Environ 21
millions d’habitants peuplent l’île de Ceylan, qui
couvre 65 610 kilomètres carrés, soit l’équivalent d’un neuvième de la
superficie de la France métropolitaine. Deux populations se partagent
majoritairement le pays depuis 1 800 ans, les Cinghalais bouddhistes
et les Tamouls hindouistes, aux cultures très anciennes, héritières de
patrimoines différents.
Universellement célèbre pour ses saphirs, son thé et,
malheureusement, pour une guerre civile et religieuse interminable
qui a endeuillé « l’île du Bonheur » au tournant des
XXe et XXIe siècles, Ceylan demeure trop méconnue pour ce qui
concerne son intérêt culturel et touristique.
Une
trentaine de kilomètres seulement s’étendent entre l’Inde
continentale et cette grande île en forme de goutte d’eau –
certains l’ont appelée « larme scintillante » – dont
les côtes s’élèvent vers son point central, le mont
Pidurutalagala qui culmine à 2 524 mètres. Le détroit de Palk qui
la sépare de l’Inde est barré par un archipel de bancs de sable
entrecoupés de hauts-fonds, qui porte les jolis noms de pont d’Adam
pour les Cinghalais et de pont de Rama pour les Tamouls. A
l’exception de trois chenaux principaux, la faible profondeur des
passes, parfois d’un mètre seulement en basses eaux, représente
un obstacle majeur pour la navigation hauturière, contrainte de contourner l’île par le sud.
En
revanche, la succession des îles du pont d’Adam semble bien avoir
constituée autrefois un isthme continu qu’une catastrophe naturelle
aurait brisé et partiellement submergé en 1480. Cette « chaussée »
entrecoupée de chenaux s’est révélée aisée à traverser à vue
directe et d’îlot en îlot depuis les temps les plus reculés avec
des embarcations même primitives. Elle a donc permis un peuplement
précoce et des relations humaines, commerciales, culturelles et
politiques ininterrompues avec le continent.
Proche
de l’Inde et peuplée de communautés qui en sont originaires,
Ceylan est aussi, depuis l’Antiquité, une terre d’escale et de
commerce ouverte aux navigateurs et aux marchands venus de tout le
vieux monde, un lieu de rencontre et d’échanges où se sont
succédé les Arabes, les marins méditerranéens du Nord et du Sud,
et toutes les nations commerçantes et maritimes, de l’Orient
profond à la Chine.
La
variété des reliefs, des végétations sauvages et des productions
agricoles nourrit la diversité des paysages où domine une palette
de verdure. Aux terres basses exploitées en rizières de plaine
succèdent les piémonts arboricoles, les exploitations d’hévéa –
l’une des principales productions du pays – et les reliefs plus
marqués où dominent, avant
d’accéder aux paysages plus minéraux du Pidurutalagala, les plantations d'arbres à thé et la forêt.
Des
villes principales, la plus connue reste Colombo, ville mythique qu'ont décrite les récits des navigateurs européens, capitale économique du
pays située sur la rive occidentale de l’île, forte de 700 000
habitants en majorité cinghalais. La zone cinghalaise compte d'autres villes majeures, elles aussi dotées d'un riche patrimoine : Galle, sur la côte
sud, et Kandy, dans le Centre du pays, cité historique, centre religieux et ancienne capitale politique. Toute proche de Colombo,
Sri Jayawardenapura, devenue capitale officielle du Sri
Lanka depuis 1979, conserve le souvenir de l’époque où, se dénommant Kotte, elle était capitale d’un royaume avant de devenir une place forte
protégeant un comptoir colonial portugais des plus prospères.
[]
Dans
la partie septentrionale, en zone tamoule, Jaffna fait face à l’Inde
via le pont d’Adam et représente la porte d’entrée
traditionnelle de l’île à partir du continent. C’est aussi
une escale de l’ancienne route maritime de la soie que Marco Polo visita.
A
l’issue d’une longue période de plus de mille ans marquée par une histoire chaotique et complexe mais qui vit la constitution d’un superbe patrimoine architectural et religieux, Ceylan entra dans l’histoire
des grandes nations coloniales européennes dès le tout début du
XVIe siècle. Sa richesse et sa position géographique, stratégique
sur la route des Indes orientales, en firent un enjeu de pouvoir et
une zone de conflits acharnés, dont elle conserve les traces, sous la forme de villes fortifiées qui attireront les amateurs
d’architecture coloniale ou militaire, qu’elle soit portugaise,
hollandaise ou britannique.
Ce
fut l’Anglais qui s’imposa définitivement à la fin du XVIIIe
siècle en profitant de l’effacement militaire et commercial du
concurrent batave, relégué par les victoires du Directoire français
au statut de république vassale. Maîtresse de Ceylan comme de
l’Empire des Indes, la Couronne britannique fit entrer Ceylan dans
l’ère de la modernité technique et économique et, entre autres
choses, importa dans l’île un végétal jusqu’alors inconnu, le
Camelia sinensis, autrement dit l’arbre à thé.
On
sait que l’Empire britannique pratiqua une forme particulière
(pour nous, Français) de contrôle et d’exercice de la puissance
coloniale, consistant à s’appuyer sur des élites locales comme
relais de pouvoir et courroie de transmission des décisions prises
par un encadrement colonial peu nombreux. Cette manière de faire se
révéla lourde de conséquences pour l’avenir de Ceylan. En effet,
le colonisateur étaya délibérément et de manière constante son pouvoir sur la minorité tamoule dont il fit le vivier de ses élites
administratives et judiciaires locales, au détriment de la majorité
cinghalaise reléguée à un statut de population mineure, y compris
dans le domaine éducatif.
Ainsi
va se développer au sein de la population cinghalaise un
ressentiment très vif, un complexe de persécution et d’humiliation,
un désir de revanche qui, au sortir de la phase d’accession à
l’indépendance politique en 1948, vont entraîner un effet de
balancier. Sous l’égide de gouvernements dirigés par les partis
politiques cinghalais, la politique linguistique, administrative et
culturelle du tout nouveau Sri Lanka (« l’île du bonheur »)
va créer les conditions d’une tension grandissante entre
Cinghalais et Tamouls. Elle débouchera sur une guerre civile de 1983
à 2009, avec le cortège d’atrocités, de destructions et d’exodes
que supposent depuis toujours de tels événements.
Fort
heureusement, la fin de la guerre civile et le retour à la stabilité
politique en 2010 marquent une entrée apaisée de l’île du Bonheur
dans l’histoire du XXIe siècle, qu’elle aborde en
convertissant ses contradictions et ses contrastes en autant
d’attraits.
Les
origines ethniques et religieuses des populations de Ceylan
A
une date inconnue, qui correspond à un paléolithique local, l’île
de Ceylan est occupée par une population de chasseurs-cueilleurs
très certainement issus d’Inde méridionale. Les coutumes et leurs modes de vie initiaux semblent proches de ceux des Aborigènes
d’Australie, sans que l’on puisse cependant établir une relation
ethnique formelle entre ces deux populations. Les descendants actuels
de ce peuple comptent quelques centaines d’âmes et sont connus
sous les noms de Veddah ou Wanniyala-Aetto.
