indien
qui le frappe, ce qui ameute toute la ville. Aussitôt
se forme une assemblée
populaire qui oblige le vice-roi à
accorder le
lendemain l’indépendance.
27
novembre 1811 : Un congrès
des Provinces-Unies siège
à
Tunja
et adopte un « Acte
fédéral »
dont
les idéologues
sont Camillo Torres et Miguel Pombo. De tendance fédéraliste,
cette constitution souhaite faire respecter le droit des différentes
provinces de Nouvelle-Grenade. A cette orientation fédéraliste
s’oppose
une tendance plus centralisatrice, groupée
autour d'Antonio Narino. En conséquence,
les délégués
de Bogota et du Chocò
rejettent
l’Acte
fédéral.
9
janvier 1813 : Narino bat les troupes fédéralistes
aux portes de Bogota.
30
mai 1813 : Fédéralistes
et unionistes parviennent à
un
accord. Ils s’accordent
sur la lutte contre l’ennemi
commun espagnol.
12
décembre
1814 : Simon Bolivar, rentré
en
Nouvelle-Grenade après
l’échec
de la Deuxième
République,
entre à
Bogota
dans le but de refaire ses forces. Bogota devient officiellement la
capitale du pays. Mais, rapidement, dégoûté
par
les intrigues et les disputes, Bolivar comprend qu’il
n’arrivera
à
rien.
Pour cette raison, il s’embarque
pour partir en exil à
la
Jamaïque.
1815 :
Suite à
la
chute de Napoléon,
Ferdinand VII remonte sur le trône
d’Espagne
et entreprend de réunir à lui les colonies révoltées.
L’Espagne
envoie un imposant corps expéditionnaire.
Le colonel Pablo Morillo, un vétéran
de la guerre contre la France, est choisi pour le commander. Les
forces espagnoles atteignent un effectif de 10 000 hommes.
Août-décembre
1815 : Siège
de Carthagène.
26
mai 1816 : Bogota tombe aux mains des Espagnols.
1817 :
Rétablissement
de l’audience
de Santa Fé. Un régime
militaire d’une
grande brutalité
s’abat
sur la Colombie. Les républicains
sont pourchassés
et exécutés.
En dehors de cette répression
qui s’attaque
aux élites
locales, les exactions des troupes espagnoles sur la population
civile excitent le ressentiment des populations locales. Dans
l’intérieur,
quelques guérillas
émergent.
Mais faibles, elles ne peuvent rien entreprendre sans une aide
extérieure.
15
février
1819 : Congrès
d’Angostura.
Vingt-six délégués
sont présents
et représentent
le Venezuela et la Nouvelle-Grenade. Y est décidée
la
création
d’un
grand Etat commun. Sous la houlette de Simon Bolivar revenu d’exil
le mouvement s’affirme.
Créole
de Caracas, il a été
élevé
à la
lecture des auteurs des Lumières,
et toute sa jeunesse a vibré
au
rythme des exploits de Napoléon
et de l’Empire.
Pour lui, l’échec
de la Première
République
est d’abord
le fruit d’une
mauvaise constitution, à
la
fois trop libérale,
trop décentralisée,
et sans outil militaire. Aussi écrit-il
dans la Lettre
de Jamaïque
que
« les
institutions parfaitement représentatives
ne sont pas adaptées
à
notre
caractère,
à
nos
coutumes et à
nos
lumières
actuelles ».
De même
que pour lui, il n’est
pas possible d’oublier
l’épineux
problème
de l’esclavage
qui dresse les noirs et les mulâtres
contre leurs maîtres créoles,
partisans de l’indépendance.
Mai-juin-1819 :
Libération
de la Colombie. L’armée
du libérateur
passe les Andes et surprend les Espagnols.
11
juillet 1819 : Bataille de Gameza. Les deux parties s’attribuent
la victoire. Bolivar réussit
cependant à
avancer
vers Tanja, porte d’entrée
de l’Altiplano.
25
juillet 1819 : Les patriotes, grâce
à
une
charge de lanciers bien menée
et à
l’action
décisive
de la légion
anglaise, parviennent à
enfoncer
les lignes espagnoles et à
mettre
en déroute
l’armée
de Madrid.
10 août 1819 : Bolivar entre triomphalement à
Bogota.
Le vice-roi fuit, déguisé
en Indien.
17
décembre
1819 : Le congrès
d’Angostura
scelle l’union
de la Nouvelle-Grenade et du Venezuela en une république
de Colombie composée
de trois départements :
le Venezuela, la Nouvelle-Grenade et Quito. Néanmoins,
une grande partie de ce territoire était
encore sous le joug espagnol : la côte
du Venezuela et, surtout, tout le Sud, puisque, pour Bolivar, la nouvelle
nation devait s’étendre
jusqu’aux
limites du Pérou.
1er
janvier 1820 : Les soldats qui doivent être
embarqués
à
Cadix
en direction des Amériques
se révoltent
et contraignent le roi Ferdinand VII
à rétablir
la constitution espagnole de 1812.
Mai-octobre 1820 :
Bolivar convoque un congrès
constituant à
Cùcuta.
Antonio Narino est chargé
de
diriger les travaux du congrès.
24
juin 1821 : Bataille de Carabobo. Bolivar écrase
le maréchal
Miguel de la Torre.
10
octobre 1821 : Les troupes républicaines
prennent Carthagène.
7
novembre 1821 : Bolivar est élu
président
de la Colombie et Santander vice-président.
16
juin 1822 : Bolivar entre à
Quito.
Effectivement, Bolivar poursuit la lutte contre l’Espagne
en lançant
une campagne de libération
continentale au Pérou
et en Bolivie. Santander exerce la réalité
du
pouvoir en Colombie.
Juillet
1822 : Les Etats-Unis d’Amérique
reconnaissent le nouvel Etat.
1824 :
Tous les suspects de royalisme sont expulsés
de Grande Colombie et leurs biens sont confisqués.
1824-1826 :
Pendant l’absence
de Bolivar, des problèmes
apparaissent au sein du nouvel Etat, du fait du gigantisme de son
territoire, formé de régions
très
différentes.
Les divergences idéologiques
un instant disparues dans l’union
sacrée
contre les Espagnols rejaillissent. Les partisans de Santander
prônent
un Etat faible et laïc.
A l’inverse,
Bolivar défend
l’idée
d’une
Grande Colombie catholique forte et centralisée
aspirant à
l’hégémonie
continentale. Le nouvel Etat se dote d’une
Bibliothèque
nationale, d’un
Musée
national, d’une
école des Mines et d’une
Académie
littéraire.
L’inquisition politique (comme en Espagne) ainsi que la censure religieuse sont abolies.
4
septembre 1826 : Bolivar quitte le Pérou
pour la Colombie.
2
mars 1828 : Bolivar convoque un congrès
dans la ville d’Ocana
afin de réfléchir
à
une
nouvelle constitution plus centralisée.
