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La Suède et l’Europe

Jean-Pierre Mousson-Lestang
Professeur émérite de l’université de Strasbourg Ancien conseiller culturel près de l’ambassade de France à Stockholm

Géographiquement située à la périphérie de l’Europe, la Suède a néanmoins toujours tenu son rôle dans le concert européen, que ce soit par sa présence dans des conflits, où elle fut souvent l’alliée de la France, ou dans des périodes plus pacifiques où prévalurent les échanges intellectuels, diplomatiques et économiques. Nous avons demandé à Jean-Pierre Mousson-Lestang ancien conseiller culturel près de l’ambassade de France à Stockholm et auteur d’une Histoire de la Suède (Hatier, 1995) de préciser quels furent ces liens que la Suède a tissés avec l’Europe, jusqu’à son entrée dans l’Union européenne.

Longtemps couverte par une épaisse couche glaciaire, la Scandinavie ne prit sa forme actuelle que vers 4500 av. J.-C., mais les plus anciens sites d’occupation humaine connus, comme celui de Segebro près de Malmö, remontent à environ 8000 av. J.-C. Les fouilles archéologiques sur les sites de l’époque néolithique (vers 2500-1800 av. J.-C.) révèlent les premières formes de sédentarisation en Götaland, au sud de la Suède actuelle et en Svealand, dans le centre. Les croyances religieuses se traduisaient par des inhumations dans des dolmens simples ou à couloir. À l’âge du bronze (1800-500), des relations s’établirent avec le continent européen, les tombes mégalithiques furent remplacées par des tumuli de terre, les premières formes d’organisation politique apparurent en Svealand et autour du lac Mälar. Les premiers témoignages classiques sur les peuples du Nord sont ceux de Pytheas de Marseille (IVe siècle av. J.-C.) qui parle du pays de Thulé où la nuit se prolonge la moitié de l’année, de Ptolémée d’Alexandrie (IIe siècle apr. J.-C.) et surtout de Pline l’Ancien (23-79) et de Tacite (55-135). Tacite parle des ancêtres des Suédois, les Svions ou Svear, et de leur royaume dont le centre est en Uppland à Gamla Uppsala. L’unification du pays ne se fit que vers le milieu du IXe siècle après la victoire sur les Goths. Ces siècles furent aussi ceux de l’expansion des Vikings suédois, les Varègues, à la fois soldats et commerçants, qui franchirent la Baltique dès la fin du VIIIe siècle. Au siècle suivant, on les retrouve en Asie Mineure et en Crimée et ils seraient à l’origine du premier État russe. C’est entre 800 et 1000 que Birka, située sur une île du Mälar (Björkö), fut au faîte de sa puissance.

La formation d’un État moderne

L’unification se trouva consolidée au milieu du XIIe siècle. La christianisation se développa notamment grâce à l’arrivée des cisterciens, fondateurs des monastères d’Alvastra, au bord du lac Vänern, et de Varnhem, près de Skara. La monarchie élective fut confirmée ; l’extraction minière – cuivre, fer, argent – était en plein essor. Le XIVe siècle, illustré par la personnalité et l’œuvre de sainte Brigitte (1303-73), fondatrice du célèbre monastère de Vadstena, vit s’établir sur le pays une domination étrangère, celle d’Albrecht de Mecklembourg. Mais la noblesse s’insurgea, fit appel à Margareta, reine de Danemark et en 1397 une union scandinave fut proclamée à Kalmar. Devenue insupportable par ses excès, cette union entraîna un soulèvement national parti de Dalécarlie sous la conduite de Gustave Eriksson Vasa. En 1523, Gustave Vasa fut élu roi et l’union définitivement rompue. C’est sous son règne (1523-1560) que l’indépendance fut assurée, l’État modernisé et la réforme luthérienne adoptée. La Suède s’engagea dans une politique européenne marquée notamment par la signature du premier traité avec la France de François Ier à Moutiers-sur-Saulx, en Lorraine, en juillet 1542. Les règnes de ses premiers successeurs furent marqués pendant un temps par l’union de la Suède et de la Pologne. Mais la situation face à la Russie devenait de plus en plus incertaine. C’est avec Gustave Adolphe (1611-32), qui fut aussi un réformateur de l’État et de la société, que la Suède fit irruption dans l’histoire de l’Europe. En 1630, elle intervint en Allemagne au secours des princes réformés et signa en janvier 1631 une alliance avec la France de Richelieu, également opposée aux Habsbourg. Elle remporta une éclatante victoire à Breitenfeld en septembre 1631 mais le roi fut tué à Lützen, à la tête de ses troupes le 5 novembre 1632. La guerre de Trente Ans ne faisait que commencer.