Confinés
aux montagnes centrales de l’île, certains d’entre eux restaient
fidèles, jusqu’à il y a peu, à des pratiques sociales apparentées
à un néolithique avancé. Cette population, isolée par ses
origines et sa culture, est restée à l’écart des grands
mouvements culturels et politiques et n’a joué aucun rôle
particulier dans l’histoire antique, moderne et contemporaine de
Ceylan. Au XIXe siècle, le colonisateur anglais tenta d’utiliser
ces populations comme main-d’œuvre quasi-servile dans les
plantations, mais avec des résultats médiocres en termes de
productivité, et abandonna rapidement cette pratique pour se tourner
vers d’autres sources de main-d’œuvre, importées du continent.
Aujourd’hui,
les zones forestières qui constituent leur habitat traditionnel sont
progressivement rasées au profit de domaines où l’agriculture et
l’arboriculture sont pratiquées de manière extensive à des fins
industrielles. Les derniers Veddah subsistent dans des villages assez
misérables et difficiles d’accès, en lisière de forêt. Ils
parlent un dialecte cinghalais et pratiquent une religion qui mêle
des racines animistes à l’apport bouddhiste des Cinghalais
environnants.
500
ans environ avant l’ère chrétienne, un peuple indo-européen
s’établit à Ceylan. C’est un rameau détaché des populations
issues de la civilisation védique (née en Perse et en Bactriane),
dont la langue commune originelle est le sanscrit et qui sont alors
en train de former les royaumes aryas du Nord de l’Inde. Ce
peuple semble avoir migré à travers l’Inde centrale jusqu’au
détroit de Palk. Il constitue la souche ethnique et linguistique des
Cinghalais actuels, qui réunit les trois quarts de la
population du Sri-Lanka. Les Cinghalais parlent la langue
cinghalaise, qui appartient au rameau indo-aryen des langues
indo-européennes, et pratiquent aujourd’hui la religion bouddhiste
à laquelle ils se sont convertis au IIIe siècle avant notre ère.
A compter de la migration des Tamouls et jusqu’à nos jours, ils
représentent la population majoritaire des deux tiers environ du pays,
dans l’Est, le Sud et le Sud-Est de l’île.
Au
IIIe siècle avant notre ère, des Tamouls, un peuple dravidien
originaire du Sud de l’Inde (où ils forment aujourd’hui la population de l’Etat du Tamil Nadu), tente de
conquérir Ceylan. Les Cinghalais réussissent à contenir cette
invasion et les Tamouls ne colonisent que les parties septentrionale
et orientale de l’île. Ils se donnent comme capitale la ville de
Jaffna, le port le plus proche de l’Inde face au détroit de Palk, qui constitue encore la principale ville tamoule de Ceylan. Il
semble que ce soient les Tamouls qui aient implanté à Ceylan la
culture du riz. Ils enfantent la souche ethnique et linguistique
des « Tamouls de Ceylan » actuels, qui parlent la langue
tamoule, une langue dravidienne, et sont majoritairement de religion
hindouiste.
Les
Tamouls de Ceylan, qui représentent 12 à 13 % de la population de
l’île aujourd’hui (ce chiffre a baissé depuis la guerre civile
en raison d’un exode assez massif) ne doivent pas être confondus
avec les « Tamouls indiens », issus des basses castes et
des parias de l’Etat indien actuel du Tamul Nadu. Ces Tamouls
indiens, 7 % de la population, ont immigré tardivement, dans la
seconde moitié du XIXe siècle, recrutés en Inde par le
colonisateur anglais pour occuper les fonctions d’ouvriers
agricoles auxquelles les Veddah autochtones se révélaient
inadaptés. A la différence des Tamouls de Ceylan, ils resteront
confinés à des tâches subalternes et à une condition prolétaire.
Eux aussi parlent la langue tamoule et pratiquent la religion
hindouiste.
La
troisième ethnie, en nombre, du pays est constituée des « Maures »
qui descendent des marchands arabes sédentarisés dans les ports de
l’île. Nombreux à Colombo, ils sont présents aussi sur la côte
orientale où la plupart pratiquent le commerce et l’agriculture,
et représentent au total environ 7 % de la population du Sri Lanka
contemporain. Au cours de l’Histoire, leur langue arabe s’est
progressivement abâtardie en « arwi » sous l’influence
tamoule. Ils parlent aujourd’hui un dialecte tamoul mêlé
d’expressions arabes, mais restent fidèles à la religion musulmane
de leurs ancêtres.
La
relation entre l’appartenance ethnico-linguistique et l’adhésion
à une religion est forte et constante dans l’histoire de Ceylan,
mais comporte des exceptions notables. Il existe des cas de
conversions individuelles et même de prosélytisme par les
convertis. C’est ainsi que l’une des œuvres majeures de la
tradition épique tamoule, Manimekalai, écrit au
VIe siècle de notre ère par Chitalai Chatanar, est, certes, un
roman d’amour traditionnel entre deux jeunes gens, mais aussi une
œuvre de propagande religieuse en faveur du bouddhisme, alors que
l’on sait les Tamouls traditionnellement hindouistes. L’héroïne,
Manimekalai, se convertit au bouddhisme et exalte sa nouvelle
religion, tout au long d’une histoire qui se déroule des deux
côtés du pont d’Adam, entre le Tamil Nadu en Inde et la région
de Jaffna à Ceylan. Le Bouddha lui-même visite Jaffna à cette
occasion.
Dès
l’Antiquité, un carrefour de routes
Dans
l’Antiquité, de nombreux textes grecs et latins mentionnent l’île
de Ceylan sous le nom de « Trabopane ». L’astronome et géographe grec
Eratosthène la décrit au IIIe siècle avant notre ère. Elle
figure sans doute sur la carte de Ptolémée au IIe siècle de
notre ère (un débat ancien sur Trabopane a vu certains experts
opiner que l’île figurée par Ptolémée serait en réalité
Sumatra). L’auteur romain Pline l’Ancien mentionne au Ier siècle
la réception à Rome d’ambassadeurs de Trabopane.
L’île
est citée par Le Périple de la mer Erythrée, une
œuvre grecque anonyme du début de l’ère chrétienne, qui décrit,
aller et retour, l’itinéraire partant de Rome ou d’Athènes
jusqu’à la région de Calcutta via la mer Rouge, ainsi que les
diverses ressources susceptibles d’être acquises dans les
différentes contrées abordées par les marchands (or et autres
métaux précieux, pierres précieuses, soie, ivoire, épices). A
cette époque, l’île commerce avec l’Egypte et le Bassin
méditerranéen. Elle est réputée pour sa production d’épices et
de pierres précieuses, saphirs bien entendu, mais aussi rubis,
améthystes, pierres de lune.
