Chaque année, la célébration de la Nativité s’accompagne de pratiques qui semblent réglées par une coutume immuable. Et pourtant, nombre d’entre elles nous viennent de la haute Antiquité, ou de différents pays. Pour mieux comprendre leurs richesses, suivons les explications de l’historien Philippe Conrad.
Les serviteurs s’en allaient, pour « poser la bûche au feu » dans leur pays et dans leur maison. Au Mas ne demeuraient que les quelques pauvres hères qui n’avaient pas de famille ; et parfois des parents, quelque vieux garçon par exemple, arrivaient à la nuit en disant : « Bonne fête ! Nous venons poser, cousins, la bûche au feu avec vous autres ». Tous ensemble nous allions joyeusement chercher la « bûche de Noël » qui – c’était de tradition – devait être un arbre fruitier. Nous l’apportions dans le Mas, tous à la file, le plus âgé la tenant d’un bout, moi, le dernier-né, de l’autre ; trois fois nous lui faisions faire le tour de la cuisine ; puis, arrivés devant la dalle du foyer, mon père, solennellement, répandait sur la bûche un verre de vin cuit en disant : « Allégresse ! Allégresse ; mes beaux enfants, que Dieu nous comble d’allégresse ! Avec Noël tout bien vient. Dieu nous fasse la grâce de voir l’année prochaine. Et, sinon plus nombreux, puissions-nous n’y pas être moins. » Et nous écriant tous « Allégresse, allégresse, allégresse ! », on posait l’arbre sur les landiers et, dès que s’élançait le premier jet de flamme : « À la bûche boutefeu ! » disait mon père en se signant. Et tous nous nous mettions à table. Oh ! La sainte tablée, sainte réellement, avec, tout à l’entour, la famille complète, pacifique et heureuse. Trois chandeliers brillaient sur la table et si, parfois, la mèche tournait devers quelqu’un, c’était de mauvais augure. À chaque bout, dans une assiette, verdoyait du blé en herbe, qu’on avait mis à germer dans l’eau le jour de la Sainte-Barbe. Sur la triple nappe blanche tour à tour apparaissaient les plats sacramentels : les escargots, qu’avec un long clou chacun tirait de la coquille ; la morue fine et le muge aux olives, le cardon, le scolyme, le céleri à la poivrade, suivis d’un tas de friandises réservées pour ce jour-là, comme : fouace à l’huile, raisins secs, nougat d’amandes, pommes de paradis ; puis au-dessus de tout, le grand pain calendal, que l’on n’entamait jamais qu’après en avoir donné, religieusement, un quart au premier pauvre qui passait. La veillée, en attendant la messe de minuit, était longue ce jour-là ; et longuement, autour du feu, on y parlait des ancêtres et on louait leurs actions…
Cette évocation des Noëls de son enfance que nous a laissée le grand écrivain provençal Frédéric Mistral résume parfaitement ce que fut cette fête dans l’Europe traditionnelle. Fête de la famille et de la mémoire, fête de l’enfance dont le déroulement mêle, diversement selon les régions, des pratiques immémoriales liées à l’arbre et au foyer, les rituels de la table, l’affirmation des solidarités communautaires et la piété chrétienne. Moment privilégié de la manifestation du sacré, l’anniversaire de la naissance du Christ, confondu avec le moment des nuits les plus longues, annonce l’éternel retour de la vie. Instant « merveilleux » qui voit se confondre le temps cyclique des saisons et celui d’une histoire sacrée porteuse de la rédemption du monde, la fête de Noël demeure le moment du recueillement et de la joie, du retour sur soi et de la générosité, de la communion avec Dieu et des lumières de l’espérance. Profondément ancrée dans la longue mémoire européenne et chrétienne, la célébration de Noël, quelles que soient les dérives marchandes qu’elle engendre aujourd’hui, demeure l’occasion – dans le monde cruellement désenchanté du début du XXIe siècle – de renouer les fils du temps, de reconstituer, à travers le regard illuminé d’un enfant ou dans la chaleur d’une famille réunie, les liens puissants qui permettent aux hommes d’échapper aux désespérances contemporaines.
