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Jérusalem, une ville mythique si chargée d'histoire

André Lemaire
Directeur d’études émérite à l’École pratique des Hautes Études. Correspondant de l'Académie des Inscriptions et Belles Lettres. Spécialiste du monde biblique et sémitique et de l’histoire du monothéisme.

Jérusalem, Ville sainte pour les croyants des trois grandes religions monothéistes, juifs, chrétiens et musulmans, a été l'objet de tant de passions et de tant d'affrontements, de tant de désirs et de tant de rêves, de tant de poèmes et de tant de peintures, qu'on en vient à douter qu'elle fasse partie de notre monde ! Ne serait-elle pas plutôt un mythe que chacun remodèle à sa manière ? Et pourtant, peu de villes de la fin du XXe siècle sont aussi riches, historiquement parlant ! Pour en découvrir les grandes étapes, suivons André Lemaire auteur notamment d'une Histoire du peuple hébreu (Que sais-je ? - 4e édition 1995), Le Proche-Orient asiatique - tome II : Les Empires mésopotamiens - Israël (en collaboration avec Paul Garelli - PUF 1997) et Le Monde de la Bible (Gallimard, Folio Histoire, 1998).

Une lente émergence

Rien ne semblait prédisposer ce petit coin de terre, ou plutôt de rocaille et de rochers, à jouer un rôle particulier dans l'histoire de l'humanité. Perdu au milieu de collines calcaires, à quelque huit cents mètres d'altitude, à plus de cinquante kilomètres de la mer Méditerranée et en limite du désert de Juda, ce site semblait destiné à devenir un gros village ou une petite ville autour de la source d'Ayin Oumm ed-Daraj, la Gihon biblique, sur la pente occidentale du Cédron. De fait, sur la colline de l'Ophel dominant la source de Gihon, l'occupation humaine est attestée par quelques tessons dès l'époque chalcolithique (vers 3500 avant J.-C.), puis par des restes de maisons au début du IIIe millénaire avant notre ère. Au XVIIIe siècle, profitant de l'essor général de la région, l'agglomération se transforme en petite ville fortifiée, s'entourant d'une muraille qui va la protéger pendant plus d'un millénaire. On peut encore aujourd'hui en voir des vestiges dans le parc archéologique de l'Ophel.

Dès la première moitié du IIe millénaire, cette petite ville « cananéenne » est mentionnée dans les textes égyptiens d'exécration. Un peu plus tard, au XIVe siècle, les tablettes akkadiennes d'El-Amarna (Haute Égypte) comportent plusieurs lettres de son « maire », Abdi-Hepa, au pharaon, y évoquant ses démêlés avec les maires des villes voisines. À cette époque la pression des 'Apiru, groupes de hors-la-loi, se fait sentir en Cisjordanie centrale et, même si les habitants de Jérusalem se sentent en sécurité derrière leurs murailles, la ville semble plutôt en sommeil.

De David à Nabuchodonosor

Vers l'an 1000, avec ses guerriers, un jeune roi de Juda et d'Israël, David, s'empare de la ville « jébuséenne » et en fait sa capitale. Il y amasse butins et tributs récoltés lors de ses campagnes militaires victorieuses dans les royaumes voisins. Cependant, c'est seulement sous Salomon que de grandes constructions – le palais royal et le temple sur l'aire d'Arauna, au nord de la colline de l'Ophel – doublent la superficie de la ville (circa douze hectares) qui commence vraiment à prendre un visage de capitale d'un royaume important du Levant. Le schisme de Sichem arrête net cette transformation. Jérusalem reste la capitale du seul petit royaume de Juda.

La ville ne reprend son essor qu'au VIIIe siècle, en particulier avec l'afflux des réfugiés venant du nord, de l'ancien royaume d'Israël transformé en province assyrienne (722-720). Le roi Ezéchias profite de cette main d'œuvre nombreuse pour agrandir la ville et renforcer ses fortifications par de grands travaux : il creuse dans le rocher de la colline de l'Ophel un tunnel-canal long de plus de cinq cents mètres, ainsi qu'une citerne, la « piscine de Siloé », assurant l'alimentation en eau de la ville en cas de siège. Comme la ville s'est étendue vers l'ouest, de l'autre côté de la vallée du Tyropéon, il fortifie ce nouveau quartier par une puissante muraille. De fait, la capitale résistera au siège de l'armée assyrienne de Sennachérib en 701. L'occupation de la colline occidentale, appelée plus tard « mont Sion », s'intensifia au VIIe siècle et la ville abrita bientôt quelque 25 000 habitants sur une cinquantaine d'hectares.