Tout
au long du Haut Moyen Age, les marchands arabes du Golfe fréquentent
régulièrement l’île tant pour ses richesses propres que comme
terre d’escale et d’avitaillement. Certains s’y sédentarisent.
Ils perpétuent la route maritime de la soie établie dès
l’Antiquité gréco-romaine entre la Méditerranée et
l’Extrême-Orient, et qui concurrence la route terrestre de l’Asie
centrale sans toutefois la supplanter. En effet, malgré la lenteur
des caravanes, les tracasseries administratives et les raids de
nomades, la route terrestre reste moins périlleuse que la route
maritime davantage soumise aux aléas de la navigation, aux caprices
des vents, aux phénomènes climatiques et à la piraterie (dont on
sait qu’elle reste florissante et dangereuse dans toute la région
à l’est du détroit de Malacca en ce début de XXIe siècle).
Au
début du XIe siècle, l’astronome et physicien ouzbek Abu-Rehan
Al Barani mentionne l’existence de l’île. Ceylan
figure à sa place exacte sur la Tabula Rogeriana, la
carte du monde établie à Palerme en 1154 par le grand géographe
arabe Al Idrisi, à la demande du roi normand Roger II de Sicile.
C’est la première véritable cartographie globale du vieux monde,
qui compile le savoir des Normands sur l’Europe et celui des Arabes
sur l’Afrique septentrionale et l’Asie. La précision de cet
ouvrage reflète la qualité de la documentation géographique
accumulée en Orient par les marchands arabes au cours des siècles précédents,
de la Méditerranée occidentale (« Al Andalous »)
jusqu’à l’océan Pacifique.
Dans Le Devisement du monde, ses récits de voyage publiés en
1292, Marco Polo relate son escale et son séjour à Jaffna qu’il
décrit comme une ville marchande pittoresque et très animée. De
retour de Chine, il suivait la route maritime de la soie en compagnie
d’une princesse chinoise que son père, l’empereur mongol Kubilai
Khan, destinait au roi de Perse comme épouse.
Plus
tard, le Vénitien Nicolo di Conti (1395-1469) effectue un voyage
d’exploration long de vingt-cinq ans qui va le mener dans toutes
les régions du Moyen-Orient et de l’Asie, en combinant les routes
terrestres, fluviales et maritimes. Le document extraordinaire publié
à son retour constitue une somme sur l’état politique, culturel
et économique du monde oriental avant même l’ère des grandes
explorations que Vasco de Gama va inaugurer trente ans après la mort
de di Conti. De Ceylan, di Conti retient principalement la profusion
en pierres précieuses et les techniques de culture du cannellier,
source de richesses pour le pays dans le commerce international des
épices.
Escale
des explorateurs et commerçants occidentaux et arabes, Ceylan l’est
aussi pour les Orientaux. Le Chinois Zheng He réalisa sept voyages
d’exploration de 1405 à 1433, qui le menèrent de la mer de Chine
jusqu’au golfe Persique, en mer Rouge où il toucha la Mecque et au
Mozambique. Cet eunuque musulman devenu amiral de la flotte impériale
fit six escales à Ceylan, relatées par les Merveilles des
océans, le grand récit de voyage écrit par son compagnon
d’aventures Ma Huan pour en rendre compte à l’empereur de Chine.
Une
histoire ancienne complexe et tourmentée
Jusqu’à
l’arrivée des premiers colonisateurs européens, l’histoire de
l’île se caractérise par une dissymétrie entre les ressources
politiques et militaires des Cinghalais et des Tamouls.
Les
royaumes cinghalais et la civilisation cinghalaise communiquent avec
le monde environnant, participent à l’élaboration du bouddhisme
et à sa propagation internationale, commercent avec l’extérieur,
mais ne peuvent bénéficier d’aucun appui militaire ou politique
étranger à l’île. Sans doute, venus du Nord de l’Inde,
sont-ils trop éloignés des Etats dont ils pourraient se réclamer
parents et alliés par le sang, la langue et la religion. Ils devront
donc ne compter que sur leurs propres forces pour résister aux
vagues tamoules successives.
Tout
au contraire, dès l’installation des premiers Tamouls dans le Nord
de l’île et la fortification de leur capitale Jaffna, ils
recevront l’appui de nombreuses « vagues d’assaut »
dépêchées par les différents royaumes et empires dravidiens du
Sud de l’Inde avec qui ils partagent le sang, la langue et la
religion.
L’histoire
la plus ancienne de Ceylan est principalement documentée par le
Mahavamsa (la « grande chronique ») du moine bouddhiste
Mahanama, rédigée au VIe siècle de notre ère en langue pali,
un dérivé du sanscrit qui reste la langue sacrée du bouddhisme
theravada pratiqué à Ceylan. La chronique relate l’histoire et la
geste des rois cinghalais et tamouls du VIe siècle avant notre
ère au IVe de notre ère, ainsi que l’histoire naissante du
bouddhisme.
Au
IVe siècle avant notre ère, le royaume cinghalais d’Anuradhapura
fédère les petits Etats féodaux que les nouveaux arrivants
cinghalais avaient constitués lors de leur arrivée. La ville,
située vers le Centre-Nord de l’île, va rester la capitale
cinghalaise de l’île jusqu’en 1070.
Vers
235 avant notre ère, le moine bouddhiste Mahinda (282-222) fils de
l’empereur indien Ashoka de la dynastie des Maurya qui règne sur la
majeure partie du Nord de l’Inde, introduit le bouddhisme à Ceylan
et convertit à la nouvelle religion Devanampiya Tissa, le roi
cinghalais d’Anaradhapura. La
rencontre entre le roi et le moine se serait tenue à Mihintale, près
de la capitale. Un mausolée, le plus ancien de l’île, y fut érigé
en souvenir et des communautés monastiques s’y installèrent. Les
mausolées actuels, plus récents, sont le lieu d’un pèlerinage
commémoratif de l’événement que les Cinghalais considèrent
comme fondateur de leur histoire. Anuradhapura,
ville sainte du bouddhisme cinghalais, est classée au patrimoine
mondial par l’Unesco. Ville de rayonnement culturel, religieux,
artistique et intellectuel dont la renommée dépasse largement le
maigre domaine géographique du pouvoir politique des maîtres des
lieux, elle comprend de nombreux temples et des ensembles monastiques
(vihara) majeurs, tous érigés au IIIe et IIe siècles avant
notre ère. Les mausolées monumentaux – dagoba en langue pali –
érigés à la gloire et en représentation mystique du Bouddha, dominent la ville de plusieurs dizaines de mètres. Le plus ancien, s'il n'est pas le plus haut, le Thuparama Dagoba, fut érigé comme
reliquaire géant de la clavicule du Bouddha. Ville
sainte, elle fut aussi capitale politique dont la grandeur et la
majesté des monuments sont là pour témoigner au monde –
ambassadeurs, amis ou ennemis potentiels – de la puissance du
souverain (tout comme le fut plus tard Versailles en France). Le palais de Bronze de
Duttugemunu témoigne dès le IIe siècle avant notre ère de
cette splendeur avec ses mille six cents colonnes, neuf cents salles et six étages. Et ce,
entre autres palais royaux élevés jusqu’au XIe siècle. La
cité toute entière évoque un âge d’or politique et religieux
cinghalais.