Le christianisme primitif ignore cette célébration et, dans la première moitié du IIIe siècle, le philosophe alexandrin Origène refuse encore que soit posée la question de la date de naissance du Christ, comme s’il s’agissait d’un quelconque souverain ou pharaon. Reprenant une prophétie de Michée, les évangélistes Mathieu et Jean situent la Nativité à Bethléem mais ne donnent aucune indication quant à sa date, et les bergers veillant la nuit, en plein air, sur leurs troupeaux qu’évoque saint Luc laissent penser à une journée printanière. Plusieurs dates correspondant à la naissance de Jésus sont pourtant proposées à partir de la fin du IIe siècle.
Clément d’Alexandrie avance le 18 novembre, mais les auteurs ultérieurs tiennent pour une date située entre mars et mai. Certains gnostiques choisissent celle du 6 janvier, qui présente l’intérêt de correspondre aux épiphanies de Dionysos et d’Osiris – deux divinités de la végétation qui, comme le Christ, meurent et ressuscitent – et à la sortie du soleil dans la constellation de la Vierge, moment important pour les astrologues de l’Antiquité. La date du 6 janvier fut également retenue pour célébrer l’anniversaire du baptême du Christ dans le Jourdain et le miracle réalisé lors des noces de Cana qui virent Jésus transformer l’eau en vin. Aux IIIe et IVe siècles, c’est donc le 6 janvier, qui voit « l’épiphanie », c’est-à-dire la « manifestation » du Christ, que l’Orient chrétien célèbre sa naissance.
À l’inverse, l’Occident se rallie rapidement à la date du 25 décembre. L’importance accordée aux anciennes fêtes du solstice d’hiver, le souvenir des saturnales romaines (célébrées du 17 au 25 décembre) et la place considérable qu’avait acquise dans l’empire le culte de Mithra – dieu solaire et sauveur d’origine iranienne – expliquent pour une bonne part ce choix. Correspondant à la nuit la plus longue de l’année, qui précède immédiatement la « remontée » du soleil dans le ciel, le solstice d’hiver était un moment chargé d’une forte sacralité pour les anciennes sociétés européennes, et l’assimilation du Christ sauveur au Soleil victorieux des ténèbres devait fatalement rapprocher les deux traditions. La célébration de la renaissance annuelle de Mithra et la fête du Sol invictus, dont Aurélien avait tenté d’imposer le culte dans l’ensemble de l’empire, intervenaient toutes deux le 25 décembre, et Macrobe nous rapporte que, ce jour-là, on sortait d’un sanctuaire une divinité solaire figurée comme un enfant nouveau-né.
Ces pratiques ne pouvaient que préparer le subtil syncrétisme mis en œuvre par les chrétiens pour assimiler la naissance de Jésus au retour de l’astre solaire. Au milieu du IVe siècle, le 25 décembre est déjà retenu à Rome comme la fête de la Nativité du Christ. Au début du siècle suivant, la fête de Noël est placée sur un pied d’égalité avec celles de Pâques et de l’Épiphanie, laquelle commémore désormais la venue des Rois mages. En 440, l’Église décide officiellement de célébrer la naissance du Christ le 25 décembre, et Noël devient une fête d’obligation au début du VIe siècle, à peu près au moment où Denys le Petit fixe arbitrairement la naissance du Christ en l’an 754 de la fondation de Rome. L’Occident resta longtemps réticent pour se rallier à une date, le 25 décembre, qui correspondait, pour les croyants coptes ou arméniens, à des célébrations païennes exécrées. Il semble en effet que les tenants de la foi nouvelle venue d’Orient, de même qu’ils « christianiseront » la fête celtique des morts du début novembre, ont « récupéré » la puissante sacralité qui accompagnait traditionnellement les fêtes du solstice pour en faire le moment de la naissance du Sauveur. Dans l’ouvrage qu’il a consacré aux Survivances païennes dans le monde chrétien, Arthur Weigall constate que « ce choix semble avoir été imposé aux chrétiens par l’impossibilité dans laquelle ils se trouvaient, soit de supprimer une coutume aussi ancienne, soit d’empêcher le peuple d’identifier la naissance de Jésus à celle du Soleil. » Conscient des difficultés rencontrées par les évangélisateurs des peuples barbares du Nord, le pape Grégoire Ier n’hésitera pas à recommander à Augustin, l’apôtre des îles Britanniques, d’interpréter dans un sens chrétien les rites et les croyances auxquels demeuraient attachés les Anglo-Saxons du début du VIIe siècle.