Cependant, après une première prise de la ville en 597, la conquête de Jérusalem par l'armée babylonienne de Nabuchodonosor en 587 entraîna l'incendie des principaux bâtiments – palais royal et temple – et le démantèlement des murailles. Il ne reste aujourd'hui que peu de chose des splendeurs de la ville royale du premier Temple : vraisemblablement une partie du mur de soutènement oriental de l'esplanade du temple et, surtout, les ruines des murailles et des maisons du quartier adjacent, visibles sur la pente du parc archéologique de l'Ophel, ainsi que les restes les plus anciens mis au jour dans les fouilles du mur des Lamentations et du quartier juif. On peut aussi mentionner plusieurs tombeaux taillés dans le roc, aussi bien de l'autre côté du Cédron, dans le village de Silwân, en particulier le tombeau dit de la « fille du pharaon », qu'au nord de la ville, avec les tombes de l'École biblique, et à l'ouest (Kétef Hinnom).

Pendant l'Exil, les ruines n'abritèrent qu'une population clairsemée. À leur retour, les exilés restaurèrent d'abord le Temple (515) pour y renouveler le culte traditionnel. Nommé gouverneur, Néhémie y remit ensuite en état les murailles (445) et organisa le repeuplement de la ville, capitale de la province perse de Judée. Ces deux restaurations, effectuées à la hâte et avec des moyens limités, n'ont laissé que peu de traces archéologiques. Après Alexandre, les guerres des Diadoques (323-281), les guerres dites syriennes entre Lagides et Séleucides, puis la guerre d'indépendance des Maccabées ne furent pas favorables au renouveau de la ville qui ne recommença à se développer que sous la dynastie hasmonéenne (142-63 avant J.-C.), avec des palais dont on a retrouvé quelques vestiges dans le quartier juif.

Splendeur hérodienne

La ville antique fut profondément transformée sous le règne d'Hérode le Grand (40-4 avant J.-C.). Avec l'appui politique et technique des Romains, cet « Iduméen » en fit, au dire même de Pline l'Ancien, « de loin, la cité la plus renommée de l'Orient ancien ». Outre la construction d'un théâtre et d'un amphithéâtre, Hérode entreprit surtout de reconstruire le Temple sur une esplanade agrandie par des travaux gigantesques. L'édifice lui-même fut rebâti de marbre blanc rehaussé d'or, ses portes étant couvertes d'argent ou d'or, grâce aux dons des Juifs de la Diaspora. Les fortifications furent renforcées par plusieurs tours-forteresses : l'Antonia (dominant le Temple), Hippicus, Phasaél et Marianne, et une nouvelle muraille protégea l'extension de la cité au nord-ouest. La splendeur de cette ville agrandie et rénovée faisait l'admiration des contemporains, en particulier des juifs d'Orient et d'Occident venant nombreux en pèlerinage, comme le révèle le dicton : « Dix mesures de beauté sont descendues sur le monde et Jérusalem en a pris neuf », formule évocatrice qui rejoint la remarque d'un disciple de Jésus : « Maître, regarde : quelles pierres, quelles constructions ! ».

Les travaux d'embellissement de Jérusalem continuèrent sous les successeurs d'Hérode : le préfet romain Pontius Pilatus (26-36) fit construire un aqueduc amenant l'eau des « réservoirs de Salomon » au sud de Bethléem, et Hérode Agrippa (41-44) entreprit la construction d'un troisième mur au nord de la ville.

La longue guerre juive de 66-70 se termina par le pillage de Jérusalem par les légions de Titus. Le Temple fut complètement ravagé par un incendie, la ville mise à feu et à sang et ses fortifications en grande partie rasées, sauf les trois tours du palais d'Hérode (Hippicus, Phasaél et Marianne) et une partie de la muraille. Les survivants furent envoyés aux mines ou réservés pour les combats de gladiateurs.

Malgré cette destruction systématique, la ville d'aujourd'hui garde de nombreux et importants vestiges de sa splendeur hérodienne, au premier rang desquels il faut mettre l'esplanade du Temple et, particulièrement, le mur des Lamentations, de magnifiques pierres (jusqu'à douze mètres de long !) du mur de soutènement occidental de ladite esplanade. Les fouilles archéologiques menées au sud-ouest du mur des Lamentations et dans le quartier juif permettent aujourd'hui de nous faire une idée assez précise du plan général du Temple à cette époque, de son architecture et de sa décoration, ainsi que de ses divers accès par plusieurs escaliers monumentaux. Bien plus, les fouilles conduites avant la reconstruction du quartier juif ont mis au jour de nombreuses habitations détruites en 70, en particulier des maisons patriciennes décorées de stuc et de fresques et possédant tout le confort de cette époque (grand hall de réception, bains...). Grâce aux descriptions de l'historien juif Flavius Josèphe et aux dernières fouilles archéologiques (cf. le musée Wohl), nous connaissons assez bien aujourd'hui cette ville hérodienne, celle de l'époque de Jésus et des Évangiles, et nous pouvons en admirer des vestiges significatifs.