L’ère de la grandeur : de Christine à Charles XII

Pendant la minorité de sa fille Christine (1632-44), la Suède fut habilement menée par le chancelier Oxenstierna. Après un traité d’alliance avec la France conclu à Compiègne en avril 1635, les armées suédoises remportèrent de nouveaux succès en Allemagne, parfois de concert avec les troupes de Turenne. De nombreux objets d’art prirent alors la route de la Suède, notamment après le pillage de Prague, comme le célèbre Codex argenteus conservé à la bibliothèque de l’université d’Uppsala. Ce fut un âge d’or pour l’aristocratie qui construisit à Stockholm la Maison de la Noblesse, Riddarhuset, et dans le pays de grands châteaux comme Skokloster. Quand, sous le règne personnel de Christine, les traités de Westphalie furent signés en 1648, la Suède était devenue une grande puissance européenne : aux conquêtes antérieures dans les pays Baltes s’ajoutait une partie de l’Allemagne du Nord, surtout la Poméranie. Si la Suède était devenue une sorte d’État militaire, une vie de cour brillante se développa sous l’influence de Christine qui fit venir de France non seulement le philosophe Descartes, mais aussi des artistes comme le peintre Sébastien Bourdon ou l’architecte Jean de la Vallée. Secrètement gagnée au catholicisme, elle abdiqua en 1654 et son cousin devint roi sous le nom de Charles X. Il était le premier des trois souverains de la dynastie palatine qui devait régner jusqu’en 1718. La Suède se détacha de l’alliance française, la noblesse fut appauvrie par la réduction de ses domaines, les grandes constructions architecturales, comme le château de Drottningholm dû aux architectes Tessin père et fils (1654-1728), furent royales. Grâce à Voltaire, Charles XII (1697-1728) est, en France, le plus connu des souverains suédois. Son règne guerrier se termine par de cruelles pertes de territoire au profit de la Russie en 1721. Une nouvelle Constitution mit fin à l’absolutisme.

L’ère de la liberté et le retour à l’autocratie (1719-1809)

L’ère de la liberté (1719-72) fut surtout caractérisée en politique par l’affirmation des États constituant le parlement, le Riksdag, et la lutte des partis. Les incessants conflits intérieurs amenèrent le jeune roi Gustave III à procéder à un coup d’État en août 1772. L’ère de la liberté fut cependant caractérisée par d’importants progrès matériels et culturels. Des savants de renommée européenne, comme le botaniste Linné ou le physicien Celsius, placèrent le pays au premier rang des progrès scientifiques. Dans le domaine artistique, on retiendra les œuvres du sculpteur Sergel, des peintres Gustaf Lundberg et Alexander Roslin, et l’inauguration en 1766 du ravissant théâtre de Drottningholm dû à Carl Fredrik Adlercrantz. Le règne de Gustave III (1771-1792) fut bien celui du despotisme éclairé. Le pouvoir royal déjà réaffirmé par la Constitution de 1772 fut encore renforcé par l’Acte d’Union et de Sécurité en 1789. Les relations traditionnelles et jusqu’alors intenses avec Paris furent rompues lors de la Révolution française contre laquelle, dès 1791, le roi s’efforça d’être l’inspirateur d’une véritable croisade. Un complot se noua contre son pouvoir jugé par trop tyrannique et il fut assassiné en mars 1792. La culture avait été florissante durant ce règne dans de nombreux domaines. Avec son fils Gustave IV (1792-1809), plus intéressé par les progrès techniques que par la vie culturelle, la Suède s’engagea dans la lutte contre Napoléon en 1805, mais la réconciliation de la France et de la Russie à Tilsitt en 1807 la laissa désemparée et très vulnérable. Gustave IV dut bientôt faire face à l’invasion de la Finlande par les Russes. L’infortune de ses armées et l’autoritarisme croissant de son caractère furent à l’origine d’un complot qui le renversa en mars 1809. La situation était catastrophique, le tsar annonçant le rattachement de la Finlande à son empire.