27
août
1828 : Face aux résistances,
Bolivar passe outre et adopte la « loi
fondamentale »
qui
abolit la précédente
constitution et assume la dictature. Cependant, les difficultés
intérieures
s’aggravent.
25
septembre 1828 : Coup d’Etat
avorté.
Santander est exilé
en
Europe.
3
juin-28 février
1829 : La Grande Colombie est en guerre avec le Pérou
qui lorgne sur le Sud du pays. Le conflit s’achève
sur un statu
quo.
27
décembre
1829 : Le Venezuela
fait sécession.
8
mai 1830 : Incapable de juguler la crise ouverte par la déclaration
d’indépendance
du Venezuela
et affaibli physiquement, Bolivar donne sa démission.
13
mai 1830 : L’Equateur
déclare
également
son indépendance.
Ier
juillet 1830 : Antonio José
de
Sucre, que Bolivar considère
comme son dauphin, est assassiné.
17
décembre
1830 : Bolivar s’éteint
dans la Quinta de San Pedro Alejandrino, à
Santa
Marta. Il écrit
peu avant de mourir que l’ « Amérique
est ingouvernable »,
que « servir
une révolution,
c’est
labourer la mer »,
et que « la
seule chose à
faire
en Amérique,
c’est
d’émigrer ».
20
octobre 1831 : Ce qui reste de la Grande Colombie se regroupe sous le
nom de république
de la Nouvelle-Grenade.
L'improbable stabilisation (1830-1886)
Après
quatre noms successifs, six constitutions, trois coups d’Etats,
neuf guerres civiles et des dizaines de conflits frontaliers avec ses
voisins, le nouvel Etat qui naît
sur les cendres de la Grande Colombie connaît
une gestation douloureuse. Ainsi, souligne Jean Pierre-Minaudier, « cet ensemble de territoires disparates, rassemblés
autrefois sous l’égide
des mêmes
autorités
coloniales, ne formait absolument pas une nation, c’est-à-dire
une communauté
consciente
de son unité
et
désireuse
de partager un destin commun. L’Etat,
faible, dépourvu
de légitimité
et
de projet mobilisateur, se dissout dans la violence et l’anarchie ».
Les
différentes
constitutions s’avèrent
en pratique inapplicables. On raconte que Victor Hugo, le phare
spirituel des constituants, recevant un exemplaire de la constitution
colombienne, s’exclama
que « ce
pays devait être
peuplé
d’anges ».
C’est
aussi au milieu du XIXe siècle
que naissent les deux grands partis qui dominent encore la vie
politique colombienne : les libéraux
et les conservateurs. Quelle différence
y a-t-il entre un conservateur et un libéral
? Garcia Marquez nous l’explique
dans Cent
Ans de solitude : « Les
conservateurs vont à
la
messe de cinq heures, les libéraux
vont à
l’église
à
sept
heures. » En
réalité,
la ligne de fracture entre les deux partis s’affirme
au gré
de
l’esprit
de contradiction. Ainsi, les conservateurs deviennent les porte-drapeaux de la religion et des valeurs traditionnelles parce que les
libéraux
ont une inclinaison plus anticléricale.
A l’inverse,
les libéraux
sont de farouches avocats de la décentralisation
alors que les conservateurs ne croient qu’en
un Etat fort. Le clientélisme
domine la vie politique. A la racine se trouvent les solidarités,
locales et familiales, les réseaux
élaborés
dans les loges maçonniques
ou les confréries
religieuses.
C’est
également
à
cette
époque
qu’émerge
la figure du caudillo,
grand propriétaire
terrien ou chef de guerre intrépide
qui s’appuie
sur un fief, un clan. Plus généralement,
c’est
un homme d’action
épris
de rêve
de grandeur. Un siècle
plus tard, dans son roman L’Homme
à
cheval,
Pierre Drieu la Rochelle en donne cette définition :
« Il
y a beaucoup d’action
dans l’homme
de rêve
et beaucoup de rêve
dans l’homme
d’action. »
29
février
1832 : Une nouvelle constitution est adoptée.
Elle établit
un régime
présidentiel.
De retour d’Europe,
le général
Santander est élu
à
la
charge suprême
par le Congrès.
1833 :
Réélection
de Santander. En dépit
de son expérience
d’homme
d’Etat
et de juriste, il ne parvient pas à
stabiliser
le régime,
en partie faute d’avoir
su se concilier les partisans de Bolivar. L’œuvre
de sa présidence
se borne à
l’abolition
du monopole de l’eau
de vie. Par ailleurs, les frontières
avec le Venezuela
sont fixées.
Toutefois, des imprécisions
demeurent. Les deux pays sont toujours en conflit au sujet du golfe
de Maracaibo.
1837 :
José
Ignacio
de Marquez est élu
président
de la République.
30
juin 1839-mai 1840 : Le pays est plongé dans une guerre civile. Le
Congrès
supprime les couvents de la région
de Pasto, provoquant la révolte
de la population locale. Le général
Pedro Alcantara Herran écrase
la rébellion.
Le chef de l’insurrection,
José
Erato,
est capturé.
Celui-ci accuse le général
José
Maria
Obando, candidat du parti d’opposition
aux prochaines élections
présidentielles,
de ne pas être
étranger
à l’assassinat
de Sucre en 1830. Obando quitte Bogota et rejoint les débris
de la rébellion.
Il profite de la mort de Santander pour sortir de Pasto. Mais le
gouvernement de Bogota anéantit
les insurgés
avec l’aide
de l’Equateur.
Cette ingérence
extérieure
déclenche
une contestation générale.
Les dirigeants insurgés
proclament l’indépendance
de leurs provinces et déclarent
qu’ils
n’accepteront
de réintégrer
le giron de la Nouvelle-Grenade qu’à
condition
qu’elle
se transforme en fédération.
Néanmoins,
les rebelles ne parviennent pas à
s’entendre,
ce qui conduit José
Maria
Obando à
la
déroute.
Le président
Marquez reprend la main et termine son mandat en pacifiant le pays.
1841-1845 :
Présidence
de Pedro Alcantara Herran.
1843 :
Nouvelle Constitution qui renforce l’autorité
du
président.
1845-1849 :
Présidence
de Tomas Cipriano de Mosquera.
1848-1849 :
Formation des partis libéraux
et conservateurs. Les tensions mises en relief par la guerre entre
les bolivaristes et les santandéristes
se cristallisent avec la naissance des partis libéral
et conservateur. Mais la vie démocratique
reste assez réduite.
Le corps électoral
ne dépasse
pas 5 % de la population : les analphabètes,
les journaliers, les domestiques sont exclus du droit de vote, les
esclaves l’étaient
même
de la nationalité
néo-grenadine.
En outre, le collège
en charge de l’élection
du président
ne compte que 1 600 grands électeurs.
1er
avril 1849 : Le libéral
José
Hilario
Lopez accède
à
la
présidence.
Il entreprend aussitôt
une vaste campagne de réformes.
Il abaisse les droits de douane, décentralise
la fiscalité.
