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Le peuplement de l’Afrique australe

Bernard Lugan
Maître de conférence à l'université de Lyon III Directeur-éditeur de la revue L'Afrique réelle Expert auprès du tribunal pénal international pour le Rwanda (ONU)

L’Afrique australe se compose de plusieurs pays qui reprennent le découpage de la colonisation : outre la République sud-africaine, on compte la Namibie, le Zimbabwe et le Botswana. Ce vaste territoire, aussi vaste que l’Europe occidentale, reste pourtant mal connu du public, qui trop souvent limite l’intérêt de ces régions à la seule beauté de leurs paysages, et néglige les populations indigènes qui leur donnèrent vie. C’est pourquoi nous avons demandé à Bernard Lugan, auteur de l’Histoire de l’Afrique du Sud des origines à nos jours (Perrin/Plon, 1995), d’évoquer les Khoisan.

Les premiers Européens qui visitèrent la région du cap de Bonne-Espérance y découvrirent des populations différentes des Noirs africains qu’ils avaient l’habitude de côtoyer le long des rivages de l’Afrique occidentale.

Certains de ces indigènes étaient éleveurs de bovins et de moutons à grosse queue, notamment ceux que les Portugais rencontrèrent le 3 février 1488 dans la baie de Mossel, à laquelle ils donnèrent le nom d’Angra dos Vaqueiros ou baie de Vachers.

Les rapports entre les Portugais et ces vachers devinrent rapidement conflictuels. Au début, les marins échangèrent avec eux de la pacotille contre du bétail, mais les incidents se multiplièrent et dégénérèrent en affrontements. Le plus grave se produisit le 1er mars 1510 quand, de retour d’Asie, Francisco de Almeida, premier vice-roi portugais des Indes, trouva la mort avec soixante-cinq de ses compagnons dans la région de la baie de la Table.

Les Portugais se détournèrent alors de la pointe australe de l’Afrique, et ce furent des voyageurs français qui donnèrent leur premier nom à ses habitants, à savoir celui de Hottentots. Venant de l’onomatopée Hautitou qu’ils psalmodiaient durant leurs danses, cette appellation leur est longtemps demeurée accolée. Or, elle est non seulement floue mais encore réductrice, car elle englobe deux populations différentes, les San (anciennement nommés Bushmen) qui étaient des chasseurs-cueilleurs, et les Khoi ou Khoi-Khoi (les Hottentots) qui étaient en plus éleveurs. Ceux que rencontrèrent les Portugais puis les Français étaient des Khoi.

Des caractéristiques linguistiques et physiques similaires…

San et Khoi appartiennent au même groupe linguistique. Leurs langues, qui sont entrecoupées de « clics », ressemblent à des onomatopées. Cette originalité n’avait pas échappé aux premiers voyageurs portugais. C’est ainsi que Ludoviguo de Vartena, compagnon de Vasco de Gama, écrit que les habitants de la région du Cap « parlent tout à la manière que les muletiers chassent les mulets au royaume de Naples et en Sicile. Ils parlent avec la langue dessous le palais ».

Les San forment un ensemble homogène en dépit de leur division en douze groupes principaux, eux-mêmes divisés en sous-groupes, et de la diversité de leurs dialectes. Physiquement, ils sont différents des Noirs :

« Le crâne des Khoisan est gracile et même pédomorphe (c’est-à-dire qu’il garde des traits juvéniles), et de petites dimensions, avec un faible dimorphisme sexuel ; il est court, large et pentagonal, avec des bosses frontales marquées et une face proportionnellement réduite, de forme triangulaire. Ils possèdent (en principe) des particularités physiques telles que : peau jaunâtre et ridée, cheveux en « grains de poivre », yeux étroits et obliques, pommettes saillantes, prognathisme peu marqué, lèvres minces, oreilles sans lobule, nez concave avec soudure des os propre, effacement de la ligne âpre du fémur, stéatopygie, membres, mains et pieds courts, hypertrophie des petites lèvres chez la femme, penis rectus chez l’homme, et quelques fréquences génétiques […] dont les plus typiques sont les haplotypes Gm 1,13,17 et Gm 1,21 des gamma-globulines sériques, utilisables pour mesurer le degré de métissage avec les Noirs. Cet ensemble de traits en font un extrême de la différenciation de l’espèce humaine. » (A. Froment, Le peuplement de l’Afrique centrale : contribution à l’anthropobiologie, in Paléo-anthropologie en Afrique centrale, Paris-1998)