On écarte aujourd’hui l’étymologie, jugée simpliste, qui fait de Noël le neo Hélios, le « nouveau Soleil », et c’est au latin natalis (origine de l’italien natale) que l’on rattache le « Noël » français. Les « messes du Christ » dites par les évangélisateurs de l’Angleterre au cours du mois de décembre sont devenues le Chritsmas des Anglais, alors que le terme le plus courant en allemand est celui de Weihnacht, la « Nuit sainte ». Le mot Jul (qui désigne, selon les hypothèses, la « roue du temps » ou la « fête ») est celui qui a été retenu dans les langues scandinaves. Quelles que soient ses diverses dénominations, la fête qui intervient dans les derniers jours de décembre combine les antiques croyances liées à la nuit hivernale à l’espoir de renouveau dont sera porteur le nouveau soleil, une lumière que les peuples, au fil des générations, assimileront à l’Enfant-Dieu né dans la superbe pauvreté de la grotte ou de l’étable de Bethléem.
Issu du mot latin adventus qui désigne « l’arrivée », la naissance du Christ, l’Avent correspond à la période de quatre semaines précédant le 25 décembre mais pouvant débuter, en certaines régions d’Allemagne, avec la Saint-Martin (11 novembre). Dans les campagnes de l’ancienne Europe, cette période, marquée par les progrès de la nuit, était perçue comme inquiétante dans la mesure où les âmes des damnés accompagnaient « chasses sauvages » et autres « mesnies Hellequin », ces chevauchées imaginaires de démons et de sorcières, nés de ces jours sombres de novembre, qui voyaient les morts se rappeler au souvenir des vivants. Plus rassurante, la tradition de la couronne d’Avent – faite de branches de sapin tressées et ornée de quatre bougies qui symbolisent les quatre saisons de l’année – est née assez tardivement dans les régions protestantes du nord de l’Allemagne avant de se répandre en Scandinavie, puis aux États-Unis.
La période de l’Avent est riche en célébrations significatives. Divers saints importants sont honorés à ce moment. Outre Saint-Martin le 11 novembre, il faut évoquer Sainte-Catherine le 25, Saint-Éloi le 1er décembre, Sainte-Barbe le 4, Saint-Nicolas le 6, Sainte-Lucie le 13. La Saint-Martin marquait l’entrée dans la période froide de l’année ; évêque de Tours et patron des Gaules, le saint était associé à l’oie, animal sacré depuis la plus haute Antiquité que l’on mangeait rituellement en cette période de l’année où sa fête était l’occasion de joyeuses ripailles. Protecteur des chevaux et patron des orfèvres, le « bon saint Éloi » jouit longtemps d’un immense prestige dans l’imaginaire populaire. Martyrisée au moyen d’une roue demeurée son emblème, sainte Catherine avait la réputation de déposer, le jour de sa fête, des cadeaux destinés aux enfants. Sainte Barbe, célébrée le 4 décembre, jouait un rôle dans le cycle de la végétation, comme le rappelle le texte de Mistral cité plus haut quand il évoque les grains de blé que l’on mettait à germer le 4 décembre, jour de sa fête – tradition également présente en de nombreuses autres régions d’Europe, notamment en Allemagne et en Alsace. Sainte Barbe est souvent associée à saint Nicolas, fêté deux jours plus tard, quand celui-ci distribue des cadeaux aux enfants. Martyrisée à Syracuse sous Dioclétien, sainte Lucie – dont le nom évoque évidemment la lumière – est particulièrement honorée en Europe du Nord, à la faveur des très longues nuits d’hiver : le 13 décembre, les jeunes filles vêtues d’une longue chemise de nuit blanche et coiffées d’une couronne ornée de plusieurs bougies allumées font le tour du foyer et offrent des gâteaux aux membres de leur famille. La même période précédant Noël correspondait également aux quêtes que les enfants effectuaient au cours des tournées qui les conduisaient dans les différentes maisons du village. Analogues au « pâqueret » des enfants de chœur, elles garantissaient aux donateurs les plus généreux une année prospère, alors que les récalcitrants se voyaient promis aux affres des mauvais sorts.
