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La langue basque ou euskara : incertitudes et faits avérés

Charles Videgain
Professeur à l'université de Pau

La langue basque ou euskara inspire encore aujourd’hui, aussi bien auprès des locuteurs parlant cette langue que du public cultivé en général, des interrogations sur ses origines et sur son altérité. La communauté bascophone est certes aujourd’hui aussi très soucieuse de l’avenir de la langue mais la question de l’origine supposée reste cruciale pour beaucoup ; non pas que cette origine pourrait déterminer toute orientation que ce soit dans l’actualité quant au sort et aux revendications de la communauté basque, ce qui serait tout à fait absurde, mais de par le souci de connaître les lointaines racines des humains qui ont parlé une langue dont le basque actuel serait le descendant. Xarles Videgain, professeur à l’université de Pau et des Pays de l’Adour et co-directeur technique de l’Atlas linguistique du Pays basque, a dressé la carte et l’historique des différentes hypothèses qui, de l’Ibérie au Caucase et de l’Amérique du Nord à la Gascogne, courent sur plus de quarante mille ans, au fil de l’aventure humaine.

Une langue isolée

L’altérité du basque reste évidente à qui veut apprendre la langue : hemen sartzen dena etxen da est une devise hospitalière gravée sur le linteau de cheminée des vieilles maisons basques mais rien ne permet à un bon connaisseur des langues romanes voisines – dont le latin – d’en découvrir le sens : « celui qui entre ici est chez lui ». Certes, bien des pans du lexique dans certains champs sémantiques sont tirés du latin et conservés proches du latin : le basque dit encore aujourd’hui, sans presque rien changer au latin, lege pour « loi », du latin legem, ou aingeru pour « ange » à rapprocher d’angelus. Il n’est pas difficile de retrouver dans le basque actuel lukainka « saucisse » le produit du latin qui désignait une préparation très appréciée et venue de Lucanie, appelée lucanica. Curieusement, le gascon utilise le mot de même origine sous la forme louqueinque, mais uniquement sur un espace contigu au domaine basque actuel dans les Landes et le Béarn. Plus généralement, des parallélismes intriguent comme celui examiné par Benveniste pour le latin qui avait deux noms pour désigner le « porc », sus et porcus – voir « porc » et « cochon » en français ; est-ce hasard si le basque connaît aussi deux termes, zerri et urde sans relation avec le latin mais certainement fondée sur l’opposition entre l’adulte et le jeune animal ? La façon dont certaines désignations sont motivées en basque montre des schémas semblables à ceux des autres langues : par exemple la « belette » est désignée par anddeder qui signifie, comme en français, « belle dame », mais le béarnais voisin connaît aussi dauna-bèro de même sens ; une autre désignation de la belette, ogigaztaie, littéralement « pain et fromage » prend un autre éclairage quand on découvre que des parlers romans en Aragon ou Asturies disent aussi paniquesa. Ce dernier exemple montre en outre une grande diversité à l’intérieur du domaine basque, la variation dialectale étant très marquée sans que l’on connaisse dans le détail l’histoire et les raisons d’une telle fragmentation dialectale. Mais, quoi qu’il en soit de cette variation interne, il semble donc que le basque, tout en étant isolé dans sa typologie, produit des chaînes de raisonnement dans la désignation qui sont les mêmes que dans d’autres langues et ce n’est que chose très normale. Or, et surtout en dehors du domaine lexical tenu pour trop imprégné d’histoire, les linguistes modernes sont davantage soucieux de trouver les traits généraux du langage dans toute langue concrète et le basque ne saurait faire exception à cette quête : les linguistes basques se sont pour la plupart attelés à cette tâche.

Coïncidences, connexions et hypothèses

Pourtant, il a toujours été tentant de trouver à cette langue parlée sur un espace si réduit tout au fond du golfe de Gascogne une parenté quelconque avec d’autres langues dont des descendants existent encore ou bien avec des langues qui ont complètement disparu. Cela n’échappe pas toujours au simple aspect anecdotique, en général sans fondement, qui fait remarquer des coïncidences entre le basque et une quantité de langues diverses : mais quand un jeune Basque de Basse-Navarre, soldat appelé en Algérie dans les années soixante, remarque que dans leur langue les Berbères distinguent le tutoiement féminin et le tutoiement masculin, il met le doigt sans le savoir sur une ressemblance qui a justement permis de développer toute une théorie sur les relations du basque avec les langues du Nord de l’Afrique. En général, les travaux sur la parenté du basque ont voulu dépasser le niveau de l’anecdote pour tenter d’établir des séries, ce qui suppose une bonne connaissance – pas toujours assurée – des groupes linguistiques mis en comparaison. Il faut avouer que la succession d’hypothèses, souvent légères, peut produire chez bien des bascologues une sensation de malaise à voir que les faits basques sont souvent trop sollicités pour produire des conclusions admissibles : ce sentiment est si développé que, de même que la question des origines du langage était un sujet tabou dans certaines sociétés de linguistes, certains bascologues ne veulent plus rien savoir sur les hypothèses de l’origine de la langue basque ou sur ses possibles connexions. S’y ajoute l’impression récurrente que les travaux essentiels sur la langue basque, comme ceux de phonétique historique de L. Michelena, ne sont pas suffisamment pris en compte par les tenants de certaines comparaisons.

