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Les fouilles françaises de Mari

Jean-Claude Margueron
Directeur d’études à l’EPHE (IVe section) Directeur des fouilles de Mari de 1979 à 2004

Auteur notamment de deux ouvrages de référence, Les Mésopotamiens (Picard, 2003) et Mari, capitale de l'Euphrate (Picard, 2004), Jean-Claude Margueron a dirigé notamment, de 1979 à 2004, les fouilles de Mari où il a poursuivi les recherches engagées par André Parrot. Dès 1995, il dressait le bilan des découvertes réalisées par la mission archéologique française sur ce site fabuleux qui continue de livrer de précieuses informations concernant la Mésopotamie des IIIe et IIe millénaires avant notre ère. Jean-Claude Margueron nous fait part également de ses efforts pour sauvegarder ce patrimoine inestimable, berceau de la civilisation.

Mari n’est pas le seul site où les Français ont engagé une fouille de longue durée : Ras Shamra/Ugarit, en Syrie également, offre un autre exemple de travaux semblables, ainsi que Suse, en Iran, où des archéologues français ont conduit des recherches pendant quelque 80 ans ; mais les raisons et les conditions de ces opérations sont très différentes dans chacun de ces cas… Si Mari attire toujours l’attention des archéologues, c’est tout d’abord en raison de l’importance de la cité et de son rôle dans le Proche-Orient du IIIe et du début du IIe millénaire ; c’est ensuite parce qu’on a pu y réaliser une moisson exceptionnelle d’objets d’art, et y recueillir quelque quinze mille tablettes qui forment la meilleure source documentaire actuelle sur le début du second millénaire ; enfin, la conservation tout à fait exceptionnelle de certains monuments suscite un grand intérêt. Finalement, si Mari reste au premier plan de la recherche archéologique, c’est parce que ce site a fourni et fournit encore une documentation unique qui permet de mieux comprendre la civilisation syro-mésopotamienne.
Les découvertes des dernières campagnes restent sur ces questions tout à fait essentielles : quelques centaines de tablettes sont venues enrichir les collections anciennes, une tête de statuette parmi les plus expressives a été retrouvée dans un temple et une seule tombe de la fin du IIIe millénaire vient de rendre une série exceptionnelle de bijoux en argent et en or. Dans le domaine de l’art comme dans celui des textes, Mari est toujours bien présent. Cependant les méthodes modernes de l’exploration archéologique ne permettent pas de juger sous cet angle les résultats obtenus ces dernières années.

Quels sont ces résultats récents ?

Ils sont de trois ordres différents et correspondent aux différents types d’actions qui ont été conduites : exploration systématique de la région ou survey et, sur le terrain, sondages stratigraphiques systématiques alliés à des dégagements horizontaux de grands monuments. En premier lieu on a acquis une connaissance très précise du milieu géographique dans lequel s’est développée la ville de Mari au début du IIIe millénaire : un milieu subdésertique dans lequel une communauté ne pouvait vivre qu’en mettant en place un réseau d’irrigation pour la culture des céréales, celles-ci formant la base de la nourriture. Certains des canaux ont été repérés : ils révèlent que les aménageurs de la région possédaient une excellente connaissance des modalités d’organisation du système d’irrigation d’une vallée, système qui diffère considérablement de celui que l’on met en œuvre dans une plaine. En second lieu ont été recherchées les raisons de la création et la compréhension du rôle exact que Mari a joué dans l’Antiquité, car on ne fonde pas une ville en milieu désertique en créant de toutes pièces les moyens de son alimentation sans une nécessité impérieuse. Or il semble bien qu’à l’origine de la décision de créer Mari – décision politique prise par un pouvoir qui avait la haute main sur l’ensemble régional – il y eut la volonté de faciliter le commerce entre la Mésopotamie et la Syrie du nord et de l’ouest : un canal de navigation long de 120 kilomètres a ainsi été aménagé sur la rive gauche ; il unissait le Khabur à l’Euphrate qu’il rejoignait à une dizaine de kilomètres en aval de Mari. Ainsi le rôle de la capitale de la moyenne vallée de l’Euphrate apparaît-il clairement : il consiste à contrôler le trafic des bateaux et faciliter le transit en faisant payer des taxes qui sont la base de sa richesse. C’est pourquoi il fallait commander le passage, entretenir et maintenir en état les canaux de navigation et ceux du réseau d’irrigation, pour permettre à la population – chargée de faire fonctionner un système parfaitement artificiel et de le protéger – de vivre dans des conditions acceptables.