Un sapin toujours vert témoigne de la persistance de la vie, tout comme le lierre et le houx, demeurés verts au cours de la saison froide, annonçaient le retour de Dionysos, dieu grec de la végétation toujours renaissante. C’est en Alsace, au XVIe siècle, que l’on trouve, à l’époque moderne, les premières mentions des sapins de Noël et, en 1604, l’érudit Johann Konrad Dannhauer déplore que « pour Noël, il soit d’usage à Strasbourg d’élever des sapins dans les maisons. On y attache des roses en papier de diverses couleurs, des friandises ou des pommes… » Dès le XIe siècle, un évêque de Worms interdisait à ses ouailles de décorer leur maison « avec de la verdure prise sur les arbres », ce qui sous-entend qu’une telle pratique était répandue dès cette époque. Auteur de la célèbre Nef des fous qui inspira à Jérôme Bosch le tableau conservé au Louvre, Sébastien Brant signale, à la fin du XVe siècle, l’habitude qu’ont prise les gens de décorer leur maison de feuillages divers au moment de Noël. La tradition chrétienne tentera de s’approprier le culte ainsi rendu au « sapin de Noël » en rapportant que saint Boniface, l’apôtre de la Germanie, aurait consacré au Christ un arbre auquel s’attachaient antérieurement des superstitions païennes. Le culte des arbres et le mystère des forêts jouaient un rôle important dans l’ancienne religiosité européenne, et il est clair que l’Église chrétienne a pris soin de « récupérer » ces croyances ; l’arbre de la Connaissance était présent sur le parvis des églises quand on y jouait, au soir de Noël, certains drames liturgiques, ce qui impliquait – pour disposer d’un arbre vert à ce moment de l’année – d’utiliser un sapin. Très répandu en Alsace, l’arbre de Noël gagne dès le XVIIIe siècle le reste de l’Allemagne. En 1795, un livre publié à Nuremberg signale la mise en place d’un Christkindleinbaum, un « arbre de l’Enfant Jésus » décoré de bougies. La Bavière et l’Autriche adoptent cette coutume dans les premières années du XIXe siècle, mais les peuples placés sous l’autorité de la monarchie Habsbourg demeureront un temps réticents face à cette pratique dans la mesure où, issue de l’Allemagne protestante, elle est a priori suspecte. Les troupes allemandes du roi d’Angleterre introduisent cette coutume en Pennsylvanie dès l’époque de la guerre d’Indépendance, et ce sont ensuite des Germano-Américains installés dans le New Jersey et l’Ohio qui l’acclimatent définitivement outre-Atlantique où, dès 1890, le président Harrison fait installer un sapin de Noël à la Maison-Blanche. En Angleterre, c’est une suivante de la reine Caroline de Brunswick, épouse allemande du roi George IV, qui introduit à la cour le premier arbre de Noël en 1821, et la coutume se généralise sous le règne de la reine Victoria, elle-même mariée à un prince allemand, Albert de Saxe-Cobourg-Gotha. À Paris, c’est également une princesse allemande, Hélène-Louise de Mecklembourg-Schwerin, épouse du duc d’Orléans, fils aîné de Louis-Philippe, qui fait dresser aux Tuileries, en 1837, le premier sapin de Noël ; mais il faut attendre les lendemains de la guerre de 1870 et l’extraordinaire popularité de tout ce qui rappelle l’Alsace perdue pour que la coutume se généralise. L’Italie