Je pense cependant que nous n’avons rien à perdre à ce que de nouvelles hypothèses voient le jour, en particulier en s’appuyant sur d’autres sciences comme la génétique et l’archéologie qui ont proposé récemment des scénarios suggestifs qui revisitent les premières hypothèses. Après un rappel de ces principales hypothèses, une partie des lignes qui suivent est consacrée à des faits certains à date historique dont la linguistique historique et comparative a pu établir les bases ; nous voulons parler de divers phénomènes qui sont :

– le basque et l’ibère sont deux langues distinctes très éloignées linguistiquement l’une de l’autre et ce alors qu’elles furent contiguës géographiquement parlant.

– l’influence du latin et des langues romanes sur la langue basque est forte mais cependant elle n’a pas brisé les principales structures originales de la langue mais nous ne décrirons pas ici la langue basque.

– enfin, l’espace aquitain constitué du triangle Garonne/Atlantique/Pyrénées a connu à date historique une langue que nous appellerons « bascoïde » dont le basque actuel est proche. Sur cet espace aquitain s’est constituée une langue historique caractérisée appelée gascon, qui, dès son apparition avec le protogascon en 600 après J.-C., forme un ensemble particulier distinct des autres langues d’oc.

Mais passons d’abord aux hypothèses.

L’hypothèse berbère

Parmi les hypothèses sur la parenté du basque, il en est une qui n’a plus le vent en poupe actuellement : c’est celle qui voulait relier le basque avec des substrats méditerranéens et qui s’appuie sur les remarques de philologues comme Bertoldi, Menendez Pidal, tandis que Schuchart, Tovar et Mukarovski réduisaient le champ des ressemblances surtout au groupe des langues chamitiques et du berbère – on a cité plus haut les morphèmes différents pour le tutoiement envers un homme ou une femme en basque comme en berbère. La méthode lexico-statistique de Swadesh inspiré de Sapir tente de découvrir la date approximative de différenciation des langues venues d’un même arbre. Les critères de Greenberg, parmi lesquels l’agglutination et l’ordre des mots, appliqués honnêtement au basque par Tovar ont mis en lumière une ressemblance entre berbère et basque, les deux langues appartenant par exemple au dit groupe III caractérisé par l’ordre des mots SOV soit Sujet-Objet-Verbe : urak lurra darama pour « l’eau emporte la terre » où urak, « l’eau » est sujet, lurra, « la terre » est objet et darama, « emporte » est le verbe. Mais la méthode ne semble pas montrer un assez grand nombre de traits communs pour aller plus loin. De plus, la preuve, comme on le verra ci-dessous, que le basque et l’ibère ne sont pas des langues parentes a donné un coup sérieux à cette théorie qui tendait à présenter comme bloc plutôt homogène basque et ibère dans leurs relations avec les langues hammito-sémitiques. S’il est prouvé que l’ibère est venu d’Afrique, on ne peut en déduire que le basque ait connu la même origine.

L’hypothèse caucasienne

D’autre part, cette hypothèse n’avait jamais détruit complètement l’autre hypothèse importante qui apparente le basque au bloc des langues du Caucase et Tovar reconnaissait que les critères typologiques poussaient à ce rapprochement basco-caucasien. Marr tentait d’ailleurs de concilier cette thèse caucasienne avec celle indiquée ci-dessus en proposant l’existence d’un groupe de langues du grand pourtour méditerranéen, depuis le Caucase jusqu’aux langues chamitiques et au basque. Les difficultés soulevées par cette hypothèse l’ont fait avorter. Mais d’autres spécialistes prestigieux et très actifs ont proposé toute une série de points de convergence ; je veux parler surtout des recherches de R. Lafon après les travaux importants de Trombetti, Dumézil, Vogt… Parmi les faits qui ont attiré l’attention, on peut parler de l’ergatif qui caractérise basque et langues du Caucase : c’est ainsi que dans les deux phrases gizona etorri da, « l’homme est venu », « homo venit » et gizonak ikusi du, « l’homme a vu », « homo vidit », gizona et gizonak sont tous les deux sujets certes mais la marque -k qui est portée par gizonak dans la deuxième phrase est rendue nécessaire parce que ce nom est sujet d’un verbe que nous appellerons « transitif » pour simplifier. Ce cas de déclinaison est bien entendu inconnu en latin qui n’a que le nominatif « homo » dans les deux cas. L’autre point évoqué par les tenants de l’hypothèse caucasienne est que le verbe basque conjugué, comme dans bien des langues du Caucase, porte en lui des marques qui ne correspondent pas seulement au sujet mais aussi à l’objet et au bénéficiaire. Ainsi, une forme verbale conjuguée comme diot signifie à elle seule « je le lui ai », tous les indices de personnes étant dans la forme verbale synthétique. Quand on entre dans le détail, les choses sont souvent moins simples : C. Paris se pose des questions sur la licéité de telles comparaisons, quand elle examine par exemple le verbe en basque et en tcherkesse. Elle confirme certes des ressemblances mais les différences existent aussi : l’ordre des participants dans le verbe est fixe en tcherkesse, il varie en basque qui oppose par exemple en bas-navarrais, au présent, dakogu, « nous avons », où l’élément – gu, suffixé, représente un sujet pour « nous », première personne du pluriel, et au passé, ginakon, « nous avions » où ce même élément est par contre préfixé dans l’élément g-. Bien d’autres divergences sont aussi évidentes.