En
145 avant notre ère, le roi Erata de la dynastie Chola conquiert une
partie de l’île de Ceylan. Cette dynastie tamoule, de religion
hindouiste, a régné sur une partie du Sud de l’Inde, dont le
Tamul Nadu. A ses époques de prospérité maximale, elle s’est
constituée en empire maritime, étendant son influence jusqu’au
Laos. Elle apparaît vers 300 avant notre ère et s’éteint en
1279, avec des périodes d’intermittence. Elle a donné son nom à
la côte de Coromandel.
Une
nouvelle offensive tamoule venue du Nord, en 104 avant notre ère,
chasse le roi cinghalais Vattagamani Abhaya de sa capitale,
Anuradhapura. Il se réfugie à Dambulla, au centre du pays, dans les
contreforts de la montagne où il va tirer partie de la disposition
naturelle des lieux pour abriter sa cour et perpétuer la tradition
religieuse bouddhiste en ces temps difficiles. Le
site de Dambulla est en effet constitué d’un grand rocher de
granit creusé de quatre-vingts grottes naturelles environ. Autour du rocher,
Vattagamani Abhaya fait édifier une ville de dimension modeste, mais, surtout, il va transformer l’ensemble des grottes en un immense
vihara (complexe monastique bouddhiste) constitué de monastères et
de sanctuaires qui abritent des centaines de statues et de
représentations peintes à fresque. Les peintures murales du Raja
Maha Vihara couvrent plus de 2 000 mètres carrés. L’une d’entre
elles figure la tentation de Bouddha par le démon Mara, l’une des
étapes fondatrices de la révélation au Bouddha de sa vocation et de
sa mission mystique. Ultérieurement, une dagoba y sera érigée au
Ve siècle de notre ère, puis, au XIIe siècle, des statues
des divinités hindoues Vishnou et Saman y seront adjointes, tant il
est vrai qu’à Ceylan, il ne suffit que d’un peu de paix
civile et étrangère pour que l’hindouisme et le bouddhisme se
côtoient sans heurts.
Un
concile, tenu à Anaradhapura en 25 avant notre ère, unifie la
doctrine religieuse et impose le bouddhisme theravada au sein de la
population cinghalaise. Adepte de la « doctrine des Anciens »,
le theravada représente une des branches les plus anciennes du
bouddhisme. Les Cinghalais d’aujourd’hui s’enorgueillissent du
rôle central tenu par l’île dans la constitution et la
propagation de cette religion qui prédomine aujourd’hui en
Birmanie, au Laos, au Cambodge et en Thaïlande. Dans
l’imagerie des bouddhistes adeptes de la doctrine theravada, Ceylan
demeura la source de la sagesse et de la foi. C’est ainsi que le Birman Anawrahta, qui fonda le royaume de Pagan, premier Etat birman
unifié, et y régna de 1044 à 1078, fit le pèlerinage de Ceylan
après avoir décrété le bouddhisme theravada religion d’Etat.
En
433, des Tamouls continentaux venus de l’Empire pandya traversent
le détroit et s’établissent à Ceylan dont ils conquièrent la
moitié nord. Issu de l’actuel Tamul Nadu, mais en débordant
souvent vers l’est et le nord, l’Empire pandya, fondé au VIe
siècle avant notre ère, a représenté jusqu’à son terme en 1345
l’une des forces politiques majeures de l’Inde. Malgré des
revers militaires à certaines époques face aux rois cinghalais, cet
empire va s’instaurer comme puissance tutélaire des Tamouls de
Ceylan, renouveler et conforter les liens de parenté ethnique et
religieuse entre le continent et l’île, dont les effets se feront
sentir jusqu’aux années 1990-2000 où les Tamouls continentaux
soutiendront les insurgés tamouls du Sri-Lanka.
En
480, les Cinghalais battent les Tamouls de Jaffna et expulsent de l'île une
bonne partie d'entre eux. Ceux-ci reviendront à Ceylan
dans la décennie 770, lors de la deuxième invasion tamoule.
Les
années 477 à 495 voient la naissance ex nihilo puis l’abandon
d’une des merveilles architecturales et culturelles de Ceylan, le
palais royal et la ville nouvelle de Sigiriya, près de Dambulla,
dans la province du Centre. Ce
fut la capitale temporaire du royaume cinghalais, projet fou conçu
par le roi Kasyapa. Héritier de son père Dhatusena, roi
d’Anuradhapura, il le fait assassiner et usurpe le trône. Soit par
volonté de fuir les lieux de son parricide, soit pour se protéger
de la revanche possible de ses rivaux, il imagine de construire un
palais-forteresse sur une éminence rocheuse aux flancs verticaux,
haute de 200 mètres, qui domine un paysage sauvage du Rajarata, au
centre du pays et sur les contreforts de la montagne centrale de
Ceylan. La forme de cette structure rocheuse lui avait valu le nom de
« Dent du lion ». Kasyapa joue sur le mot et fait
construire une porte monumentale en forme de gueule de lion pour
barrer le chemin d’accès à son nid d’aigle. Le luxueux palais
est entouré de terrasses, de jardins et muni de nombreux réservoirs
qui servent tout à la fois de sources aux fontaines décoratives et
de réserves d’eau en cas de siège. Dans les jardins, un abri sous
roche est décoré de peintures murales aux personnages féminins,
les « demoiselles de Sigiriya », vingt et une nymphes
dénudées aux postures sensuelles dont les couleurs demeurent
exceptionnellement vives.
Le
projet de Kasyapa allait encore plus loin, puisqu’il imagina de
créer une ville nouvelle, sur un plan rationnel. Au
bout du compte, Kasyapa fut rattrapé par son crime, renversé et tué
par son demi-frère qui rétablit Anuradhapura dans son statut de
capitale. La Dent du lion et les bâtiments de la cité nouvelle
furent reconvertis en un monastère bouddhiste qui perdura jusqu’au
XIIIe ou XIVe siècle. Petit à petit, la ville s’éteignit. Sigiriya,
répertorié comme site du patrimoine mondial par l’Unesco, est
aujourd’hui le site historique le plus visité du Sri-Lanka.
A
partir du VIIIe siècle, des communautés de marchands arabes
s’installent dans les ports et introduisent l’islam dans le pays. L’île
subit de nombreux raids de pirates arabes en provenance du golfe
Persique. Il semble que ces assauts et les destructions de villes
côtières aient considérablement affecté la vitalité économique
de Ceylan. La
zone tamoule, une fois restaurée après la nouvelle immigration de la décennie 770, reste relativement unifiée. A diverses périodes de
l’Empire chola, les Tamouls de Ceylan dépendent de leurs cousins
continentaux.