La peine de mort pour des motifs politiques est abolie. Les jésuites
sont expulsés
en raison de leur trop grande influence dans l’éducation.
21
mai 1851 : Le gouvernement décide
l’abolition
de l’esclavage.
Cette mesure provoque une brève
période
d’affrontement.
Mais les libéraux
sortent renforcés
de l’épreuve.
1853 :
Nouvelle constitution qui introduit une dose de fédéralisme.
Le Panama devient le premier Etat fédéral.
1854 :
Une courte guerre civile éclate
suite au coup d’Etat
du général
José
Maria
Melo. Melo s’assure
le soutien de Bogota. Mais sans charisme, isolé,
mal organisé,
il ne résiste
que quelques mois face à
l’union
sacrée
des conservateurs et des libéraux.
1857 :
Création
des Etats autonomes de Bolivar, Boyaca, Cauca, Cundinamarca et
Magdelana.
1858 :
Transformation de la république
de Nouvelle-Grenade en un Etat plus décentralisé
nommé
Confédération
grenadine. Le poste de vice-président
est supprimé
et
le suffrage universel direct est adopté
tandis
que le président
est élu
pour quatre ans par le Congrès.
Cependant, malgré
ces
progrès
en direction du fédéralisme,
les libéraux
estiment que le pouvoir central garde encore trop de pouvoir et
souhaitent écarter
l’Eglise
des affaires politiques.
1860-1862 :
Guerre civile. Le général
Tomas Cipriano de Mosquera (ancien président
conservateur de Nouvelle-Grenade devenu entre-temps leader des
libéraux)
proclame la sécession
de l’Etat
du Cauca, le plus vaste des Etats du pays. Il s’empare
de Bogota et se déclare
président
provisoire. L’un
de ses premiers actes est de changer le nom du pays en Etats-Unis de
Colombie espagnole.
4
février
1864 : Convention de Rionegro. Le pays se dote d’une
nouvelle constitution encore plus fédérale.
La Colombie, remarque Jean-Pierre Minaudier, ne fut plus que
l’addition
de neufs Etats confédérés
souverains « qui
menaient chacun leur vie propre, avec leurs constitutions, leurs
lois, leur justice, leur monnaie, leurs douanes, leurs armées.
Au pouvoir confédéral,
il restait en théorie
les relations extérieures
et la conduite de la guerre : mais le président,
dont le mandat avait été
réduit
à
deux
ans, n’avait
même
plus le droit de déclarer
la guerre sans l’accord
des gouverneurs des Etats, ni d’intervenir
en cas de conflit armé
contre le gouvernement de l’un
des Etats. La Constitution limitait les forces armées
confédérales
à
mille
hommes, une garde nationale inoffensive, bonne à
parader
aux fêtes
nationales. »
Instituée
pour éviter
le retour d'un caudillo aspirant à
la
dictature à
l’échelle
nationale, la constitution plonge la Colombie en campagne électorale
permanente du fait de la brièveté
des
mandats. La fraude explose. Ainsi, en 1875, le futur président
Rafael Nunez obtient dans l’Etat
de Bolivar plus de voix que l'Etat ne comptait d’hommes
adultes.
1er
avril 1864 : Le général
Mosquera cède
la place de président
à
Manuel
Murillo Toro. Il radicalise sa politique religieuse et fait voter une
loi expulsant les membres du clergé
ne
jurant pas fidélité
à la
constitution.
1866 :
Mosquera est réélu
président
de la République.
Sur le plan de la politique étrangère,
il tente de maintenir la neutralité
du
pays dans la guerre qui oppose l’Amérique
du Sud à
l’Espagne.
Il ouvre les ports colombiens aux belligérants.
1867 : Un
scandale éclate
au sujet de l’achat
aux Etats-Unis d’un
navire de guerre. Après
avoir suspendu les activités
du Congrès
pour un an, il est renversé
par
un coup d’Etat
radical et exilé.
Ce coup d’Etat
entérine
le début
de l’hégémonie
politique des libéraux
radicaux.
1er
avril 1868 : Santos Gutierrez est élu
président.
Il fait face à
plusieurs
révoltes
qu’il
réprime
sans problèmes.
1870 :
Election d’Eustorgios
Salgar à
la
présidence
de la République.
L’éducation
s’améliore
avec la création
d’écoles
normales. Un traité
est
signé
avec
Washington au sujet de Panama et de la voie de chemin fer qui permet
la liaison entre les océans.
1872 :
Bogota devient la capitale fédérale.
1872-1874 :
Mandat présidentiel
de Manuel Murillo Toro.
1874-1876 :
Mandat de Santiago Pérez
de Manosalbas.
1876-1877 :
Guerre civile. Elle éclate
à
cause
de la frustration des conservateurs privés
de postes et qui sont furieux de la politique anticléricale
des libéraux.
Des troubles perturbent la tenue des élections
présidentielles.
Le Congrès
finit par élire
Aquileo Parra. Les conservateurs refusent de reconnaître
le résultat.
Le général
Largacha mate la rébellion.
1er
avril 1878 : Le général
Largacha, le vainqueur de la guerre, est élu
à la
présidence.
Son mandat est compliqué
car
les caisses de l’Etat
sont vides et l’autorité
du
pouvoir central est toujours contestée.
10
janvier 1880 : Ferdinand de Lesseps débute
les travaux de percement du canal de Panama qui est encore en
territoire colombien.
1er
avril 1880 : Le docteur Rafael Nunez est élu
à
présidence.
Libéral,
il a effectué
plusieurs
voyages d’étude
en Europe. Lucide, il observe que l’anarchie
et de trop grandes libertés
aboutissent au chaos. Pour cette raison, il préconise
un Etat central fort et respecté.
1er
avril 1882 : Le docteur Francisco Javier Zaldua est élu
président
sans candidat de l’opposition.
Il sert en réalité
d’alibi
à
Rafael
Nunez. La constitution interdit à
celui-ci
d’enchaîner
deux mandats consécutifs.
1er
avril 1884 : Rafael Nunez est réélu
à
la
présidence.
Janvier
1885 : Sept Etats se révoltent.
Leurs milices occupent toute une bande côtière
le long du rio Magdalena. Nunez, avec la bienveillance de Washington,
mène
une campagne militaire qui rétablit
l’ordre.
Nunez se rapproche des conservateurs et fonde le parti national.
5
août 1886 : Le Congrès
élabore
une nouvelle refonte constitutionnelle. Le pays abandonne
l’appellation
d’Etats-Unis
de Colombie pour relever celui de république
unitaire de Colombie. Les neufs Etats
souverains sont abolis et remplacés
par trente-deux départements.
Dorénavant,
les gouverneurs et les maires sont nommés
directement par le gouvernement et non plus élus.
Les lois, la monnaie, la collecte de l’impôt
redeviennent des prérogatives
régaliennes.
Les armées
régionales
sont prohibées.
Le président
jouit désormais
de larges pouvoirs. Il n’est
pas responsable de ses actes et peut, en cas de crise, proclamer l’état
de siège.
