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L'Écosse : légendes et histoire

Michel Duchein
Inspecteur général honoraire des Archives de France

L’Écosse a tout pour fasciner : des paysages grandioses, les plus vieilles montagnes du monde, les vastes horizons des Hébrides, des légendes tenaces, une alliance et des liens étroits avec la France… Pour mieux en comprendre la richesse historique et culturelle, nous nous sommes adressés à Michel Duchein auteur de Jacques Ier Stuart (Presses de la Renaissance – 1985), Marie Stuart : la femme et le mythe (Fayard – 1987) et d’une Histoire de l’Écosse (Fayard – 1998).

Landes balayées par le vent où retentit l’écho d’antiques batailles, lacs et châteaux hantés de fantômes mélancoliques ou vengeurs, îles ourlées de tempêtes et de naufrages, peu de pays autant que l’Écosse mêlent l’histoire, la légende et le rêve. Vieux fond celtique hérité de la préhistoire, certes, mais aussi volonté très consciente, de la part de Walter Scott et de ses émules au siècle dernier, de maintenir vivante ou de ressusciter la personnalité originale d’un pays à qui dix siècles de voisinage avec l’Angleterre n’ont jamais réussi à faire perdre le sentiment de son individualité profonde.

Il est donc légitime, en visitant l’Écosse, de rechercher tant de souvenirs historiques, authentiques ou embellis par la légende. Légitime aussi l’émerveillement devant tant de splendeurs naturelles et d’horizons du bout du monde, auxquels les voyageurs ont été sensibles depuis des siècles. Mais l’Écosse ne se résume pas à cela. La vigueur intellectuelle et économique de métropoles telles que Glasgow, Édimbourg, Aberdeen, n’a rien à envier à celle d’aucun autre pays. Et l’autonomie politique, recouvrée après trois siècles grâce à la renaissance du Parlement écossais au printemps 1999, ouvre au vieux pays calédonien des perspectives nouvelles dont il est encore difficile de mesurer toute l’ampleur.

Des Celtes… mais pas seulement

À l’origine, il y a la nature, rude et superbe, qui a fait émerger de l’océan, voici des millions d’années, un des plus anciens massifs montagneux du monde, puis creusé des vallées et des lacs, découpé des côtes rocheuses, isolé des centaines d’îles au milieu des courants marins. Enfin est venu l’homme, en provenance du continent européen, à une époque où la Grande-Bretagne n’était pas encore une île.

La base ethnique de la population ancienne de l’Écosse est indubitablement celte, comme l’est celle de la Gaule et des Bretagnes, Grande et Petite. Ce sont des Celtes, les Calédoniens ou « Pictes », au corps teint en bleu, que les Romains d’Agricola, général de l’empereur Vespasien, ont trouvé en face d’eux, et qui leur ont barré l’accès des montagnes que nous appelons Highlands. Aussi la civilisation latine n’a-t-elle pas dépassé vers le nord le cours de la Tay, qui marque encore aujourd’hui la limite des Lowlands, ou Terres basses, où sont situées la plupart des grandes villes et où vivent les trois quarts de la population du pays.

Ce sont aussi des Celtes, les Scots qui, venus d’Irlande au Ve siècle après J.-C., ont peu à peu conquis le pays et lui ont donné leur nom. Celte encore, le moine Columba, Irlandais lui aussi, qui convertit l’Écosse au christianisme et y fonda les premières églises, dont l’île d’Iona perpétue pieusement le souvenir ; c’est aussi lui, à en croire la légende, qui aurait le premier exorcisé le monstre qui hantait les eaux du loch Ness et qui depuis a bien fait parler de lui !

Mais entre les Ve et XIe siècles, d’autres peuples pénètrent dans le pays, tant par le sud – Anglais, Normands… – que par la mer – les Vikings, venus du Danemark et de la Norvège, qui s’implantent durablement dans les îles et le nord des Highlands. Aucune ségrégation raciale pourtant ; dès le haut Moyen Âge, les populations celtes, scandinaves, anglo-saxonnes et normandes fusionnent. Le sud de l’Écosse s’anglicise rapidement sous l’impulsion de la reine Marguerite – sainte Marguerite d’Écosse – contemporaine de Guillaume le Conquérant. À l’inverse de l’Irlande, il ne faut donc pas confondre indépendance écossaise et celtisme ; Robert Bruce, le grand héros de l’indépendance au XIVe siècle, était d’une famille normande ; la dynastie des Stuarts, symbole aujourd’hui encore de l’Écosse historique, était originaire de Dol-de-Bretagne.

Quant à l’anglicisation progressive de l’Écosse, depuis le XIe siècle au moins, elle a été si forte qu’à peine vingt mille personnes à l’heure actuelle ont le gaélique – langue celtique proche de l’irlandais – comme idiome maternel. Comme le dit un écrivain écossais contemporain, le pays est un « patchwork géographique et culturel », le contraire d’un bastion isolé et fermé sur lui-même. De là sa richesse intellectuelle.