Aelia Capitolina

Après 70, la Xe légion installa son camp sur la partie septentrionale du champ de ruines ; et en 129-130, lorsque l'empereur Hadrien visita ce site, il décida d'y rebâtir une nouvelle ville : Aelia Capitolina. Un moment retardée par la deuxième guerre juive de Bar Kosiba-Bar Kokhba (132-135), qui se termina par un bain de sang et l'interdiction faite aux juifs d'habiter Jérusalem, la construction de cette nouvelle ville suivit le plan classique des villes orientales romaines de cette époque : une ville ouverte ayant deux grands axes : le cardo, du nord au sud (approximativement de la porte de Damas à la porte de Sion) et le decumanus (approximativement de la porte des Lions à la porte de Jaffa). Un temple de Jupiter fut probablement élevé sur l'emplacement du Temple, et un autre dédié à Aphrodite, dans le quartier du Golgotha, tandis qu'un arc, dit de l'« Ecce homo », décora bientôt le forum septentrional – un autre ornant l'entrée nord de la ville, à l'emplacement actuel de la porte de Damas. En fait, le plan d'Aelia Capitolina se retrouve, en grande partie, dans celui de la vieille ville actuelle.

Jérusalem, ville chrétienne et musulmane

En 324, l'empereur Constantin redonna à Aelia Capitolina son nom antique de Jérusalem et sous l'impulsion de sa mère Hélène, s'efforça de faire de cette ville païenne une cité chrétienne en y construisant de nombreuses églises : Saint-Sépulcre, Saint-Étienne, Néa... Cette cité byzantine rénovée, dont les fouilles ont mis au jour le cardo large d'une douzaine de mètres, nous est admirablement illustrée par les mosaïques de Madaba et d'Oumm el-Resas (Jordanie). Jérusalem était redevenue une très belle ville au cœur d'une Palestine en pleine expansion économique et démographique.

L'invasion perse de 614 et l'occupation provisoire de Jérusalem entraînèrent de nombreux massacres et la destruction de plusieurs églises. Très affaiblie par cette guerre, Jérusalem se rendit bientôt, sans opposer de résistance, au calife Omar (638). Les Omeyyades de Damas (661-750) y édifièrent deux grandes mosquées sur l'esplanade du Temple – le Dôme du Rocher (ou mosquée dite d'Omar) et la grande mosquée el-Aqsa – rénovées plusieurs fois récemment. Ces constructions donnent au Haram esh-Sherif sa physionomie actuelle empreinte d'une sereine beauté. S'appuyant sur la tradition de la chevauchée nocturne de Mahomet, Jérusalem devient alors la troisième ville sainte de l'islam.

Sous les Abassides, puis sous les Fatimides d'Égypte, la cité est quelque peu délaissée. Le calife el-Hakim (996-1020) tente même d'en détruire toutes les églises et en 1070, les Turcs Seldjoukides y persécutent juifs et chrétiens, ce qui provoque le mouvement des croisades.

Des croisades... à aujourd'hui

En 1099, Godefroi de Bouillon entre dans Jérusalem qui devient la capitale d'un royaume latin. Sa population, en majorité chrétienne et de langue française, augmente (circa 30 000 habitants). Les pèlerinages reprennent. Des églises sont construites, telle Sainte-Anne que l'on peut encore admirer aujourd'hui, ou reconstruites comme le Saint-Sépulcre, tandis que les mosquées sont christianisées. Ce mouvement s'inverse lorsque Salah ed-Din reprend la ville en 1187.

Ayant perdu son rôle politique, la ville connaît un certain déclin, compensé en partie par le fait qu'elle devient un centre d'études musulmanes. Au début de l'époque ottomane (1517-1917), Soliman le Magnifique y entreprend de grands travaux de rénovation et, surtout, la dote de nouvelles fortifications qui enserrent encore la vieille ville aujourd'hui.

À partir de la seconde moitié du XIXe siècle, la population de Jérusalem ne peut plus être contenue à l'intérieur de ces murailles et s'étend sur les diverses collines qui l'entourent de toutes parts. Avec ses parements de pierre et sa distance respectueuse des murailles, cette nouvelle Jérusalem, orientale et occidentale, s'harmonise assez bien avec le cœur de cette cité près de quatre fois millénaire.

« Jérusalem, bâtie comme une ville où tout est lié ensemble ! ».

André Lemaire
septembre 2008
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