La régénération et l'âge d'or du conservatisme (1886-1930)
Les
institutions conçues
à
la
fin du XIXe siècle
ont charpenté
toute
l’histoire
politique de la Colombie jusqu’en
1991. Elles partent d’un
constat d’échec.
Ainsi, Nunez, en résumant
l’expérience
du libéralisme
radical, écrivait
en 1886 : « Nous
avons fait de la liberté
humaine
un idéal
stupide semblable aux idoles sanglantes des tribus barbares, source
fangeuse de dispositions aveugles qui perturbent le jugement et
finissent par plonger chaque citoyen dans la plus déplorable
des servitudes, la dépression
morale. »
A
cause de la décentralisation
à
outrance,
il n’existe
aucun réseau
routier national, ce qui renforce le cloisonnement entre les régions.
L’industrialisation
est inexistante.
Cette
seconde renaissance, cette régénération
nationale se fait dans le sang et la douleur, tant les haines et les
fossés
sont profonds entre les différentes
composantes de la population. Le pays qui endure trois nouvelles
guerres civiles est amputé
d’une
partie de son territoire. Pourtant, après
1905, la Colombie connaît quatre décennies
de paix et de stabilité.
L’homme
va défricher
trois fois plus qu’il
ne l’avait
fait durant les siècles
précédents.
En Antioquia, qui ne comptait que quarante-huit bourgs et hameaux en 1800,
naîtront cinquante-et-un villages nouveaux avant 1900, dont vingt-sept dans les cinquante dernières
années.
1887 :
Concordat avec le Vatican qui rend à
l’Eglise
le contrôle
de l’éducation
et reconnaît
le catholicisme comme religion de la République
colombienne.
1888 :
La loi dite « de Ley de los Caballos » permet d’interdire
les journaux d’orientation
libérale.
1894-1898 :
Election à
la
présidence
de Miguel Antonio Caro.
22
janvier 1895 : Le directeur de la nouvelle police nationale
colombienne, le commissaire français
Jean-Marie Marcelin Gilbert, déjoue
une conspiration organisée
depuis l’étranger
par le général
libéral
Avelino Rosas Cordoba qui pensait faire arrêter
le président
Miguel Antonio Caro.
Janvier-mars
1895 : Les libéraux
s’insurgent
et la révolte
se répand
dans
toute
la Colombie. Mais elle est rapidement écrasée.
1898 :
Election de Sanclemente, âgé
de
85 ans, à
la
présidence
de la République.
1899-1902 :
Guerre des Mille Jours. C’est
la dernière
et la plus meurtrière
des guerres civiles du XIXe siècle.
Sous la houlette des généraux
Gomez Pinzon, Herrera et Uribe, les libéraux
essayent de profiter de la crise qui agite le parti conservateur. En
raison de son âge, Sanclemente a du mal à
se
faire respecter. Mais les libéraux
ne parviennent pas à
trouver
des alliés
et, surtout, s’avèrent
incapables de faire face à
l’armée
nationale modernisée
et équipée
à
l’européenne.
La guerre est responsable d’énormes
destructions, de l’effondrement
du commerce, de campagnes saccagées,
de la mort de plus de cent mille personnes (3 % de la population). Le
conflit s’arrête
par épuisement.
En outre, les Etats-Unis réussissent
à
faire
parapher un accord de paix entre les belligérants.
Il est signé
à bord
du cuirassé
Wisconsin.
Les libéraux
renoncent à
la
lutte armée
et sont amnistiés.
Janvier
1903 : Le gouvernement colombien signe le traité
Herran-Hay
qui prévoit
la concession du canal de Panama et d’une
bande de terre de 5 kilomètres de large
en
échange
d’un
dédommagement
de 10 millions de dollars. Mais le Congrès
colombien refuse de le ratifier. Irrités,
les Américains
décident
d’apporter
leur soutien aux autonomistes panaméens.
3
novembre 1903 : Coup de force des indépendantistes
panaméens
soutenus par les soldats américains.
La république
de Panama est proclamée.
Par la suite, la Colombie sera indemnisée
pour la perte du Panama, soit un total de 25 millions de dollars.
1904 :
Rafael Reyes est élu
à
la
présidence.
Dans le domaine de l’économie,
l’action
du nouveau président
vise à
accélérer
la modernisation des transports et à
protéger
une industrie naissante grâce
à
des
tarifs douaniers élevés
(augmentés
de 70 % en 1907).
1905 :
Reyes met fin aux travaux du Congrès
et convoque une assemblée
dont il désigne
les membres.
1906 :
Un attentat raté
déclenche
la répression
contre les milieux libéraux.
1909 :
Reyes signe avec les Etats-Unis un traité
qui
entérine
la perte du Panama et autorise les bâtiments
de l’US
Navy à
faire
escale dans les ports colombiens en cas de guerre. L’accord
est rejeté
par
l’assemblée,
ce qui oblige Reyes à
donner
sa démission.
1910 :
La coalition hétéroclite
qui a déchu
Reyes se rassemble au sein d’un
nouveau parti, le Parti républicain,
le parti qui porte à
la
présidence
le conservateur Carlos Eugenio Restrepo. La durée
du mandat présidentiel
est ramenée
à
quatre
ans et les mandats successifs sont prohibés.
Désormais, le chef de l’Etat
est élu
au suffrage universel. Quelle que soit la nature du crime, la peine
de mort est définitivement
supprimée.
1914 :
Election du conservateur José
Vicente
Concha qui forme un gouvernement purement conservateur.
1918 :
Election du conservateur Marco Fidel Suarez.
1920 :
La Colombie devient le deuxième
producteur de café
au
monde. La United Fruit Company emploie 25 000 personnes. Néanmoins,
la United Fruit demeure une compagnie étrangère
détestée
(elle dispose de ses propres lois qui priment sur le droit national). Elle ne s’intéresse
pas au développement
du pays. Les dividendes ne sont pas réinvestis
sur place. La firme utilise un personnel qualifié
américain
et exploite la main-d’œuvre
autochtone. L’élevage
de viande ovine double et la Colombie exporte sa marchandise vers les
Antilles et les Etats-Unis.
1921 :
La compagnie américaine
ouvre sa première
raffinerie en Colombie. Une décennie
plus tard, le pays exporte vingt millions de barils.
1922 :
Election du conservateur Pedro Nel Ospina dans des circonstances
douteuses.
1923 :
Création
de la banque centrale. La surintendance bancaire (institution chargée
de contrôler
le système
financier) et le contrôle
général
(organisme chargé
de
contrôler
les dépenses
de l’Etat).
1924 :
Naissance du Parti socialiste révolutionnaire
d’obédience
marxiste.
1925-1929 :
Spéculation
effrénée.
Afflux massif de capitaux américains
qui va de pair avec l’endettement.
Cette période
de croissance est appelée
par la suite, la « Danse
des millions ».
1926 :
Election de Miguel Abadia Mendez sans candidat d’opposition.