L’indépendance durement conquise et sauvegardée

Depuis les premières pénétrations anglo-saxonnes, au VIIe siècle, les Anglais n’ont cessé de rêver à la conquête de l’Écosse. En 1296, Édouard Ier d’Angleterre, à la faveur d’une guerre dynastique, l’annexe purement et simplement. Mais bientôt le jeune William Wallace (Braveheart), puis Robert Bruce, reconquièrent le pays : la bataille de Bannockburn scelle en 1314 le retour à l’indépendance, hautement proclamée par la célèbre « Déclaration d’Arbroath », qui revendique en termes éloquents le droit à la liberté.

Pendant près de trois siècles, en fait jusqu’en 1603, l’Écosse et l’Angleterre vont donc vivre une succession de guerres et de trêves, d’alliances dynastiques aussi, qui marquera profondément les mentalités de part et d’autre de la frontière.

Dans cette lutte séculaire, l’Écosse s’est trouvée une précieuse alliée, qui est l’autre ennemie historique de l’Angleterre : la France. Le premier traité d’alliance franco-écossais est signé en 1295. Il sera renouvelé à maintes reprises. On l’appelle, en Écosse, l’Auld-Alliance (Auld pour old, en dialecte scot), toujours chère au cœur des Écossais.

Cette double influence culturelle, française et anglaise, ainsi que ce passé guerrier, expliquent la floraison de cathédrales, d’abbayes gothiques et de châteaux forts, qui constituent un élément si caractéristique des paysages écossais, surtout au sud près de la frontière.

Au XVIe siècle, l’alliance avec la France est si étroite que la petite reine d’Écosse, Marie Stuart, épouse le dauphin de France, futur François II. Elle devient même reine de France, pour quelques mois. Mais une grande mutation se produit alors. Sous l’impulsion enflammée du prédicateur John Knox, l’Écosse abandonne le catholicisme pour le protestantisme, sous la forme particulièrement austère et intransigeante du presbytérianisme. Ainsi s’opère une brusque rupture culturelle avec le passé – et, accessoirement, avec la France qui, elle reste catholique. Marie Stuart en sera la victime. Jusque-là, l’influence artistique et littéraire française avait été prépondérante ; désormais, ce sera l’influence anglaise qui prédominera.

L’Union anglo-écossaise

Le fils de Marie Stuart, Jacques VI, qui est, lui, protestant, devient en 1603 roi d’Angleterre, par succession dynastique pacifique, comme héritier de sa cousine Elisabeth Ière. Un siècle plus tard, en 1707, le Parlement d’Écosse vote sa fusion avec celui d’Angleterre : c’est l’« acte d’Union », qui consacre la fin de l’indépendance écossaise. Désormais, et jusqu’à nos jours, l’Écosse n’est plus qu’une composante du Royaume-Uni, tout en conservant ses propres lois, sa propre organisation administrative, son propre système judiciaire et religieux.

Cette union avec l’Angleterre ne s’accomplit pas sans heurts. Longtemps, un parti « jacobite » – du nom du dernier roi Stuart, Jacques VII, alias Jacques II en Angleterre – s’opposera à l’autorité des rois anglais de la famille de Hanovre. L’épisode culminant de cette lutte est l’expédition en Écosse, en 1745, du séduisant et léger Charles-Édouard Stuart (Bonnie Prince Charlie, le « gentil prince Charles »), qui alimente encore aujourd’hui les légendes et le folklore des Highlands. Battu à Culloden, près d’Inverness, Charles-Édouard réussit à s’échapper après mille aventures romanesques ; mais cette fois la mainmise anglaise est définitive, même si un jacobitisme sentimental survit longtemps.

Alors s’ouvre pour l’Écosse une ère d’activité économique et d’éclat intellectuel, qui se traduit par l’expansion urbaine d’Édimbourg et de Glasgow, par l’industrialisation de la vallée de la Clyde – mais aussi, hélas, par le dépeuplement des Highlands et des îles et par la paupérisation des petits paysans – phénomène, d’ailleurs, général dans toute l’Europe occidentale à la même époque.

L’Écosse profite largement de la prospérité de l’Empire britannique, première puissance économique mondiale au temps de la reine Victoria. Glasgow devient la seconde ville de l’empire et l’une des plus grandes métropoles européennes. L’Écosse se couvre de monuments somptueux, où fleurit le renouveau néogothique et Renaissance, bien visible aujourd’hui.

En même temps, Walter Scott fait revivre les légendes et les poésies écossaises, remettant à la mode tartans, kilts, cornemuses, lacs et fantômes, qui font désormais partie de l’image de l’Écosse, aux yeux du monde entier. Même le whisky, jusque-là boisson rustique des montagnards, conquiert ses lettres de noblesse, grâce à la reine Victoria qui y trouve consolation dans son veuvage, face aux horizons boisés de son château de Balmoral.

Aujourd’hui l’Écosse, comme tous les pays d’Europe, fait face aux difficiles défis de l’adaptation au monde moderne. Elle profite de son pétrole offshore et de l’électronique du Silicon Glen, mais ses industries traditionnelles suivent avec peine. Le chômage est au plus haut. Le nationalisme anti-anglais en profite et le référendum de septembre 1997 a donné 74,3 pour cent des voix à la résurrection du Parlement écossais, c’est-à-dire, juridiquement, à la rupture de l’Union de 1707. Le nouveau Parlement siège depuis le printemps 1999. Ce n’est pas encore l’indépendance, mais déjà, très largement, l’autonomie. L’avenir dira jusqu’où ira le balancier.

Michel Duchein
avril 1999
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