En
993, les Tamouls de l’Empire chola, dirigé alors par Rajaraja Ier, soumettent le royaume cinghalais. L’île de Ceylan en son entier
devient province du Tamil Nadu, mais, en 1070, le roi cinghalais Vijaya
Bahu chasse les occupants tamouls et transfère la capitale du
royaume d’Anaradhapura plus au sud, dans la ville de Polonnaruwa,
mieux protégée des raids tamouls. Vijaya Bahu et ses successeurs
vont y construire un nouveau centre de rayonnement de la puissance
cinghalaise.
Située,
comme Anaradhapura, dans la province du Centre-Nord, la nouvelle
capitale va rester ville royale plus de deux siècles. Inscrite au
patrimoine mondial par l’Unesco, elle conserve sur plus de 100
hectares de très nombreux vestiges bien conservés de l’époque de
sa splendeur politique, dont une chambre du Conseil royal. Mais ce
sont surtout les témoignages religieux d’un autre siècle d’or
du bouddhisme cinghalais qui font sa renommée. L’ensemble des
quatre bouddhas monumentaux du Gal Vihara (XIe siècle), sculptés
dans la roche, représentent le Bouddha dans des positions à la fois
physiques et mystiques : debout, les bras sur la
poitrine, observant la misère du monde et la souffrance ; assis
et absorbé dans la méditation ; gisant dans l’extase mystique du
nirvana. Divers temples et dagoba témoignent encore de
l’omniprésence du bouddhisme dans la ville, dont les « maisons
des images » remarquables par la qualité des sculptures.
Mais
Polonnaruwa n’est pas qu’un hymne au culte de Bouddha. Assez
paradoxalement, la cité royale cinghalaise abrite aussi les plus
beaux temples hindouistes précoloniaux visibles aujourd’hui à
Ceylan. Sans doute est-ce la conséquence de la destruction de la
capitale tamoule de Jaffna par les Portugais qui nous a privés de
cet héritage historique. Comme à Dambulla, cette présence
hindouiste en territoire cinghalais est également le signe, sinon d’une
idiosyncrasie religieuse, au moins de la coexistence pacifiée des
rites et des populations dans l’ancienne Ceylan au-delà des
périodes de conflits interétatiques ouverts. A Polonnaruwa, les
temples de Siva, du plus pur style hindouiste dravidien traditionnel,
en sont un témoignage imposant.
En 1215, un royaume indépendant tamoul se constitue autour de
Jaffna. La dynastie Arya Chakravarti va y régner jusqu’à 1619, au
prix de nombreux conflits avec les autres royaumes de l’île. Le
règne exceptionnellement long de cette dynastie représente une
exception dans une histoire politique troublée. Cette stabilité
contribuera à renforcer le prestige et la richesse de la cité
portuaire, qui s’impose comme une escale majeure de la route
méridionale de la soie. En sus de ses activités de négoce, Jaffna
exporte aussi des produits locaux, notamment les perles et les
éléphants. La stabilité politique de l’Etat et la sécurité
qu’elle garantit semblent avoir largement profité au développement
et à l’exploitation de la riziculture, sans doute introduite à
Ceylan par les Tamouls, et à laquelle les terres basses du Nord de
l’île se prêtent particulièrement.
Jusque vers 1258, la dynastie reconnaît la suzeraineté de
l’Empire pandya puis s’en affranchit. C’est une ère de
prospérité qui s’ouvre pour le royaume du Nord, qui s’accompagne
d’un rayonnement culturel, d’une intense création littéraire et
artistique, de la construction de nombreux temples hindouistes.
Malheureusement, la prise de Jaffna par les Portugais en 1619 s’est
accompagnée de destructions importantes du patrimoine précolonial,
puis de la reconstruction du port et de la ville. Les temples
hindouistes anciens et les monuments politiques de la dynastie Arya
Chakravarti ont disparu.
Les XIVe et XVe siècles voient la naissance de centres urbains
et de ports qui vont marquer toute l’histoire renaissante et
moderne du Ceylan cinghalais.
Au XIVe siècle apparaissent les premières mentions de
l’existence du port de Galle, au sud du pays. Il restera longtemps
la principale cité portuaire de la zone cinghalaise avant d’être
supplantée par Colombo, où les occupants européens successifs
fixeront leur capitale. S’il ne reste rien de la période
précoloniale, Galle est remarquable par la qualité architecturale
tant de ses fortifications que de sa vieille ville. La forteresse
constitue le plus grand ensemble militaire construit en Asie par les
Européens. Galle est inscrite au patrimoine mondial de l'humanité par l’Unesco.
Kotte, « la forteresse » en cinghalais, naît au XIIIe
siècle sur les marais qui bordent le fleuve Diyawanna Oya, à 10
kilomètres au sud de Colombo. Une position défensive favorable, la
forteresse triangulaire étant bordée de marais sur deux côtés et
de douves sur le troisième, lui permettait de s’opposer aux
assauts des Tamouls de Jaffna. D’abord simple poste militaire, elle
gagne en puissance jusqu’à devenir capitale d’un nouveau
royaume. A l’arrivée sur la côte des Portugais en 1505, le roi de
Kotte Parakramabahu VIII et les Européens concluent un pacte de
non-agression et de commerce qui dure jusqu’en 1565, quand les
Portugais s’emparent de la forteresse et de la ville. Il reste
aujourd’hui de la forteresse et de sa vieille ville d’importants
vestiges.
Un
événement majeur se produit à la même période avec la fondation,
au centre-sud de l’île, de la ville de Kandy qui fut d’abord une
bourgade, centre d’un petit royaume plus ou moins indépendant
comme l’histoire du Ceylan cinghalais en connaît tant, avant de
devenir, en 1592, la « Grande Ville », capitale politique
et religieuse de tous les Cinghalais non soumis à la puissance
coloniale portugaise. Son
Temple de la Dent de Bouddha, ou « Dalada Maligawa »
construit aux XVIIe et XVIIIe siècles, figure parmi les lieux
saints du bouddhisme. Tous les ans, un pèlerinage de dix jours,
l’Esala Perahara, célèbre le souvenir et renouvelle le culte du
Bouddha autour de la relique précieuse, dans une débauche de
processions chamarrées menées par des éléphants. Outre le palais
royal de Kandy, on visite, à proximité, les jardins botaniques royaux
de Peradeniya, là où le roi Wickamabahu III transféra la résidence
de sa cour. Ces jardins furent créés en 1371 puis abandonnés après
la conquête par les Britanniques en 1815, mais reconstitués à
partir de 1840. Outre le travail de l’homme, on peut
expliquer la richesse, la variété et la belle venue des essences et
des espèces présentes dans les jardins de Kandy par l’altitude
(modérée : 500 mètres) qui tempère les excès saisonniers du
climat, et fait par ailleurs un des charmes de la ville.