L’hypothèse a plusieurs points faibles. Hors du champ linguistique, il n’a pas encore été trouvé de donnée historique qui atteste d’un contact entre les deux populations. Dans le champ linguistique lui-même, d’une part on a découvert que l’ergatif cité ci-dessus existe dans d’autres langues que celles du Caucase. D’autre part, il faut tenir compte du fait que le Caucase compte plus de trente-deux langues, sans parler de celles disparues, langues dont il n’est pas absolument certain qu’elles soient génétiquement apparentées : dans la méthode, le fait de comparer des données entre une langue assez homogène comme le basque d’une part, et d’autre part avec dans le Caucase l’une ou l’autre langue d’un ensemble très diversifié, rendait les rapprochements trop lâches pour emporter l’adhésion des bascologues : Michelena, presque gêné de rendre vaine une telle somme d’efforts, a réduit méthodiquement à néant la plupart de ces propositions. Meillet avait déjà en 1925 formulé des réserves pas encore levées à ce jour : « Le procédé qui consiste à rapprocher un fait basque de tel ou tel fait d’une des langues du Caucase – très diverses, on le sait – ou d’une des langues couchitiques, très diverses aussi, permet de proposer beaucoup de rapprochements, mais, par suite du nombre trop grand de possibilités qu’il comporte, il exclut une démonstration véritable. » Dans ses articles, J. Lakarra a consciencieusement mis en pièces l’hypothèse.

Plus récemment, des recherches ont légèrement transformé la proposition. M. Morvan propose un lien prudent certes en considérant qu’il existe des éléments ouralo-altaïques en basque et plus généralement une couche linguistique qui appartiendrait à un substrat nord-caucasien ; cela supposerait que le basque serait constitué non pas d’un mais de plusieurs substrats : rappelons que parmi les langues ouralo-altaïques on trouve le samoyède, le lapon, le finnois, le hongrois, le toungouse, le mandchou, le japonais, le mongol, le turc… Certes su en basque veut dire « feu » comme su, schu en samoyède, oian désigne la « forêt » et oy serait le correspondant mongol. Larre basque pour « lande » est proche de lar en ostiak. Ici non plus la démonstration n’est pas convaincante.

L’hypothèse déné-tibétaine

On connaît la thèse plus récente de Ruhlen, Bengston et Shevoroshkin qui fait entrer le basque dans un ensemble déné-tibétain mais dans lequel une date de séparation serait très ancienne : elle a suscité la plus grande réserve chez les bascologues ou des réactions très vives comme celles de Trask, linguiste bascologue, dans la revue Mother tongue en 1995. Cela ne veut pas dire que la date de séparation proposée par Ruhlen, qui remonterait très loin dans le passé, n’ait pas eu lieu. Le déné-caucasien constituerait une famille formée de langues éloignées les unes des autres et sans continuité territoriale actuellement ; le basque dans les Pyrénées, les langues du Caucase, l’iénisséien en Sibérie sur les bords du fleuve Iénisseï, le bourouchaski au nord du Pakistan, le sino-tibétain en Chine et Tibet, le na-déné en Amérique du Nord sur la côte méridionale de l’Alaska mais aussi au sud-ouest des États-Unis – apache et navajo.

Ces langues peuvent être parlées par un milliard de personnes comme dans l’ensemble chinois, ou par quelques centaines dans le cas de la langue tlingite, ce qui ne préjuge pas de la validité de la thèse. Cette thèse prolonge les vues de Sapir, bien connu en ethnolinguistique avec son collège Whorf et bon connaisseur des langues amérindiennes vers 1920 : Sapir était persuadé que le groupe na-déné constitue un ensemble tout à fait à part parmi les langues amérindiennes et qu’il est à rapprocher du sino-tibétain. Puis, dans les années 1980, Starostine élargit le cercle de famille en proposant une connexion entre le sino-tibétain et le proto-caucasien et le proto-iénisseien, confirmé en cela par Nikolaïev. Vers la même époque, Bengston est convaincu que le basque et le bourouchaski sont liés au groupe jusqu’alors simplement déné-caucasien. Les six groupes sont là rassemblés.