1928 :
Massacre des bananeraies, dans la ville de Ciénéga
au nord de la Colombie, lorsqu’un
régiment
fait feu sur des grévistes
de la United Fruit Company, faisant cent morts et deux cent cinquante blessés.
1929 :
Après
des échauffourées
entre étudiants
qui font un mort, le maire de Bogota doit démissionner.
Le climat devient si tendu que le parti conservateur se scinde en
deux.
1930 :
Les libéraux
présentent
Enrique Olaya Herrera qui est élu
président.
Trois décennies
de règne
sans partage des conservateurs prennent fin.
L'impossible république libérale (1930-1957)
Trois
épisodes
scandent cette triple décennie :
l’accession
aux affaires des libéraux
et l’application
de leur programme avancé ;
puis la montée
fulgurante de Jorge Eliecer Gaitan. Il soutient les petits planteurs
de café,
encourage l’instruction
publique, défend
l’idée
d’un
organisme proposant des habitations accessibles à
tous.
A la fois nationalistes et révolutionnaires
ses idées
mêlent
bolivarisme et quête
d’un
homme nouveau affranchi de la domination du capitalisme
international. Comme il est mort fauché
dans
la fleur de l’âge
à
quelques
mois d’un
scrutin dont il était
le favori, il est devenu un personnage mythique, même si ses idées
n’ont
jamais pu être
confrontées à l’épreuve
du pouvoir.
Enfin,
une nouvelle guerre civile éclate,
sempiternelle répétition
de la haine séculaire
entre bleus et rouges. Jacques Aprile Griset remarque que l’idéologie
est reléguée
au second plan. « Depuis
longtemps déjà
un
libéral
n’est
pour un conservateur qu’un
sale cachiporro qui lui-même
méprise
l’affreux
godo. On ne choisit d’ailleurs
pas son étiquette
car on naît
dans une famille où
un
lointain ancêtre
a déjà
choisi
une fois pour toutes, et pour tous ceux qui suivront. »
Simultanément,
l’insertion
du pays dans le concert mondial se poursuit. Les différences
entre les régions
s’estompent
et un authentique sentiment national émerge.
1931 :
Effondrement du cours du café
suite
à
la
crise aux Etats-Unis. L’étalon-or est abandonné
et
le contrôle
des changes instauré.
Le peso est dévalué
et
l’inflation
atteint jusqu’à
40 %
par an.
1932-1933 :
Guerre entre la Colombie et le Pérou.
Le président
péruvien
s’avance
en territoire colombien dans le but d’annexer
le trapèze
amazonien au sud du pays. La marine colombienne riposte tandis que
l’aviation
péruvienne
lance plusieurs raids. Les Colombiens ont recours à
plusieurs
centaines de mercenaires allemands. Après
l’assassinat
du président
péruvien,
le conflit cesse et un traité
de
paix est signé
qui
confirme la frontière
entre les deux pays.
1933 :
Jorge Elicier Gaitan fonde l’UNIR,
l’Union nationale révolutionnaire
de gauche, qui s’inspire
du PRI mexicain et des Chemises noires italiennes…
Jeune
boursier doctorant en droit, Gaitan a passé
plusieurs
années
en Italie. L’exemple
mussolinien l’a
beaucoup impressionné.
1934 :
Election du président
Afonso Lopez Pumarejo. Issu d’un
milieu bourgeois de producteurs de café,
il lance en s’inspirant
du New Deal de Roosevelt l’idée
d’une
« Révolution
en marche ».
1935 :
Le gouvernement réunit
une commission d’enquête
sur les conditions de vie des ouvriers de la Tropical Oil.
1936 :
Double réforme
agraire et constitutionnelle. L’Etat
reconnaît
aux colons la propriété
de
la terre qu’ils
ont mis en culture. Toutes les corvées
en nature et en travail sont supprimées.
Le clergé
perd
son immunité
fiscale.
La nouvelle constitution garantit le droit de grève.
23
mars 1936 : Gaitan est nommé
maire
de Bogota. Il lance une ambitieuse politique d’éducation
populaire qui vise à améliorer
la santé
et
l’hygiène.
1937 :
Le directeur de la United Fruit est emprisonné
pour
infraction à
la
législation
sociale.
1938 :
L’alphabétisation
progresse de 11 % en 1900 à
41 %
en 1938.
1940 :
Avec la guerre, le marché
du
café
connaît
un nouvel effondrement. Les exportations diminuent de 20 %.
1941 :
La Colombie déclare
la guerre à
l’Axe.
Les entreprises allemandes sont nationalisées.
1942 :
Réélection
de Lopez Pumarejo.
1943 :
Lopez Pumarejo laisse le pouvoir pendant plusieurs mois à
un
président
intérimaire.
1945 :
Instauration d’un
code du travail. Il limite la durée
du travail, institue des congés
payés.
1946 :
Election du conservateur Ospina Pérez
à
la
présidence
de la République.
1947 :
Gaitan, après
avoir réintégré
les
rangs du parti libéral,
lance la campagne des élections
présidentielles.
Tribun de la plèbe
hors pair, il joue de son aspect physique imposant, de sa mâchoire
proéminente.
En bras de chemise, il sue, tonne et éructe.
Ses discours sont simples et vigoureux. Il réserve
ses attaques « les
plus féroces
aux oligarchies et plus encore qu’à
la
ploutocratie, à
ce
pays politique coupé
du
peuple, qui profitait de son pouvoir pour exploiter la sueur du pays
national »
remarque
Jean-Pierre Minaudier.
Il conclut chacune de ses harangues par son cri de ralliement : « A
la
charge ! »
9
mars 1948 : En début
d’après-midi,
Gaitan est assassiné
en
plein centre de Bogota alors que vient de s’ouvrir
la première
conférence
panaméricaine.
Les mobiles du meurtre restent obscurs : mari jaloux, déséquilibré,
tueur à
gage
engagé
par
les conservateurs. Car, en quelques minutes, il est lynché
par
la foule en fureur. Immédiatement,
c’est
l’anarchie.
La masse déchaînée,
écrit
Jacques Aprile-Gniset
« descend
dans la rue et incendie joyeusement tramways, banques, ministères,
églises
et collèges,
magasins de luxe, bref une bonne moitié
du
centre d’une
capitale comptant alors 500 000 habitants. Dans vingt villes,
l’émeute
populaire éclate,
brutale, mais le président,
fort de l’appui
américain,
refuse de démissionner.
Il arrive même
à
effrayer
les dirigeants libéraux
qui lâchent
leurs troupes, convaincus qu’elles
sont manœuvrées
par les communistes. L’armée
entre en scène
et, deux jours plus tard, on enterre entre 3 000 et 5 000 victimes ».
Cet épisode
dramatique a joué
un
rôle
essentiel dans la propagation de l’idée
d’un
peuple immature et barbare. Après
les événements, on interdit symboliquement la vente de la chicha, la bière
de maïs
traditionnelle des Indiens et des métis.
30
avril 1948 : Fin de la Conférence
panaméricaine
et naissance de l’Organisation
des Etats américains (OEA).