Ceylan,
enjeu des rivalités coloniales européennes
Durant près de trois siècles, trois puissances européennes vont se disputer le contrôle de Ceylan. Premiers arrivés dans l'océan Indien, ce sont les Portugais qui vont tout d'abord s'imposer, mais leur domination est contestée dès la fin du XVIe siècle par les Hollandais installés aux Indes néerlandaises pour y contrôler le trafic des épices. Apparus dans les eaux indiennes au XVIIe siècle, les Anglais, qui fondent alors Madras et Calcutta, ne peuvent que convoiter une île aussi proche du continent et aussi bien placée sur la route de l'Extrême-Orient.
1505 : Le navigateur portugais Lourenço de Almeida débarque à
Colombo, en zone cinghalaise, et crée un comptoir pour le négoce
des épices et de la cannelle. Progressivement,
l’implantation commerciale débouche sur le contrôle politique et
militaire du port. Les Portugais chassent leurs concurrents arabes de la ville.
1550 : Alfonso de Noronha est nommé vice-roi de Ceylan.
1554 : Les Portugais de Duarte de Eca entament la construction de la
première forteresse de Colombo.
1565 : Les Portugais transfèrent de Kotte à Colombo la capitale de
leur colonie. Le dernier roi de Kotte, Dharmapala, dit aussi « Dom João
Dharmapala Peria Bandara », mourra en 1597, converti et premier roi
catholique dans l’île…
1578 : Les Portugais achèvent les fortifications des ports de Colombo
et de Galle (pointe sud-ouest de l’île). Dorénavant, toute la
côte cinghalaise est sous leur contrôle. Cependant,
un Etat indépendant cinghalais résiste dans la zone montagneuse
centrale et la région de Kandy.
1587 : Rala Sinha, le roi cinghalais du royaume du centre, lance une
offensive contre les Portugais de Colombo. Après sept mois de siège
infructueux, il est obligé de se replier vers l’intérieur du
pays.
5
mars 1589 : Le marchand et explorateur anglais Ralph Pitch fait escale
à Colombo. C’est le premier Britannique à toucher le pays. Il
deviendra un conseiller influent et un inspirateur de la Compagnie
britannique des Indes orientales dès sa fondation en 1600.
1592 : Les Cinghalais résistants à la colonisation portugaise et
repoussés vers l’intérieur du pays établissent à Kandy leur
nouvelle capitale.
1602 : Le premier navire hollandais, commandé par le capitaine Joris
van Spilbergen, touche l’île à Batticaloa, sur la côte est du
pays. Dès le premier contact, les autorités du royaume de Kandy
proposent au nouvel arrivant une alliance contre les occupants
portugais. Les Hollandais donneront suite à cette offre, mais
cinquante ans plus tard…
1619 : Les
Portugais s’emparent de la ville de Jaffna, capitale des
Tamouls, affaiblie par des troubles internes dus, semble-t-il, aux
menaces que font peser les Portugais sur le royaume et à
l’incapacité de la dynastie Arya Chakravarti à s’y opposer.
C’est d’ailleurs un usurpateur, Cankili II (1617-1619) qui sera
le dernier roi de Jaffna. Sa défaite met un terme à quatre siècles
d’indépendance et de prospérité de la zone tamoule. Une fois la
ville capitale prise, les Portugais contrôlent le Nord du pays. Ils
verrouillent depuis Jaffna et Colombo toute la zone du détroit de
Palk. Leur position forte dans le Sud de l’île à Galle, puis la
fondation du port fortifié de Trinquemalay au nord-est, font d’eux
les maîtres incontestés de l’escale de Ceylan et les exploitants
monopolistiques des richesses exportées de l’île.
1639 : Les Hollandais prennent pied à Ceylan en s’emparant du port
de Trinquemalay. Puis,
en 1653, donnant suite à une demande d’assistance militaire du roi
de Kandy, ils prennent Colombo et Galle, en chassent les Portugais et
s’installent sur le littoral. Ces deux ports deviennent des relais
stratégiques de la Compagnie des Indes néerlandaises.
1658 : Les
Hollandais importent à Ceylan les premiers caféiers.
1781 : Les Anglais s’emparent du port de Trinquemalay à la faveur
de la déclaration de guerre du Royaume-Uni aux Hollandais.
1782 : La bataille qui oppose les Français et les Anglais à Trinquemalay pose la question de la place – ou plutôt de l’absence – de la France dans l’histoire de Ceylan.Les Français n’ont pas, aux XVIIe et XVIIIe siècles, de visées précises sur l’Extrême-Orient et se bornent généralement à des expéditions géographiques et scientifiques qui les amèneront à toucher Ceylan au passage.En revanche, s’ils ont pris du retard sur les Britanniques et les Hollandais, ils sont entrés dans le grand jeu des Indes en 1642 avec la fondation par Richelieu de la Compagnie française des Indes orientales. C’est Colbert qui lance vraiment l’opération à partir de 1667, avec la l'installation du premier Etablissement français des Indes en 1668.La stratégie française, qui se soldera par la conquête de territoires situés principalement sur la côte orientale de l’Inde (Karikai, Pondichéry, Yanaon) et au Bengale (Chandernagor), pose d’emblée le problème de la sécurité des voies maritimes dans le passage de la pointe du sous-continent, dont Ceylan tient la clef.En 1672, François Caron tente donc d’installer une colonie à Ceylan. Huguenot français exilé et passé au service des Hollandais, Caron a été rappelé en France par Colbert, puis nommé en 1664 directeur général de la Compagnie française des Indes orientales. Sa tentative restera sans lendemain.En 1782, l’amiral, bailli de Suffren, venu du mouillage de Batticaloa tout proche, s’empare du port et de la citadelle britannique de Trinquemalay, au nord-est de l’île dans le cadre d’une bataille terrestre puis navale. L’engagement naval, peu favorable aux Français, et l’arrivée prochaine de la mousson amènent Suffren à se replier vers Sumatra, laissant une garnison terrestre. Suffren, fin politique, passe une alliance de fait avec le gouverneur hollandais de Ceylan qui peine à résister aux harcèlements anglais. Pendant encore de longs mois, malgré une pénurie extrême de moyens à opposer aux escadres britanniques, Suffren va mener bataille dans l’océan Indien. Mais, dès 1783, le traité de Versailles, premier traité « mondial » qui règle à l’occasion de la fin des guerres d’indépendance des Etats-Unis tous les conflits pendant entre les puissances européennes, rend Trinquemalay aux Hollandais. Il n’y aura pas de Ceylan français pour couvrir la route des comptoirs de l’Inde.
Les
débuts de l’ère coloniale anglaise
C'est à la faveur des guerres engagées par la France révolutionnaire et de l'effondrement des Provinces-Unies des Pays-Bas qui en est la conséquence que les Anglais sont en mesure de compléter leur mainmise sur l'Inde, acquise depuis le traité de Paris de 1763, par la prise de contrôle de Ceylan dont ils vont faire au XIXe siècle une colonie d'exploitation modèle en la spécialisant dans la production du thé destiné à l'exportation.