… mais des mœurs différentes

Comme nous l’avons dit, les Khoisan constituent en fait deux populations, les San et les Khoi (ou Khoi-Khoi) qui sont des San éleveurs.

Prédateurs absolus, les San tiraient toutes leurs ressources du milieu. La chasse et la cueillette ne pouvant faire vivre des communautés nombreuses, chaque groupe n’était composé que d’une vingtaine d’individus se déplaçant sur des territoires immenses au gré des migrations du gibier, de la maturation des tubercules, des graminées sauvages et de l’assèchement des marigots.

Les femmes, armées d’un bâton à fouir alourdi par une pierre perforée, le kwé, fouillaient le sol à la recherche de larves, d’insectes, d’œufs, de racines et de bulbes tandis que les hommes chassaient à l’aide de petits arcs tirant des flèches empoisonnées. Passés maîtres dans l’art d’approcher les animaux, ils en connaissaient toutes les ruses. Remarquables artistes, les San ont laissé des milliers de peintures sur les parois rocheuses de l’Afrique australe. Les plus anciennes, identifiées en Namibie, ont été datées de 27 500 ans ; les plus récentes, du XIXe siècle.

Alors que les groupes de San ne dépassaient habituellement pas le nombre maximal de quelques dizaines d’individus, les Khoi vivaient au contraire en habitats semi-groupés composés de huttes et de leurs enclos accolés les uns aux autres, les kraals.

Plus grands que les San, leurs cousins, les Khoi ont totalement disparu et ne subsistent plus que métissés. Ce sont leurs descendants qui constituent les quatre millions de métis sud-africains dont l’origine est à rechercher dans un ancien métissage qui s’est produit au XVIIIe siècle entre colons hollandais et femmes khoi.

Les San ont quant à eux survécu, même s’ils constituent aujourd’hui un peuple en voie de disparition. Leur espace est en effet en régression, et ils ne vivent plus que dans quelques régions reculées de Namibie, du Botswana et peut-être d’Angola.

Un peuple peu à peu dépossédé de ses terres

Et pourtant, avant l’arrivée des Noirs qui les éliminèrent ou les repoussèrent, ils occupaient toute l’Afrique australe. Sous la pression des Noirs bantuphones, ils trouvèrent refuge dans le massif du Drakensberg ou dans les steppes désertiques du Kalahari. Cette lutte séculaire entre les premiers occupants du sol et les migrants noirs venus du nord est régulièrement figurée sur les parois peintes de l’Afrique australe. Évincés de leurs territoires de chasse, les « petits » se sont ainsi représentés, volant le bétail des « grands » armés de lances et de boucliers.

Le mouvement de repli des Khoisan fut accentué à partir du XVIIIe siècle quand les Boers, colons hollandais, occupèrent l’espace et repoussèrent peu à peu les San qui s’en prenaient à leur bétail. Il n’y eut pas à proprement parler ethnocide, mais impossibilité pour les San chasseurs de se maintenir parmi les exploitations boers. Quant aux Khoi éleveurs, la transhumance vers le sud leur fut interdite. Tous se replièrent alors vers le nord et l’est mais, en 1713, une terrible épidémie de variole s’abattit sur le comptoir du Cap et son arrière-pays, faisant des coupes sombres parmi les Khoisan.

Bernard Lugan
novembre 2000
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