Mai
1949 : Les ministres libéraux
quittent le gouvernement.
Novembre
1949 : Le président
Ospina Pérez
met un terme aux activités
du Congrès
où
les
libéraux
demeurent majoritaires. Ces derniers décident
de boycotter l’élection
présidentielle
remportée
par le conservateur Laureano Gomez. Surnommé
le
« Monstre »,
il incarne le conservatisme radical. Admirateur de l’expérience
de Salazar, il rêve
d’instaurer
un ordre nouveau à
la
fois autoritaire et corporatiste. Immédiatement,
il désigne
les libéraux
à
la
vindicte : « En
Colombie, on parle encore du Parti libéral
pour désigner
une masse amorphe, informe et contradictoire que l’on
peut seulement comparer à
une
création
imaginaire d’époques
révolues :
le basilic. Notre basilic se meut grâce
à
des
pieds de confusion et de stupidité,
sur des jambes de brutalité
et
de violence qui traînent
son énorme
ventre oligarchique ; avec une poitrine assoiffée
de vengeance, des bras francs-maçons,
et une petite, toute petite tête
communiste ; mais c’est
la tête. »
1951 :
Dans les confins du pays, des insurgés
proclament des républiques
libérales.
Juin
1951 : Fidèle
alliée
de Washington, la Colombie est le seul pays d’Amérique
du Sud à envoyer un bataillon sous mandat des Nations unies,
participer aux opérations
en Corée.
1952 :
Les insurgés
tiennent une conférence
nationale dans le Boyaca.
1953 :
Nomination d’un
« commandant
en chef des guérillas »
en
la personne de Guadalupe Salcedo. Leur nombre s’élève
à
10
000. Ils éditent
deux manifestes, où
ils
exigent une réforme
agraire drastique.
Juin
1953 : Coup d’Etat
de l’armée
qui porte au pouvoir le général
Rojas Pinilla. Il promulgue aussitôt
une amnistie générale.
Mais celui-ci se met à
rêver
d’un
destin à
la
Peron. Il cherche à
mettre
sur pied une troisième
voie politique à
équidistance
des libéraux
et des conservateurs : le Mouvement d’action
nationale soutenu par le double pilier peuple-armée.
Pinailla souhaite se présenter
aux présidentielles
de 1958.
1954 :
Des manifestations étudiantes
sont réprimées.
Juillet
1956 : Pacte de Benidorm. Les libéraux
et les conservateurs réunis
en Espagne donnent naissance au Front national. Ils unissent leur
force contre Pinilla. Les deux partis s’engagent
pendant seize ans à
se
partager le pouvoir à
tous
les niveaux, et à
se
partager les postes de l’administration
publique. Aux quatre prochaines élections
présidentielles,
les deux partis présentent
un même
candidat. Le premier tour revient aux libéraux.
Ainsi, écrit
Jean-Pierre Minaudier, « les
conservateurs et les libéraux,
enfin conscients que ce qui les séparait
était
infiniment moins important que ce qui les rapprochait, ne formaient
plus pour seize ans qu’un
étrange
parti unique du genre siamois, pourvu d’une
seule tête,
de deux visages distincts et de deux corps étroitement
mêlés
l’un
à
l’autre ».
Mai
1957 : Une grève
générale
éclate,
soutenue aussi bien par l’Eglise
que par les syndicats. Pinailla est poussé
à la
démission.
Décembre
1957 : Le pacte de Benidorm est soumis à
un
plébiscite.
Mai
1958 : Le premier président
libéral
du Front national, Alberto Liera Camargo, est élu.
Entre Marx et Pablo Escobar (1958-2002)
A
la différence
d’autres
pays d’Amérique
du Sud, la Colombie a beaucoup moins souffert des soubresauts de
l’économie
planétaire.
Elle n’a
enduré
ni
chômage
de masse, ni hyperflation, ni récession.
L’endettement
est très
supportable. C’est
l’unique
pays d’Amérique
latine qui n’a
jamais eu besoin de négocier
l’étalement
de ses créances
avec le FMI. En revanche, loin de trouver un point d’équilibre,
le système
politique s’est
desséché,
victime du partage du pouvoir entre bleus et rouges. Le système
fait l’objet
d’un
rejet de plus en plus violent. A partir des années
quatre-vingt, les guérillas
contrôlent
des pans entiers du pays. Les Forces armées
colombiennes (FARC) rêvent
encore de la société
sans
classes, bien que le marxisme soit entré
en
phase terminale.
En
réalité,
dans les campagnes, les soldats perdus de la guérilla
se sont mués
en mercenaires de causes de moins en moins politiques. Le trafic de
drogue, le racket et les enlèvements
deviennent progressivement une fin en soi. Les homicides se comptent
par dizaines de milliers ; c’est
la première
cause de décès.
Ainsi, selon les statistiques, 10 % des assassinats au monde sont
commis en Colombie alors que les Colombiens ne représentent
que 0,5 % de la population de la planète…
Les
barons de la drogue ajoutent au chaos l’immoralité
d’un
argent-roi qui arrose toutes les strates de l’économie,
quand ce n’est
pas de la politique colombienne. L’argent
sale se déverse
à
gros
bouillons. Il finance les campagnes des candidats quelles que soient
leurs couleurs. Il décide
aussi des résultats.
En 1994, une voix valait 50 000 pesos (un peu plus de 100 euros),
soit quinze jours de salaire. Ainsi, écrit
Jean-Pierre Minaudier, « toutes
les valeurs ont été
bouleversées
par l’émergence
brutale d’une
nouvelle élite
exclusivement formée
de malfaiteurs fabuleusement riches ; en particulier le fameux cartel
de Medellin formé
de
sous-prolétaires
parvenus, vulgaires et m’as-tu-vu ».
1962 :
Election à
la
présidence
du conservateur Guillermo Léon
Valencia.
1961 :
De retour d’exil,
Rojas Pinilla fonde l’Alliance
nationale populaire. Mouvement social-national qui, sur le modèle
du péronisme,
entend rallier tous les opposants à
l’alliance
contre nature des bleus et des rouges.
1963 :
L’Etat
colombien opte pour la politique d’industrialisation
par substitution des exportations. Le principe est simple : instaurer
des barrières
douanières
drastiques, dans le but de servir de béquilles
aux industries balbutiantes ; encourager les exportations au moyen de
subventions et privilégier
la production nationale dans les achats.
1964 :
Création
des Forces armées
révolutionnaires
de Colombie. D’obédience
marxiste-léniniste,
ce mouvement prend de l’ampleur
sous la houlette du commandant Manuel Marulanda Vélez.
Il est très
proche de l’appareil
du PC clandestin.
1966 :
Election à
la
présidence
du libéral
Carlos Lieras Restrepo. Comme le résultat
des élections
ne fait aucun doute, la participation s’effondre
à
moins
de 30 %.
1968 :
Lieras Restrepo lève
l’Etat
de siège.