La Suède au XIXe siècle (1809-1914)

Le frère du roi déchu fut intronisé sous le nom de Charles XIII et une nouvelle Constitution plus équilibrée fut adoptée en juin 1809. La paix signée avec la Russie consacra la perte de la quasi-totalité de la Finlande. Pour régler la succession du roi resté sans descendance, le Riksdag élut comme prince héritier, en 1810, sous le nom de Charles-Jean (Karl-Johan), le maréchal Bernadotte supposé apporter le concours de Napoléon alors à l’apogée de sa puissance. Mais, devenu "prince royal", ce dernier engagea son pays dans une autre politique de rapprochement avec la Russie et de participation au conflit contre la France. À la faveur de ce dernier, il arracha la Norvège au Danemark. Roi en 1818, il consolida, jusqu’à sa mort survenue en 1844, la nouvelle dynastie des Bernadotte en menant une politique de paix, de neutralité et de juste milieu. Sous ses successeurs Oscar Ier (1844-59), Charles XV (1859-72) et Oscar II (1872-1907), de nombreuses réformes libérales, dont la réforme électorale de 1865, modifièrent peu à peu l’État et la société, mais l’union avec la Norvège, sans cesse contestée, fut rompue en 1905. La seconde moitié du siècle fut marquée par le progrès technique, l’industrialisation, l’essor des exportations (bois, fer) mais aussi par la vulnérabilité face aux crises et par une importante émigration vers l’Amérique. La foi dans le progrès, l’essor de l’éducation et du civisme s’accompagnèrent de la création de grandes fondations comme la fondation Nobel en faveur de la recherche et de la science. Ce scientisme diffus se retrouve dans la littérature chez les auteurs de la « génération de 1880 » incarnée avec éclat par August Strindberg (1849-1912). Leurs successeurs de la « révolution des années 1890 », comme Verner von Heiderstam ou Selma Lagerlöf exaltèrent en réaction la fantaisie, la couleur et le retour aux valeurs nationales, comme le fit aussi le peintre Anders Zorn (1860-1920).

La Suède contemporaine

Sous le long règne de Gustave V (1907-1950), la Suède eut à affronter les conséquences des deux guerres mondiales. Dans les deux cas, elle réussit à maintenir sa neutralité, parfois au prix de quelques concessions aux puissances dominantes. L’influence de l’Allemagne, qui avait supplanté celle de la France après 1871, dépérit à son tour après 1945 au profit de celle de l’Amérique. À l’intérieur, la démocratisation s’accéléra, marquée au lendemain de la première guerre mondiale par une importante réforme électorale accordant le droit de vote aux femmes et par les progrès du parti social-démocrate qui constitua en 1920 avec H. Branting son premier gouvernement. Après une décennie d’alternance, la social-démocratie s’installa solidement au pouvoir en 1932 avec Per Albin Hansson. Le projet social-démocrate était de créer une Suède nouvelle, maison commune, folkhenmet, de tous les citoyens, fondée sur un idéal de sécurité et de bien-être. La vie politique fut ensuite dominée par le social-démocrate Tage Erlander, chef du gouvernement de 1946 à 1969. La politique sociale fut poursuivie avec notamment l’adoption d’un régime de retraite complémentaire (ATP) en 1959. En politique extérieure, la Suède continua à se soustraire à la logique des blocs et se montra hostile, par souci de neutralité, à la construction européenne engagée par le traité de Rome. La politique de ce que certains ont appelé le « modèle suédois », s’efforçant de concilier économie de marché et justice sociale, fut poursuivie par Olof Palme de 1969 à 1976, puis de 1982 à 1986. La politique européenne fut infléchie sous le gouvernement de son successeur Ingvar Carlsson et la Suède adhéra à l’Union européenne en 1994.

Jean-Pierre Mousson-Lestang
juin 2000
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