Qu’attendez-vous des phases suivantes de l’exploration de Mari ?

Deux objectifs majeurs sont maintenant au programme. Tout d’abord chercher à définir les caractéristiques de l’urbanisme de Mari à l’époque de sa fondation. Le processus est certainement exemplaire : quelques siècles à peine après le début de la naissance du phénomène urbain, voilà que l’on décide de fonder, de façon artificielle dans un milieu répulsif, une ville que l’on entoure d’une digue de protection de 1900 mètres de diamètre (sans doute surmontée d’un rempart), ville que l’on installe à l’écart du fleuve pour la protéger des inondations ; en outre, un canal de raccordement est creusé pour assurer la liaison avec l’axe fluvial et l’alimentation en eau quotidienne. Je pense qu’il est du plus grand intérêt de connaître la façon dont les promoteurs ont conçu l’organisation de la ville. Ensuite il est important de connaître la façon dont elle a évolué et, pour cela, il faut préciser les péripéties de son histoire. La rareté des textes pour le IIIe millénaire nous oblige à interroger le site lui-même et nous commençons à entrevoir les grandes phases de son évolution, les moments où la cité a brillé de tous ses feux, mais aussi les périodes de déclin, voire d’abandon. Grâce à Mari il sera possible de mesurer l’intensité des relations entre la Mésopotamie et la Syrie – et, par voie de conséquence, les moments où le Proche-Orient connaissait une vie active – et ceux qui étaient marqués par un marasme plus ou moins prononcé.

Le drame de l’architecture de briques crues, c’est qu’elle ne peut résister longtemps aux effets conjugués de la pluie, du soleil et du vent. Ce qui est vrai pour un édifice abandonné l’est encore plus pour un monument dégagé par la fouille. Devant la destruction, en quelques années, du superbe palais du second millénaire qu’il avait retrouvé avant la guerre avec des murs hauts encore de quatre ou cinq mètres, André Parrot décida de tout tenter pour sauver l’Enceinte sacrée du palais du IIIe millénaire, qui présentait lui aussi des murs de plus de cinq mètres de haut lorsqu’il fut remis au jour. Les architectes pensèrent alors qu’un toit devait suffire à protéger le monument ; une couverture fut alors édifiée, qui retarda effectivement la destruction. Cependant ce procédé ne tient pas compte des effets destructeurs d’un sillon qui s’attaque à la base des murs et entraîne à moyen terme leur destruction. L’érosion a donc continué à exercer ses ravages dans l’Enceinte sacrée.

Envisagez-vous une nouvelle action en ce domaine ?

J’ai trouvé moi aussi insupportable la disparition de ces monuments uniques. J’ai alors pris contact avec le Centre de recherche sur l’architecture de terre (CRATerre) de Grenoble, et depuis 1989 des expériences ont été engagées pour savoir comment lutter efficacement contre le phénomène. À l’issue de ces recherches, le CRATerre a mis au point des procédures qui devraient permettre, à l’aide d’un suivi peu onéreux, de prolonger dans de bonnes conditions la vie des monuments réalisés en architecture de terre et dégagés par la fouille.

Le problème posé à l’heure actuelle est d’ordre financier : il faut trouver des subsides pour réaliser des travaux dans le palais du IIIe millénaire afin de mettre un terme aux dégradations en cours, restaurer tout ce qui peut l’être, aménager des couvertures ou des « chapeaux absorbants » et installer dans certains secteurs un réseau d’aération souterrain qui permettra de maintenir en bon état la base des murs. C’est au profit de cette restauration qu’est vendu le guide de Mari et qu’une nouvelle association est en cours de constitution.

La survie de ces monuments est une question qui nous concerne tous.

Jean-Claude Margueron
avril 1995
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