1967 :
Adoption d’un
système
de dévaluation
progressif du peso vis-à-vis
du dollar. En quelques années,
le PIB croît
de 6 % par an en moyenne.
1970 :
Election à
la
présidence
du libéral
Pastrana Borrero. Il l’emporte
d’une
courte tête
face à
Rojas.
Vraisemblablement, les résultats
ont été
truqués,
ce qui provoque la colère
des partisans de Rojas dont certains optent désormais
pour la lutte armée
et fondent le M-19. Ce mouvement se fait remarquer par ses actions
spectaculaires comme le vol de l’épée
de Bolivar.
1971 :
Une série
de manifestions sur les campus universitaires sont réprimées
dans le sang. La gauche étudiante
se radicalise et commence à
fournir
des cadres à
la
lutte armée.
1974 :
Election d’Alfonso
Lopez Michelsen à
la
présidence.
Le système
de partage des pouvoirs entre libéraux
et conservateurs prend fin.
1975 :
Apparition du trafic de coca. A l’origine,
il s’agit
juste d’une
activité
de
transformation. Les feuilles cultivées
en Bolivie et au Pérou
sont transformées
dans des laboratoires clandestins en pleine jungle. Les raisons qui
expliquent que la Colombie soit devenue le pays phare de la
production de drogue sont triples. Tout d’abord,
elle n’est
distante que de trois heures en avion des Etats-Unis. Ensuite, le
territoire national est constitué
de
très
larges tâches
blanches peu ou pas contrôlées. Enfin,
l’Etat
ferme les yeux sur la provenance des capitaux abondants qui
irriguent l’ensemble
de l’économie
et sont à
l’origine
du dynamisme de l’économie,
quels que soient les aléas
de la conjoncture mondiale. Endurante, la coca ne demande que peu de
soins. Le travail est faible en proportion des gains escomptés
et des surfaces cultivées.
1978 :
Election de Julio César
Turbay Ayala à
la
présidence.
1979 :
Signature d’un
traité
d’extradition
entre les Etats-Unis et la Colombie. Il prévoit
de livrer aux Etats-Unis les trafiquants de drogue.
1980 :
La politique de substitution aux importations est à
bout
de souffle. Les barrières
douanières
élevées
sont un frein à
l’innovation.
Elles protègent
une production nationale dont la qualité
n’est
pas le souci premier. A part le café,
les exportations s’écoulent
difficilement. En outre, l’argent
facile de la drogue ou du café
alimente
l’inflation
au détriment
du travail et de l’investissement.
Février
1980 : Le M-19 organise l’enlèvement
d’une
douzaine d’ambassadeurs
à
l’occasion
d’un
cocktail à
l’ambassade
dominicaine, dont celui des Etats-Unis et du Vatican.
1981 :
Interception, au large de la côte
Pacifique, d’un
bateau bourré
d’armes
en provenance de Cuba et à
destination
de la guérilla.
Les relations entre La Havane et Bogota sont rompues.
1982 :
Election du conservateur Belisario Betancur. Il décide
une amnistie sans conditions aux guerilleros qui ne sont pas obligés
de rendre leurs armes.
1984 :
Les FARC et le M-19 acceptent le cessez-le-feu.
1985 :
Les guérillas se coordonnent et décident
de reprendre la lutte armée.
1986 :
Election du libéral
Virgilio Barco.
Mars
1986 : Une coulée
de boue dévalant
les pentes d’un
volcan en éruption
submerge la ville d’Armero,
faisant plus de 20 000 morts.
Juin
1986 : Spectaculaire opération
du M-19 contre le palais de Justice de Bogota. La prise d’assaut
du bâtiment
par l’armée
provoque le massacre de plus de cent personnes, dont la moitié
des
juges suprêmes.
1988 :
Le trafic de drogue prend des proportions dramatiques. La drogue
provoque un afflux de devises, de dollars. Ce qui provoque un
renchérissement
du peso. L’industrie
nationale est découragée,
la spéculation
explose.
1989 :
Assassinat en pleine campagne présidentielle
du candidat des libéraux,
Luis Carlos Galan. L’état
de guerre est déclaré.
L'Etat fait saisir les propriétés
des parrains du cartel de Medellin.
1990 :
Election de César
Gavirias. Epaulé
par les
Etats-Unis, il entreprend une vaste campagne anti-drogue. Lors de ces
élections et pour la première
fois, l’usage
de l’isoloir
est obligatoire. Pour la première
fois également,
les électeurs
votent avec des bulletins imprimés
par le gouvernement et non par les partis. La Constitution est
réécrite.
1991 :
Pablo Escobar, qui est traqué, accepte
de se rendre. Il est incarcéré
dans
une prison trois étoiles
qu’il
a lui-même
fait construire. Entouré
de
ses gardes du corps, il continue néanmoins
à
diriger
son « entreprise ».
Pour obtenir la capture d’Escobar,
le président
Gavirias est contraint de céder
sur la question de l’extradition.
Ce principe est même
désormais
inscrit dans la nouvelle constitution.
1992 :
Pablo Escobar s’évade
de manière
spectaculaire de sa prison. Il est aussitôt
pourchassé
par
toutes les polices et des mercenaires alléchés
par la prime de plusieurs millions de dollars qui est offerte.
1993 :
Pablo Escobar est abattu à
l’issue
d’une
cavale rocambolesque à
Medellin.
1994 :
César
Gaviria devient pour cinq ans le secrétaire
général
de l’Organisation
des Etats américains.
Avril 1994 : Election du libéral
Ernesto Samper à
la
présidence.
Il est aussitôt
victime d’un
scandale financier ayant trait au financement de sa campagne par le
cartel de Cali. Bien que dédouané
personnellement,
ce scandale le discrédite
totalement.
Mai
1994 : La Cour constitutionnelle décide
de dépénaliser
l’usage
de la drogue au nom du respect des libertés
individuelles.
1996-1998 :
Les FARC lancent une offensive militaire d’envergure
qui étrille
durement les unités
antiguérilla
de l’armée.
1997 :
Essor des milices paysannes qui travaillent en coopération
avec l’armée.
Juin
1998 : Le conservateur Andrés
Pastranas Arango est élu
président.
Aussitôt,
il commence à
négocier
avec les FARC. Une zone démilitarisée
est donnée
aux FARC sur plusieurs dizaines de milliers de kilomètres carrés. Des prisonniers
sont libérés.
Mais l’autorité
de
l’Etat
se délite
tandis que l’économie
entre en récession.
2000 :
Les autorités
colombiennes obtiennent des Etats-Unis le lancement du plan Colombie
2000. Washington injecte 1,6 milliard de dollars dans la lutte
antidrogue et accepte de prendre en charge la formation de l’armée
colombienne.
Le sursaut ? (2002-...)
En
une décennie,
grâce
à
une
politique volontariste, la situation est rétablie.
L’Etat
a repris le contrôle
de régions
entières
qui lui échappaient
jusqu’alors.
Repoussés
aux confins des frontières
du Venezuela et du Brésil,
les combattants des FARC font dorénavant
profil bas. La conjoncture économique
s’est
aussi améliorée.