Diversité des points de vue et méthodologie

Le bascologue est souvent gêné par le détail des preuves invoquées. C’est ainsi que M. Ruhlen propose de voir des correspondances dans le basque odol « sang », soit avec le bourouchaski del « huile, contenu d’un œuf » mais surtout avec le na-déné del, « sang » en langues ayak et proto-athabasque, une correspondance certaine qu’il exprime ainsi : « La coïncidence du basque et du na-déné sur une racine D-L (plutôt que M-K, P-S., L-N) n’est donc pas triviale, et n’est certainement pas due au hasard, comme le prétend L. Trask. » M. Ruhlen veut insister fortement en utilisant parmi d’autres l’exemple du mot basque khorotz ou gorotz pour « excrément » qu’il compare au protocaucasien *k’urC’V et au bourouchaski guraS. On peut y voir en effet une séquence de consonnes K-R-TS et une première voyelle commune u ou o. Certes, mais encore ? Le ton de M. Ruhlen se fait comminatoire devant la réticence des bascologues, et il est certainement emporté par la vivacité du débat quand il insulte les spécialistes du basque en ne voyant dans leur motivation que l’exclusivité de leur spécialité. Comme si l’étude du basque était un prestigieux canton de la connaissance ou « chasse gardée », alors que l’histoire de la bascologie ne manque pas d’ailleurs de chercheurs non basques qui ont remarquablement appris le basque ! Ses tentatives et celles de tout spécialiste qui essaie de mettre en lumière les connexions du basque sont les bienvenues mais nous semblent manquer de densité dans l’impact et de régularité dans la méthode – ne serait-ce qu’en phonologie – pour être admises sans réserve. Si nous observons que le rapprochement entre le basque et les langues du Caucase n’est pas prouvé, on peut se demander si le fait de réunir ces langues dans une macro-famille déné-tibétaine n’est pas une fuite en avant.

Selon Ruhlen, le fait que les six groupes de langues du groupe soient isolés géographiquement et répartis sur trois continents a pour corollaire, si l’hypothèse est juste, que ces langues faisaient partie d’une seule et même langue mais qu’elles ont subsisté comme des îles dans un contexte géographique protecteur pour le basque, les langues du Caucase et le bourouchaski, tandis que d’autres langues, elles aussi non indo-européennes, ont disparu. Le groupe sino-tibétain, quant à lui, n’avait pas besoin de vivre dans un réduit inaccessible, grâce à un développement solide de l’agriculture. Le groupe iénisséien serait installé assez récemment en Sibérie après avoir quitté le Caucase et aurait essaimé en Amérique pour y donner le groupe na-déné. J’ajouterai que ce qui est dit du basque sur son isolement n’est pas inacceptable, c’est la monogenèse entre les divers groupes de la famille proposée qui est encore à prouver.

Archéologues et généticiens

Finalement ce sont moins les linguistes que les archéologues et les généticiens qui ont proposé d’autres hypothèses satisfaisantes à l’esprit avec les apports de Colin Renfrew et L. Cavalli-Sforza en particulier. Ce dernier tente un compromis entre les points de vue de Renfrew et M. Gimputas sur l’origine des populations indo-européennes, en optant pour une double expansion des mêmes peuples venue d’Anatolie d’abord, comme le pense Renfrew, puis à partir des steppes au nord de la mer Noire, selon le point de vue de Gimputas.

Mais Cavalli-Sforza recourt d’abord à la permanence d’un fait biologique en Pays basque : on sait depuis longtemps que la population basque actuelle se distingue encore aujourd’hui par un capital génétique particulier avec dans le groupe sanguin deux caractéristiques : plus de 50 % de type O, chiffre le plus élevé en Europe et un pourcentage de rhésus négatif le plus élevé dans le monde. On remarquera que ces chiffres décroissent progressivement dans certaines populations voisines dans les vallées pyrénéennes gasconnes et en Aquitaine. En comparant les distances génétiques entre les populations et en faisant entre autres l’hypothèse que les populations moins proches culturellement et linguistiquement ont généralement moins de chances de pratiquer l’échange génétique, Cavalli-Sforza avance l’idée, déjà généralement admise par les bascologues, que le basque est enraciné sur le même territoire depuis très longtemps, sans qu’il y ait eu de substitution linguistique, en particulier avec un parler indo-européen. Ce qui est nouveau est qu’il repousse cette date à un horizon préhistorique très éloigné, soit 35 000 ou 40 000 ans.

On le voit déjà à ce très rapide survol des diverses hypothèses de l’origine, l’accord se fait sur la présence stable et ancienne de populations parlant basque sur le territoire actuel. Le scepticisme sur les diverses hypothèses proposées quant aux connexions lointaines ne signifie nullement que l’on doive en rejeter le principe, mais les preuves plus lourdes manquent.