et l’Espagne, terres de forte tradition catholique, demeureront longtemps rétives au sapin de Noël, assimilé à une pratique étrangère, née dans les pays protestants de l’Europe germanique et rapidement adoptée par les Anglo-Saxons et les Scandinaves. Très tôt, l’arbre de Noël est couvert de décorations diverses et équipé de bougies qui permettront de l’illuminer quand viendra la nuit sainte, pour le plus grand émerveillement des enfants. Tannenbaum (sapin) en Westphalie, dans le Schlesvig ou le Mecklembourg, Weinachtsbaum (arbre de Noël) en Poméranie et dans le Brandebourg, Christbaum (arbre du Christ) en Autriche, Souabe ou Franconie, Lichterbaum (arbre illuminé) dans le Harz, les sapins sont devenus, au cours des deux derniers siècles, un élément essentiel des célébrations de Noël.
Symbole des récoltes passées et à venir, la « paille de Noël » permet de confectionner étoiles, animaux ou figures destinés à la décoration de l’arbre. À côté de celui-ci, la crèche maintient le souvenir de la Nativité du Christ. Cette tradition a surtout connu de brillants développements dans les pays de l’Europe latine et catholique comme l’Italie, l’Espagne et le Portugal, mais l’Allemagne du Sud et la France y sont également attachées. Le mot vient du provençal crepcha, et l’on sait l’importance que revêt cette tradition dans les Noëls provençaux. Dès le haut Moyen Âge, des crèches sont installées dans les églises et des jeux liturgiques, dits « jeux de la Nativité », y sont organisés au soir de Noël. Vers 1223, saint François d’Assise aurait célébré la messe dans une grotte où aurait été figurée la scène de la Nativité. Apparue en Italie, la crèche de Noël franchit les Alpes vers le milieu du XIIIe siècle, et ce sont les franciscains qui répandent cette coutume en Provence. En autorisant la figuration d’autres personnages que ceux traditionnellement représentés dans les nativités médiévales, le concile de Trente va considérablement enrichir les crèches réalisées dans l’Europe catholique, envahies désormais par tout un petit peuple de fidèles, celui des paroissiens du temps. À Naples ou dans le Tyrol, les crèches baroques des XVIIe et XVIIIe siècles deviennent de véritables œuvres d’art, riches de dizaines de personnages réalisés en bois, en terre cuite ou en faïence. Installée dans une grotte ou dans une modeste étable, la crèche traditionnelle s’est répandue dans les familles de fidèles où elle ne rassemble plus modestement que les personnages de l’Enfant Jésus, de Marie, de Joseph, des bergers et de Rois mages, sans oublier l’âne et le bœuf, omniprésents dans toute l’iconographie traditionnelle de la Nativité mais absents des textes évangéliques évoquant la naissance du Christ. C’est à la fin du XVIIIe siècle que le Marseillais Jean-Louis Lagnel invente les « santons de Provence », c’est-à-dire les représentants de tout le petit peuple du Midi, assimilés aux santi boni, aux « bons saints » devenus les santoni italiens et les santouns provençaux. Le succès de ces petits personnages et la popularité, aux XIXe et XXe siècles, de la Provence de Mistral, de Daudet et de Pagnol contribuèrent à maintenir très vivante la tradition des crèches et des Noëls provençaux.