En définitive,
le drame, écrit
Jean-Pierre Minaudier, « c’est
que les Colombiens manquent tout simplement du sens de la vie en
société,
de ce qu’il
faut accepter de limites à
l’individualisme
pour que l’individu
puisse s’épanouir :
ils on toujours été
seuls
aux moments difficiles ; les autorités,
toutes les autorités, leur ont toujours beaucoup pris et peu donné ».
2002 :
Election d'Alvaro Uribe à
la
présidence.
Il est plébiscité
dès
le premier tour, ce qui prouve que les Colombiens approuvent son
discours de fermeté
à l’égard
des groupes armés
et sa volonté
de
restaurer l’autorité
de
l’Etat
sur l’ensemble
du territoire, au nom d'une politique de « sécurité
démocratique ».
2003-2004 :
30 000 soldats professionnels sont recrutés
et un réseau
de surveillance civique de plus d’un
million de personnes est mis sur pied. Les champs de coca sont
détruits
grâce
à
l’épandage
massif d’herbicide.
Des centaines d’otages
sont libérés
et le nombre d’homicides
chute spectaculairement. Les FARC sont malmenés
et nombre de leurs soldats désertent.
2006 :
Alvaro Uribe est réélu
à
la
présidence
dès
le premier tour.
2008 :
L’opération
Jaque
permet
la libération
d’otages
des FARC dont Ingrid Betancourt. C’est
une victoire de sa ligne puisqu' il
réussit
à
libérer
la célèbre Française
tout en refusant de négocier
avec l’organisation
terroriste.
2009-2010 :
Les relations entre le Venezuela et la Colombie se tendent. Des
documents démontrent
que le Venezuela a apporté
un
soutien financier aux FARC. Par ailleurs, alors qu’Uribe, qui n’a
jamais caché
sa
proximité
personnelle
avec Georges Bush, campe sur des positions pro-américaines,
Hugo Chavez se fait le chantre de la lutte contre l’impérialisme.
Les deux pays rompent leurs relations diplomatiques.
2010 :
Juan Mauel Santos est élu
président
après
le rejet par la Cour constitutionnelle d’une
loi autorisant Alvaro Uribe de briguer un troisième
mandat. Son homme de confiance et ancien ministre de la Défense
prend la succession.
2011 :
Le Venezuela et la Colombie restaurent leurs relations
diplomatiques.
2012 :
Juan Manuel Santos se prononce pour l’ouverture
d’un
dialogue avec les FARC à
condition
que ceux-ci commencent à
libérer
les otages. Cette volte-face lui vaut les attaques de son ancien
mentor Alvaro Uribe. Des négociations sont ouvertes à la Havane avec al guerilla
2013 :
Uribe fonde le Centre démocratique.
La rupture entre Uribe et Santos est consommée.
2014 :
En dépit d’un premier tour favorable au
candidat du Centre démocratique, Juan Manuel Santos est réélu avec
50,95% des voix à la présidence de la République.
Sortie
d’une crise politique qui l’a affectée pendant plusieurs
décennies qui l’ont vue plongée dans une interminable guerre
civile, la Colombie a entrepris d’en finir avec le fléau qu’a
longtemps constitué le trafic de drogue, devenue, avant le café,
son premier produit d’exportation. Même si de nombreuses
fragilités demeurent, le pays profite d’un incontestable dynamisme
économique (5,7% de croissance en 2011, 4,8% en 2014). Partenaire
privilégié des États-Unis
en Amérique latine, il apparaît en revanche un peu isolé
politiquement face aux voisins « anti-impérialistes »
que sont le Venezuela, la Bolivie et l’Équateur.
Avec un taux de croissance de près de 5% par an – que
l’on peut comparer à la récession (-3%)
qui affecte le Venezuela – le pays dispose de solides
atouts pour affronter l’avenir. La dépendance aux exportations de
pétrole (60% des recettes d’exportation) constitue cependant une
fragilité.
2015 :
Les négociations engagées avec les FARC se révèlent plus
difficiles que prévu et butent notamment sur le statut qui sera
réservé aux guérilleros démobilisés. La désescalade n’en est
pas moins engagée sur tout le territoire et l’année 2015 s’avère
être la plus pacifique depuis 1990. Le 20 août, le président
vénézuélien Nicolas Maduro, successeur de Chavez, a fait fermer la
frontière entre les deux pays et a expulsé plus de 20 000
Colombiens alors que Juan Manuel Santos rappelait son ambassadeur à
Caracas. Le commerce bilatéral chute de 46% sur les six premiers
mois de l’année.
En
fait, le Venezuela n’est plus le partenaire commercial privilégié
de la Colombie, qui se tourne désormais davantage vers les
États-Unis et les pays du Pacifique. La baisse des prix du pétrole
et des matières premières, tout comme la sécheresse provoquée par
le phénomène climatique El Niño, compliquent une situation marquée
par la hausse des produits alimentaires et l’augmentation du
chômage.
26
septembre 2016 : Après 52 ans de conflit armé et
quatre ans de négociations difficiles, les Forces Armées
Révolutionnaires de Colombie (FARC) ont accepté de déposer les
armes et de se transformer à terme en parti politique. Le président
Juan Manuel Santos et le chef des rebelles, Rodrigo Londoño, ont en
effet signé à Carthagène un accord de paix, à la satisfaction de
la communauté internationale. Un accord qui vaudra, dix jours plus
tard, au chef de l’État colombien de recevoir le prix Nobel de la
Paix. la surprise vient du référendum qui suit et qui voit le corps
électoral colombien repousser l’accord à une très faible
majorité (0,4%). Une renégociation s’en est suivie et, le 30
novembre, un nouvel accord a été ratifié par le Congrès, malgré
l’opposition de la droite conservatrice menée par l’ex-président
Alvaro Uribe. 6 000 guérilleros doivent être démobilisés et
des négociations vont pouvoir commencer avec l’ELN, l’autre
guérilla (Ejercito de Liberacion Nacional). L’accord va bien au
delà de ses clauses militaires et sécuritaires puisqu’il prévoit
une ambitieuse politique de développement rural et la mise en place
d’un système de justice transitionnelle visant à la
réconciliation des différentes parties. Les FARC s’engagent à
cesser toute activité liée au trafic de drogue et leurs membres
pourront se présenter aux élections. Le retour de la paix civile
intervient dans un contexte économique qui s’est sensiblement
assombri, même si la Colombie a mieux encaissé que ses voisins la
baisse des prix du pétrole. La croissance atteint encore, certes,
2,2%, en baisse par rapport aux années précédentes, mais le
chômage demeure à 10% et l’inflation à 7%. Le gouvernement et
l’opinion tablent cependant sur les effets de la paix retrouvée
pour attendre des investissements étrangers et l’augmentation de
la consommation intérieure, même si l’élection, en novembre
2016, de Donald Trump laisse planer des incertitudes quant au
versement de l’aide antérieurement promise par les États-Unis.