1796 : Profitant
de la défaite des Provinces-Unies face aux troupes françaises du
Directoire et de leur transformation en République batave sujette de
la France et privée de la majorité de ses moyens navals et
financiers, les troupes britanniques de la Compagnie des Indes
débarquent à Ceylan et l'emportent sur les Hollandais dépourvus de tout
appui de leur métropole.
1802 : La
paix d’Amiens reconnaît officiellement la tutelle anglaise sur
Ceylan, qui devient colonie de la Couronne britannique. Elle restera
rattachée à l’Empire des Indes jusqu’en 1931. La
capitale de la colonie est fixée à Colombo.
1815 : Les
Britanniques s’emparent de la ville de Kandy, capitale du dernier
Etat cinghalais indépendant. Ils règnent désormais sur l'ensemble de l’île.
1824 : Un premier arbre à thé est importé et planté dans les
anciens jardins botaniques royaux de Peradeniya, à proximité de la
cité royale de Kandy.
A
partir de 1825 : Les Britanniques tentent de relancer à Ceylan la
culture du café, que les Hollandais avaient introduite à une échelle
réduite. Un système économique nouveau d’exploitation des terres
se développe, celui des grandes plantations. En
raison du climat défavorable et de maladies sévères des arbres, la
production de café reste décevante. En 1869, l’épidémie de
rouille du café ruine cette activité.
A
partir du milieu du XIXe siècle : Les Britanniques dotent Ceylan d’un
réseau de voies ferrées qui ceinture au trois quarts l’île et
desservira les zones centrales présentant un intérêt économique majeur, notamment celles des plantations, au fur et à mesure de leur développement.
1867 : Les Britanniques implantent à Loolecondra 18 acres
d’arbres à thé importés de l’Inde septentrionale. Cette
nouvelle culture se développe rapidement sur les flancs des
montagnes centrales de l’île, grâce à un climat favorable. En
raison des conditions climatiques locales et des habitudes de
consommation des amateurs anglais, débouché naturel de la
production cinghalaise, les planteurs anglais se spécialisent dans
le thé noir, sachant que thé vert ou thé noir n’est qu’une
question de fermentation avant dessiccation des feuilles. Les Anglais
aiment leur « breakfast tea » bien fort…
En
quelques années, le thé devient l’une des premières productions
et l’une des principales ressources commerciales de la colonie.
Simultanément,
les Anglais développent avec succès la culture de l’hévéa,
l’arbre à caoutchouc qui reste encore aujourd’hui une des
principales activités du pays. Or, la cueillette du thé et l’exploitation de l’hévéa nécessitent
une main-d’œuvre nombreuse. Les
Anglais transfèrent donc à Ceylan (sur une base d’un
« volontariat » très théorique) des populations
tamoules issues de l’Inde du Sud. C’est l’origine des « Tamouls
indiens ».
1873 : Première exportation de thé de Loolocondra. Le thé
de Ceylan entre dans l’Histoire. La
première usine de transformation est construite en 1884. En 1890,
Lipton investit à Ceylan, en achetant des plantations destinées à approvisionner ses magasins de détail en Grande-Bretagne.
La possession du Sud de l’Inde et de Ceylan fait germer dans
l’esprit du colonisateur le rêve pharaonique pour l’époque
de relier l’île au continent, distant de trente kilomètres. L’idée n’est pas nouvelle, puisque le poème épique hindou de
Ramayana, écrit en sanscrit, en attribue l’invention à Rama, l’un
des avatars de Vishnou. Afin de libérer Sita, sa dulcinée retenue
prisonnière à Ceylan, Rama et Hanuman, le dieu-singe avec qui il a
fait alliance, font construire un pont à travers le détroit. Au début du XIXe siècle, on se borne à envisager l’aménagement
du détroit de Palk afin de faciliter le franchissement des passes.
Puis vient l’idée d’un pont qui permettrait de réaliser une voie
ferrée continue. La South Indian Railway Company, qui a construit et exploite les lignes ferroviaires du Sud et du Centre
de l’Inde, se charge des investissements. Le projet reste
interrompu, car seuls deux tronçons peuvent être réalisés entre le
continent et l’île indienne de Pamban d’une part, Ceylan et
l’île de Mannar d’autre part. Le reste de la traversée se
fait par ferry. La ligne Chennai-Colombo fonctionne ainsi jusqu’en
1965, année où un cyclone détruit les installations situées à
l’extrémité de la ligne, côté indien.A défaut de restaurer cette voie, le gouvernement indien vise
aujourd’hui à nouveau à rendre plus sûres les liaisons maritimes
et à faciliter le passage du détroit à des navires de plus gros
tonnage en draguant les fonds. Cette opération permettrait de
raccourcir de 400 kilomètres le passage d’une côte à l’autre
du pays. Le projet, qui date de 2001, n’est pas achevé.
Le
chemin vers l’indépendance
La puissance impériale britannique connaît son apogée au début du XXe siècle, mais, dès l'entre-deux-guerres, les peuples colonisés commencent, en Asie, à revendiquer une autonomie comparable à celle octroyée aux dominions blancs au cours du siècle précédent. Comme l'Inde voisine où la contestation s'organise désormais autour du Parti du Congrès de Gandhi, Ceylan espère trouver les voies d'une décolonisation pacifique.
1931 : la Couronne britannique octroie à l’île de Ceylan un statut
d’autonomie interne par rapport au reste de l’Empire.
Dès
les années trente : Un regain de tension se développe entre Tamouls et
Cinghalais, dont la cause n’est pas seulement la rivalité
millénaire des religions et des ethnies, mais aussi une conséquence
du mode de gouvernement de la colonie par les Anglais depuis la décennie 1820.En effet, durant la période coloniale, les
Anglais s’appuient sur la minorité tamoule et facilitent son accès
à l’éducation secondaire et supérieure. La puissance coloniale
crée de nombreux collèges en zone tamoule et même des universités
à l’anglaise. Les seuls et rares ressortissants de l’île de
Ceylan autorisés à poursuivre leurs études en métropole dans les
prestigieuses high schools et universités du
Royaume-Uni sont tamouls.
Par
conséquent, les Tamouls sont beaucoup plus nombreux que les
Cinghalais à pratiquer correctement la langue anglaise. Ils forment
donc naturellement l’ossature de l’administration locale, tant
administrative que judiciaire. Leur prééminence sociale détermine
progressivement une domination économique sur leurs compatriotes
cinghalais, privés de tout appui de l’administration dans leurs
affaires commerciales.
Dans
ces années trente : G.G. Ponnambalam, un avocat tamoul, fonde le All
Ceylon Tamil Congress. Conscient qu’une accession à l’indépendance
et à un régime démocratique basé sur le principe « un
homme, une voix » représenterait une menace pour la minorité
tamoule, il milite pour l’octroi à la majorité cinghalaise de 50 %
des représentants à une future chambre, les 50 % restants devant
revenir à l’ensemble des minorités, tamouls inclus.A
l’inverse, son principal adversaire, Solomon Bandaranaike, avocat
lui aussi, s’impose comme l’un des leaders de la majorité
cinghalaise et, bien entendu, défend le principe d’un homme, une
voix.