Outre le gui et le houx qui contribuent largement aux décorations de Noël, la tradition de la « bûche », aujourd’hui réduite à la consommation de la célèbre pâtisserie, confirme le lien étroit qui unit cette fête de l’hiver à la végétation. À l’origine, on faisait brûler dans la cheminée une véritable bûche, et son embrasement constituait l’un des moments forts de la veillée de Noël. Bénie par le chef de famille, arrosée d’eau-de-vie ou de vin, elle était décorée de rubans et de feuillages, et ses tisons soigneusement conservés étaient censés protéger de la foudre. En Sicile, on la brûlait solennellement devant la crèche figurant la Nativité. Chêne, frêne, tilleul ou olivier, l’arbre utilisé varie selon les régions. Noël est également l’occasion d’un repas exceptionnel, jadis marqué par la consommation de viande de porc, largement remplacée aujourd’hui par la dinde dont la tradition nous vient d’Angleterre, puisque ce serait le roi Henri VIII qui l’aurait mise à l’honneur dans le second quart du XVIe siècle. Un peu partout, la veillée de Noël a donné naissance à des traditions culinaires originales. Il en est ainsi des fameux « treize desserts » provençaux que détaille goulûment Marcel Pagnol dans La Gloire de mon père : la fougasse à l’huile et à la fleur d’oranger, le nougat blanc et le nougat noir, les « quatre mendiants » – figues sèches, raisins secs, amandes, noisettes –, les noix, les dattes, les pruneaux, les mandarines, les poires et les pommes, le tout accompagné des « sept vins de Noël ». Dans tous les pays d’Europe, une multitude de gâteaux traditionnels aujourd’hui le plus souvent disparus témoignaient de la persistance de traditions demeurées très vivaces jusqu’à l’extinction de l’ancienne civilisation rurale. Noël a également inspiré de superbes chants populaires dont certains – Stille Nacht, Heilige Nacht ou O Tannenbaum – ont rencontré un succès qui a largement dépassé les frontières du monde germanique, et les Noëls qui accompagnaient traditionnellement les messes de minuit constituent un répertoire d’une infinie richesse.
Le père Noël, ce distributeur de cadeaux dont les petits enfants attendent impatiemment la venue… Lors des saturnales, les anciens Romains s’offraient mutuellement des cadeaux, ces strenae qui sont devenues nos « étrennes » et, que ce soit à l’occasion de la Saint-Nicolas, de Noël, du jour de l’An ou de l’Épiphanie, cette coutume de la remise de cadeaux a perduré. Le père Noël que nous connaissons actuellement, avec sa barbe blanche et sa houppelande rouge, est apparu récemment dans le folklore français en provenance des pays anglo-saxons, mais il semble bien qu’il ait eu chez nous quelques ancêtres significatifs. Le père Chalande savoyard, le père Janvier bourguignon ou l’Olenzaro basque étaient des distributeurs de cadeaux très appréciés des petits ; mais c’est surtout saint Nicolas qui semble avoir fourni le modèle principal. En Allemagne, en Suisse, en Belgique et dans le nord et l’est de la France, c’est lui qui descend dans les maisons par le tuyau de la cheminée pour laisser à chaque enfant un témoignage de satisfaction – jouets ou friandises – ou de mécontentement – morceaux de charbon. Les enfants déposaient leurs souliers auprès de l’âtre, ainsi que du foin ou une carotte destinés à l’âne que le saint utilisait comme monture. En Italie, c’est la fée Befana qui distribue – le 6 janvier, jour de la fête de l’Épiphanie – les cadeaux destinés aux enfants, et c’est au même moment que les petits Espagnols reçoivent les présents que déposent pour eux les Rois mages…
La richesse et la diversité des traditions qui s’y rattachent témoignent de la place qu’occupe la fête de Noël dans l’imaginaire européen et chrétien. Héritier des plus anciennes croyances et moment privilégié de la venue du Sauveur, le temps sacré de Noël apparaît aux sociétés matérialistes contemporaines – qui ressentent confusément la nostalgie de leur foi oubliée – comme l’instant magique où s’opère déjà, au cœur de la nuit, l’inéluctable réenchantement du monde.