Le basco-ibérisme

Le lecteur aura remarqué que nous n’avons pas parlé d’une théorie qui a connu pourtant ses heures de gloire en se restreignant à un espace bien plus réduit que ceux évoqués ci-dessus : il s’agit du basco-ibérisme. Les bases en étaient pourtant au début fort peu scientifiques, puisque la thèse reposait sur l’idée que Tubal, descendant de Noé, avait apporté avec lui dans la péninsule Ibérique l’une des soixante-douze langues issues de la tour de Babel, cette langue étant l’ibère dont le basque serait un descendant ! Cette langue aurait survécu dans son bastion lors de l’arrivée du latin imposé par les armes. Au passage, cette théorie explique la présence d’élément bascoïdes en Aquitaine, au début de notre ère, par une reconquête opérée par les Vascons venus de la péninsule, point de vue déjà défendu par l’historien basque Oyhenart au XVIIe siècle. Humboldt reprend l’idée d’une langue basque provenant de l’ibère et explique les noms de lieu et de personne péninsulaires à partir du basque, sans les exagérations d’apologues basques comme Larramendi, mais sans disposer encore des outils que fournit une bonne connaissance des lois phonétiques, outils élaborés plus tard, et sans bien connaître la phonétique historique basque, dont l’essentiel sera établi par Michelena autour de 1960 ! Humboldt est cependant conscient que certains toponymes ne peuvent s’expliquer que par le celte et envisage une bipartition de la péninsule ancienne entre péninsule indo-européenne et péninsule non indo-européenne.

Mais, au nord des Pyrénées, Bladé met en lumière la situation des cités aquitaines, tout en pensant lui aussi y trouver des traces d’invasion de l’Aquitaine par les Vascons venus du sud. Luchaire abat cette théorie en expliquant les documents épigraphiques aquitains à partir du basque actuel et en signalant des caractéristiques du gascon qui le séparent des langues d’oc : il cite entre autres comme traits linguistiques importants, nous y reviendrons, la présence du h (aspiration) ; l’absence de r- au début des mots, la transformation du -ll- latin en -r- gascon, la perte du -n- intervocalique latin. Il explique tous ces phénomènes marquants par le substrat en Aquitaine d’une langue très voisine du basque actuel. Ces inscriptions aquitaines furent publiées ensuite par Sacaze.

Ces avancées hésitantes dans le cadre du basco-ibérisme ne furent pas indemnes de théories qui furent des impasses comme celles d’Arbois de Jubainville qui voulut présenter comme d’origine ligure la langue du peuple le plus ancien de la péninsule et qui aurait été recouvert par des couches ibères venues d’Afrique et des couches celtes venues d’Europe. Peu après, Pokorny fit jouer au peuple illyrien le rôle auparavant prêté aux Ligures. Ces théories ont fait long feu.

Les découvertes importantes faites en Aquitaine ne détruisaient pas cependant le basco-ibérisme de Humboldt mais étendaient le territoire d’investigation au-delà de la seule péninsule en y intégrant l’Aquitaine. Mais le basco-ibérisme subit un revers fatal dans les années 1920 grâce aux découvertes de Gómez Moreno, travaux longtemps demeurés peu connus du fait de la guerre civile espagnole. En effet Gómez Moreno arriva à déchiffrer des documents ibères et les conclusions furent une surprise : l’écriture de ces documents permet en effet de déchiffrer deux ensembles : l’un avec des mots écrits en langue indo-européenne, dans la zone celtibère – soit les régions de Soria, de Guadalajara et une partie occidentale d’Aragon –, qui est en gros la moitié nord-ouest de la péninsule ; en même temps, un autre où les mots sont écrits dans une langue qui reste incompréhensible et parlée sur un territoire qui va depuis la Catalogne – Roussillon et Béziers compris –, jusqu’à Murcie sur la côte méditerranéenne et vers l’intérieur depuis l’embouchure de l’Ebre jusqu’à Saragosse en Aragon. Les documents montrent une écriture hybride mi-syllabique, mi-alphabétique mais on n’est pas arrivé encore à comprendre le sens des textes en ibère.

La découverte du bronze de Botorrita écrit en langue ibère permit une meilleure précision de la limite entre Ibères et Celtibères. Certes l’hypothèse de Humboldt sur les aires de toponymes celtes n’était pas déniée. Par contre l’identification du basque à l’ibère était rendue totalement caduque et inacceptable désormais : le bronze de Botorrita prouve en effet qu’il n’y a aucune relation linguistique entre les deux langues, si ce n’est quelques emprunts probables ou ressemblances superficielles. Qui plus est, le basque n’est d’aucun secours pour déchiffrer l’ibère.

De la bipartition de l’espace péninsulaire révélée par les documents ibères, on déduit que le basque est inclus alors dans l’aire celtibère mais la zone des Pyrénées échappait sans doute à l’emprise des Celtibères et était habitée de peuples fort mal connus encore, dont les Vascons représentaient un des plus importants éléments. Ils vivaient sur un territoire en forme de quadrilatère plus étendu que le domaine actuel de la langue basque et qui devait aller de l’est sur l’actuelle frontière entre les États espagnol et français à hauteur de Jaca, jusqu’à Oyarzun. À l’ouest, les Vascons jouxtaient avec les Vardulii installés sur l’actuel Guipuscoa à l’est du fleuve Deva, tandis que les Caristii étaient installés sur le territoire de la Biscaye actuelle : on peut penser que ces trois peuples parlaient le basque ou son ancêtre, nous en parlerons ci-dessous.