Le
débat entre les hommes politiques se situe sur un plan juridique et
constitutionnel et, officiellement, les partis qui commencent à se
structurer prônent une transition non-violente vers l’indépendance,
mais les propos racistes et insultants de l’un et de l’autre
enveniment la situation. Des échauffourées éclatent sporadiquement
et culminent en 1939 après un discours particulièrement violent de
G.G. Ponnambalam.
La
seconde guerre mondiale met un terme momentané au débat politique
local, mais, dès 1944,
le Royaume-Uni instaure la commission Soulbury, chargée de concevoir
une constitution et les modalités d’une transition politique vers
l’indépendance de Ceylan. La
commission siège de 1944 à 1948. La minorité tamoule s’inquiète
à nouveau de son futur traitement par la majorité cinghalaise et
craint une discrimination sociale, administrative et politique. A la
veille de l’indépendance et de la convocation des élections, la
commission Soulbury rejette finalement la demande de la minorité
tamoule. Les élections se tiendront sans quotas de sièges réservés
aux minorités.
De la
revanche des Cinghalais au retour de la paix
L'indépendance de Ceylan correspond à une période difficile, car les Cinghalais ont bien l'intention de prendre leur revanche sur les Tamouls qui, à leurs yeux, ont été favorisés par l'occupant britannique. Albion n'avait fait, selon un programme classique, que « diviser pour régner », mais – comme à Chypre ou en Inde – les résultats se révèlent, une fois venu le temps de l'indépendance, tout à fait calamiteux. Après une longue période d'affrontements meurtriers, les deux composantes de l'Etat srilankais vont cependant parvenir à la mise en œuvre des compromis nécessaires au rétablissement de la paix civile.
Février 1948 : L’île de Ceylan accède donc à l’indépendance,
tout en gardant un lien privilégié avec le Royaume-Uni dans le
cadre du Commonwealth avec statut de dominion. Dès
l’origine, le climat politique local se confirme tendu, sur fond de
la victoire électorale massive obtenue tout naturellement par les
partis cinghalais. La
majorité cinghalaise est animée d’un esprit de revanche, car elle
considère que l’occupant anglais l’a mal traitée en
privilégiant les Tamouls dans les domaines sociaux, éducatifs et
administratifs. La minorité tamoule craint des représailles.
Dès
1949 : Les « Tamouls indiens », dont le statut n’était
pas prévu par les textes régissant les modalités d’accession à
l’indépendance, sont décrétés apatrides par le gouvernement de
Ceylan. C’est le premier acte formel d’une politique nationale
anti-tamoule.
1956 : Le gouvernement, soutenu par sa majorité parlementaire
cinghalaise, instaure une politique qui favorise l’accès des
bouddhistes (les Cinghalais) aux universités et à la fonction
publique. Une loi organique promeut le cinghalais comme langue
officielle de l’île et le bouddhisme comme religion de l’Etat,
la langue tamoule et l’hindouisme n’étant que tolérés et,
théoriquement, protégés par l’Etat. A
compter de ce moment, les Tamouls perdent de facto le contrôle de
l’administration locale, y compris dans les territoires où ils
sont majoritaires. Aux yeux de nombreux Tamouls, le Cinghalais, de
rival, devient l’oppresseur, voire l’occupant.
26 septembre 1959 : Solomon Baidaranaike, Premier ministre cinghalais
depuis 1956 et adversaire historique de Ponnambalam dans le débat
sur les quotas de représentation, est assassiné par un moine
bouddhiste dont on ne connaît pas les motivations. Peut-être
Baidaranaike n’était-il pas allé encore assez loin ?
Années soixante : Faisant suite à des accords entre l’Inde
et Ceylan, Ceylan accorde la nationalité cinghalaise à 40 % environ
des « Tamouls indiens ». Plusieurs dizaines de milliers
d’entre eux sont en revanche rapatriés en Inde et retournent au
Tamil Nadu. Ce n’est qu’au cours des années quatre-vingt-dix que la
quasi-totalité des Tamouls indiens aura obtenu la nationalité
sri-lankaise.
1961 : Le gouvernement central durcit à nouveau sa politique,
nationalise les écoles tamoules et impose aux Tamouls l’obligation
d’apprendre la langue cinghalaise.
1972 : L’île de Ceylan promeut une nouvelle constitution qui
proclame l’indépendance complète du pays sous le nom de république socialiste démocratique du Sri-Lanka, « l’Ile du
bonheur », en mémoire au nom de Langka ou Srok Langka porté
par l’île dans les poèmes indiens brahmaniques anciens.
2010 : Depuis l’élection présidentielle, le pays connaît une paix civile sans accrocs.
Aujourd’hui : Le Sri-Lanka applique et respecte sa loi organique sur les langues. Le cinghalais et le tamoul sont les deux langues officielles du pays. Chacun peut rédiger tous documents et ester en justice dans sa langue. Un statut particulier est reconnu à l’anglais, qualifié de « langue de lien » et maîtrisé par tous les fonctionnaires et représentants de l’Etat amenés à être en contact avec les membres de l’autre ethnie.
La paix a permis aux zones agricoles tamoules et aux régions cinghalaises frontalières, victimes de la guerre civile et de menaces perpétuelles, de retrouver une pleine productivité. Dans ce pays où la population rurale représente encore 80 % de la population totale et les agriculteurs ou éleveurs 60 % environ de la population active, les productions vivrières ou à vocation industrielle et d’exportation ont retrouvé leur niveau d’avant la guerre. Le riz, la canne à sucre, les épices bien entendu, la noix de coco, mais aussi les bœufs et le poisson de l’aquaculture marine ou d’eau douce constituent des ressources importantes du pays à l’exportation. Le latex est désormais majoritairement transformé sur place.
En sus de l’industrie du caoutchouc, très florissante et très fortement exportatrice, le Sri-Lanka contemporain a réussi à se doter d’industries de transformation de produits locaux qui lui permettent de créer localement de la valeur ajoutée : industrie agro-alimentaire, tabac. Et, bien entendu, la tradition du thé de Ceylan se perpétue…
Le gouvernement encourage toutes les activités de service et de nouvelles technologies que connaissent les pays occidentaux et l’Inde toute proche. Le Sri-Lanka mise aussi désormais sur le développement du tourisme et tout est fait pour garantir le meilleur accueil. Mais on sera heureux de relever que, plutôt que de favoriser un tourisme de masse et de bétonner ses côtes comme d’autres nations en ont commis l’erreur, les héritiers de Ceylan, la plus que bimillénaire, préfèrent mettre l’accent sur un tourisme « intelligent » où se mêle la visite des richesses patrimoniales à celle des plantations de thé avec dégustation locale des produits, ce qui constitue la variante locale de notre oeno-tourisme…