Pour des raisons qui n’ont pas encore été éclaircies, le nom de « Vascons » – proche du mot de « Gascons » – est ensuite transféré aux habitants de la Novempopulanie qui prend le nom de Vasconia, l’actuelle Gascogne, tandis que leurs descendants sont appelés Navarrii et leurs pays Navarre. Mais la ville de Pampelune, capitale de la Navarre, doit son nom roman à Pompée qui fonda la ville en 74 d’où le nom de Pompaei suivi d’un augmentatif, tandis que le nom basque de la ville est Iruña construit sur iri « ville ». Le monolinguisme absolu semble donc n’avoir plus cours déjà à cette époque et fait place à une coexistence des langues.

On a remarqué aussi que la toponymie montre bon nombre de lieux dans lesquels ce même terme iri ou ili cité ci-dessus est manifeste pour des villes comme Ilumberris, l’actuelle Lombez dans le Gers gascon, mais aussi plus loin du domaine basco-aquitain comme dans Cauco Iliberris, l’actuelle Collioure sur la côte méditerranéenne : il faut croire que certains mots étaient donc communs au basque et à l’ibère.

La thèse du basco-ibérisme, on le voit, alors même qu’elle n’est plus acceptée aujourd’hui, nous amène avec plus de précision que les parentés lointaines prêtées au basque vers une appréhension plus fine du domaine de langue basque au début de notre ère, malgré les zones d’ombre. Nous avons parlé plusieurs fois d’Aquitaine et devons nous attarder maintenant sur sa réalité géolinguistique.

L’Aquitaine, une réalité géolinguistique

L’Aquitaine constitue une zone géographique de forme triangulaire fermée par l’Atlantique, les Pyrénées et la Garonne où, outre le basque au sud-ouest du sud-ouest, la langue parlée encore aujourd’hui – mais minoritairement sous les effets du rouleau compresseur du français – le gascon, a toujours été marquée comme différente des parlers occitans. En regroupant les douze peuples cités par Jules César et qui lui envoient des otages, la vingtaine de peuples cités par Strabon et les dix-sept cités par Pline, J. Allières cite les trente et une entités qui suivent : Auscii (voir Auch) ; Belendi (Belin et vallée d’Aure) ; Vocates (Sedi) ; Boviates (Pays de Buch) ; Bercorates (Pays de Born et Pyrénées) ; Bigerriones/Begerri (Bigorre) ; Camponi (vallée de Campan et Cambo) ; Cocosates (Landes ?) ; Elusates (Eauze) ; Garumni (val d’Aran) ; Gates (non localisé) ; Lassuni (gave de Pau), Latusates (Lectoure) ; Monesi (Luchon) ; Onobrisates (Neurest) ; Oscidates Montani (Baïse) ; Oscidates Montani (Ossau – et Aspe ?) ; Pimpedunni (Cinco Villas). Ptianni (?) ; Sennates (plaine garonnaise) ; Sibuzates/Sibyllates (Soule) ; Sotiates (Sos dans le Gers), Succasses (près de Lectoure) ; Tarbelli (Dax ?) ; Tarusates/Latusates (Tursan) ; Tornates (?) ; (Basa) boiates/Vasates (Bazas) ; Vassei (?) ; Venami/Beneharni (Béarn) ; Vellates (?) Convenae (Comminges) ; Consoranni (Couserans).

Certaines de ces appellations ont une physionomie celtique comme les Pimpedunni, les « cinq villes ». Cependant, sous Auguste, les peuples d’Aquitaine semblent s’être démarqués des Celtes et se réunir dans la Novempopulanie dont une inscription gallo-romaine encore visible de nos jours à Hasparren évoque l’existence. Ces peuples autour d’Eauze, Dax, Lectoure, Comminges, Couserans, Buch, Born, Béarn, Aire-sur-Adour, Bazas, Bigorre, Oloron et Auch semblent peu à peu dans le haut Moyen Âge devenir les Gascons pendant que les gens parlant le basque, sur peu ou prou le territoire actuel de la langue basque, sont appelés Navarri, les Basclii occupant une zone intermédiaire entre les deux groupes.

Des documents épigraphiques, surtout des autels votifs, sont de grande importance. Ils montrent en pays gascon la présence de termes que le basque actuel explique sans difficulté : andere, pour andere « femme » en basque actuel, cison pour gizon « homme », sembe pour seme « fils », belts pour beltz « noir », corri pour gorri « rouge » ou « vif », nescato pour neskato « jeune fille »… On peut donc penser que les Aquitains cités par J. César parlaient une langue bascoïde, c’est-à-dire proche du basque actuel.

On remarquera que la densité de ces textes sur des autels votifs n’est pas égale sur toute l’Aquitaine mais qu’elle est surtout forte auprès des régions de Comminges – Saint-Bertrand de Comminges en Haute-Garonne actuelle – puis autour d’Auch et d’Aire-sur-Adour, soit sur un territoire assez réduit, ce qui laisse à penser déjà à cette époque à un recul de la langue aquitaine. Plus étonnamment, ces inscriptions sont quasi absentes sur le domaine actuel de langue basque soit en Basse-Navarre, Labourd et Soule au nord de la Bidassoa, soit en Navarre, soit dans les provinces de Guipuscoa, Biscaye et Alaba.

C’est que les limites de la langue basque même à date historique et ses variations surtout ne sont pas bien connues : elle avait pour voisines la langue cantabre à l’ouest, langue certainement indo-européenne, le celtibère au sud et au sud-est, les langues ibériques à l’est et comme sous-entendu plus haut, des langues celtiques au nord de la Garonne. Certains chercheurs ont proposé d’envisager la basquisation de l’espace occidental à l’ouest de la rivière Deva, et ce par les Vascons – tout comme on avait proposé une conquête de l’Aquitaine par les mêmes Vascons. On pense aussi par exemple à l’exemple du breton qui fut remplacé en Bretagne par une langue romane avant d’être à nouveau réintroduit par une immigration venue de Grande-Bretagne. Ce cas de figure ne semble pas s’être produit ici. On pense cependant que les Vardulii et Caristii installés sur les provinces actuelles de Guipuscoa et Biscaye parlaient une langue proche du basque et ce selon la considération suivante : les textes des autels votifs écrits en latin dans lequel apparaissent des termes explicables par le basque actuel seraient le témoignage d’une situation de contact de langue, bilinguisme ou diglossie. Le fait que l’espace encore aujourd’hui bascophone ne possède que très peu de ces témoignages s’expliquerait par le fait que cette zone n’avait pas encore été du tout pénétrée par le latin et que le basque n’était pas du tout utilisé à l’écrit, pas même dans les inscriptions lapidaires. C’est certes là avoir une vision d’une population bascophone peu cultivée quant à l’écrit. Mais Michelena fait presque vertu de ce niveau de culture peu avancé : il constate en effet que si l’ibère était aussi isolé linguistiquement que le basque, l’ibère a bel et bien disparu non pas seulement parce qu’il était parlé sur un territoire plus exposé et moins inaccessible que le territoire du basque, mais surtout et principalement parce le développement culturel des populations de langue ibère les a rendus plus vulnérables à la romanisation. Les populations bascophones moins développées culturellement auraient donc bénéficié d’une sorte d’immunité par leur peu d’ouverture.

Le gascon

Nous l’avons dit, l’unité de civilisation qui marque les Pyrénées occidentales à l’époque occidentale est acceptée globalement. Pour Strabon déjà, les Pyrénéens ressemblaient davantage aux habitants de la péninsule Ibérique qu’aux Gaulois. Jules César, dans La Guerre des Gaules, écrit un texte fameux sur la tripartition de la Gaule, dont l’Aquitaine paraît un territoire nettement distinct. Dès l’apparition de la documentation écrite au Moyen Âge, le fossé linguistique qui sépare le Pays basque des régions voisines est signalé, la langue ainsi repérée étant d’ailleurs le plus souvent stigmatisée comme incompréhensible et hermétique.

Les philologues, depuis Luchaire, expliquent de nombreux traits caractéristiques du gascon à partir du basque ou par une langue bascoïde en Aquitaine. Nous ne donnons ici que quelques phénomènes qui font du gascon un parler différent de l’ensemble occitan – parmi les données de P. Bec ou J. Allières par exemple.

– Le f latin donne h en gascon : focu « feu » donne huèc en gascon ; gafare, « saisir » donne gahar ; flore, « fleur », hlor en gascon ancien. Le castillan a aussi opéré de même mais le gascon le fait de manière plus forte, sans doute à cause du substrat basque. L’aspiration marquée par le h existe en effet en basque, soit entre voyelles, soit même après l, r ou n alors qu’elle n’est nullement connue des langues celtibères ou indo-européennes voisines.

– Le gascon, comme le castillan, méconnaît le v latin et en fait un b. C’est aussi une caractéristique du basque : l’orthographe actuelle de noms de personnes comme Etcheverry ou Videgain pour Etxeberri ou Bidegain marque que la lettre orthographiée v était prononcée comme un b. Agrippa d’Aubigné parmi d’autres se moquera de l’impossibilité pour le Gascon de distinguer le b du v.

– Les mots latins en r à l’initiale portent en gascon une prothèse vocalique : rota devient arròda en gascon. Avec le mot errota, le basque fait de même ; selon le même schéma Erroma répond à « Rome ». L’occitan commun propose par contre ròda, sans prothèse.

– Le latin opposait des consonnes intervocaliques simples à des géminées comme -l- à -ll- et -n- à -nn. Gascon et basque se distinguent en simplifiant le -nn- ; annona donne anhoa, « provision » en basque ; canna donne cana en gascon qui connaît une chute du -n- latin, luna donne lua et ce phénomène semble même plus régulier qu’en basque.

Les nasales assimilent en gascon les occlusives sonores si bien que les groupes -mb- ou -nd- se réduisent à m et n : cumba « vallée » devient coma, funda « profonde » devient hona. Il faut avouer que le basque est moins régulier mais on sait que le terme Sembe des autels votifs aquitain est passé à Seme « fils » en basque moderne.

Dans le vocalisme, le gascon primitif ne procédait pas à la mutation du [u] venu du latin à [y], passage caractéristique dans tout le domaine gallo-roman. Mais justement le basque ne possédait pas non plus de [y] et ne présente que les cinq voyelles [a], [e], [i], [o] et [u]. Le détail des réalisations encore aujourd’hui dans certaines vallées pyrénéennes en vallée d’Aure, la vallée de Luz et de Gavarnie, la vallée de la Save confirme ce trait.

Outre ces traits généraux et pan-gascons, l’école toulousaine de dialectologie – avec J. Séguy, J. Allières, X. Ravier, J. L. Fossat – a montré que le territoire gascon montrait des espaces marqués par une plus grande « gasconnité » et que cette répartition n’était pas aléatoire ; en gros la « gasconnité » semble plus forte dans les vallées pyrénéennes les plus isolées où on peut penser que la romanisation a été moins rapide ; et d’autre part bien des faits gascons sont d’autant plus prégnants qu’on se rapproche du domaine actuel de la langue basque. On songe par exemple au vocalisme du gascon « noir » autour de Bayonne dans lequel J. Allières voit une influence du basque. De même le béarnais a vu apparaître une voyelle nasale intense après la chute du -n- latin intervocalique : or le parler souletin contigu a fait de même. En syntaxe, le béarnais et le souletin recourent l’un et l’autre au partitif même dans des assertions positives. Outre la phonétique, on est frappé par la tendance du gascon pyrénéen à regrouper fortement les pronoms autour des formes verbales, ce qui n’est pas sans rappeler le polysynthétisme du verbe basque évoqué plus haut.

Dans le lexique courant, G. Rolhfs fournit quantité de termes communs aux basque et gascon actuels, termes parmi lesquels on peut picorer : amburo « asphodéle » (ambulo en basque) ; chingarro « lard » (xingar en basque) ; carroung « gelée » (kharroin) ; garracho « petit houx » (garratz) ; lastoû « graminée » (lasto) ; caparro « tique » (kapar) ; missàrro « loir » (mixar) ; agor, abor « automne » (agor). On le voit, ces termes sont extrêmement concrets et peu susceptibles d’avoir été portés par une quelconque institution ou un bilinguisme ne touchant que les élites.

On trouvera assez techniques ces considérations sur le proto-gascon et le gascon mais elles sont la constatation de faits avérés sur les connexions des deux langues : rappelons avec J. P. Chambon et Y. Greub que ces traits sont déjà installés en l’an 600 de notre ère.

Il est d’autres champs qui fournissent de riches informations sur cette communauté culturelle et linguistique entre Aquitaine et Pays basque : je pense d’une part à la remarquable thèse de J. Poumarède sur la maintenance au Moyen Âge d’un droit pyrénéen distinct du droit romain, marqué par un puissant esprit communautaire fondé sur l’aînesse intégrale, la rencontre de ces droits ayant donné naissance à des solutions de compromis très originales. X. Ravier a montré aussi la permanence d’une mythologie pyrénéenne dont il a recueilli et analysé des récits près du Tourmalet et du Pic du Midi de Bigorre, récits qui sont apparentés à ceux de la mythologie basque.

Ces points communs entre Aquitaine et Pays basque étant dits, cela ne signifie pas que la langue basque, marquée certes par le poids de l’influence latino-romane, ne garde pas toute son altérité : on trouvera en français comme sources récentes les travaux de G. Rebuschi et B. Oyharçabal qui en étudient les structures, syntaxiques en particulier. Mais c’est là un autre chapitre qui serait à ouvrir sur l’originalité intrinsèque de la langue basque.

L’avenir du basque

Il est temps de conclure brièvement : je ne crains pas de faire confiance à la linguistique historique qui montre une langue basque installée sur ses terres qui se sont réduites comme peau de chagrin. Les phénomènes aquitains et gascons – certes techniques mais certains – raffermissent le chercheur dans ce point de vue. Dès qu’il prend plus de distance, aussi bien temporelle, à l’échelle de quarante mille ans, que spatiale en étudiant le Caucase, l’Iénisséï, le Tibet ou l’Amérique du Nord, il est certes intéressé et se demande si les hypothèses formulées arriveront à franchir le flou qu’il leur attribue aujourd’hui. Peut-être éclairera-t-on un jour les mouvements qui ont pu donner origine à cette langue. Mais je suis toutefois persuadé que l’existence même de la langue basque aujourd’hui est un véritable miracle : pour le citoyen que je suis, la vraie question de la langue basque n’est pas son origine, c’est son avenir. Tant mieux si une meilleure connaissance de son passé permet d’en assurer la survie.

Charles Videgain
janvier 2003

  Bibliographie

Jacques Allières
Les Basques.
PUF, Paris, 2003 (coll. Que Sais-Je ?)
Jacques Allières
Manuel pratique du basque.
Picard, Paris, 1991
René Lafon
La langue basque.
, Bayonne,
Jean-Baptiste Orpustan
La langue basque au Moyen Âge.
, Izpegi, 1999
Sous la direction de Jean-Baptiste Orpustan.
La langue basque parmi les autres : influences et comparaisons.
, Izpegi, 1994
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