C'est à la découverte d'une province longtemps ignorée de l'archéologie orientale que nous invite le superbe album réalisé à la faveur de l'exposition « Routes d'Arabie. Archéologie et histoire du royaume d'Arabie saoudite », présentée cet été au Louvre. Les splendeurs du site nabatéen de Pétra, découvert en 1810 par Burckhardt, ont longtemps éclipsé les vestiges non moins intéressants découverts à Tayma, Madâ'in Sâlih (Hégra) ou Najran (al-Ukhdûd).
Rien de très surprenant si l'on considère le nombre très faible des voyageurs aventurés dans les immensités de la péninsule arabique jusqu'au début du XX
e siècle, quand les explorations des von Seetzen, Tamisier, Blunt, Burton, Palgrave ou Doughty avaient surtout pour objectif la simple reconnaissance géographique ou la participation – impliquant la nécessité de se faire passer pour musulman – au pèlerinage de La Mecque. Des sites archéologiques furent alors découverts par hasard mais la priorité donnée aux recherches engagées en Mésopotamie ou en Syrie renvoya à plus tard leur étude scientifique, méthodiquement organisée à partir de 1975, date à laquelle fut instituée par les autorités saoudiennes un département des antiquités chargé de mettre en œuvre une prospection systématique et une étude rigoureuse des sites les plus intéressants, généralement effectuée dans le cadre de coopérations avec des chercheurs étrangers.
Le bilan des travaux entrepris se révèle spectaculaire et c'est la longue histoire de l'immense territoire étendu des rives du golfe arabo-persique à la mer Rouge et du désert syrien aux montagnes du Yémen et de l'Hadramaout que l'ouvrage collectif dont la rédaction a été coordonnée par Béatrice André-Salvini nous permet de découvrir. Une centaine de pages sont nécessaires pour présenter de manière suffisamment claire et complète le cadre géographique et les grandes étapes de l’histoire du pays, des temps lointains qui virent les caravanes de l'encens cheminer de l'Arabie heureuse du Yémen à l'Arabie pétrée des confins syriens, en suivant les routes étirées entre les chaînes montagneuses du Hedjaz et le littoral de la mer Rouge, aux périodes contemporaines de la genèse de l'islam ou à l'époque de la domination ottomane.
Enrichie par une illustration photographique d'une densité et d'une qualité exceptionnelles, c'est la partie « catalogue » de l'ouvrage qui retient tout particulièrement l'intérêt, dans la mesure où les sites, les objets ou les œuvres présentés sont demeurés jusqu'à maintenant largement ignorés.
On est d'abord surpris par la richesse et la diversité des vestiges préhistoriques – outillage lithique ou pointes de flèches –, mais davantage encore par les images gravées dans les roches découvertes à Jubbah et Najran ou par les étonnantes stèles funéraires contemporaines du IV
e millénaire avant J.-C. mises au jour dans des régions de la péninsule arabique très éloignées les unes des autres. Le III
e millénaire avant J.-C. voit l'essor, sur la côte du Golfe arabo-persique, de la civilisation de Dilmoun alors que les vases en chlorite de Tarut témoignent d'une parenté certaine avec ceux qui ont été découverts à Jiroft, au sud-est de l'Iran, dessinant ainsi les limites d'une région dont le rôle semble avoir été déterminant dans le commencement des grandes civilisations orientales.
C'est à la fin du II
e millénaire avant J.-C. que le Royaume madyanite établi au nord-ouest de la péninsule, sur les routes caravanières reliant le Yémen à la Méditerranée impose son autorité sur une vaste région avant qu'une nouvelle puissance, organisée autour de l'oasis de Tayma, ne lui succède au début du premier millénaire, productrice d'un art original qui fait coexister de curieuses pierres tombales présentant schématiquement un visage humain et une statuaire royale dans laquelle on devine l'influence de l'Egypte pharaonique finissante.
C'est à Dedan (' Al -Ulâ) qu'a fleuri la brillante civilisation lihyanite dont les impressionnantes statues anthropomorphes de grès rouge constituent aujourd'hui l'un des principaux trésors conservés par le musée de Riyad.
Le travail effectué par une mission française a révélé l'importance de Hegra, équivalent saoudien de la jordanienne Petra. Ville du royaume nabatéen riche de ses impressionnants tombeaux rupestres, elle témoigne de ce qu'était la civilisation urbaine des anciens Arabes et confirme que ces régions ne furent pas exclusivement vouées de toute éternité au nomadisme chamelier des tribus bédouines.
D'autres villes commerçantes – ainsi Qaryat al-Faw, établie aux confins du terrible désert du Rub al Khali – ont été ressuscitées par les archéologues pour nous révéler l'influence qu'y exerça la culture hellénistico-romaine dans les tout premiers siècles de l'ère chrétienne. Cette période, dite « intermédiaire des royaumes arabes » voit également fleurir – au nord-est de l'actuel royaume d'Arabie saoudite, dans les régions où s'était développée, deux millénaires plus tôt, la civilisation de Dilmoun – le royaume de Gerrha. Les bijoux et le masque funéraire en or découverts sur le site de Thäj témoignent, tout comme les joyaux mis au jour à 'Ayn Jawaan, de sa richesse et du degré de civilisation qu'il avait atteint.
Les pages consacrées par Jacqueline Chabbi aux origines de l'Islam, la reconstitution – appuyée sur les découvertes archéologiques – des diverses routes du pèlerinage de La Mecque et l'étude des lieux saints à l'époque ottomane rendent compte de l'histoire du pays à l'époque musulmane, mais on retiendra également le chapitre final qui évoque l'épopée de la dynastie saoudienne et de l'Etat qu'elle a fondé il y a moins d'un siècle, sous la direction du roi Abdulaziz ibn Saud, celui que Jacques Benoist-Méchin avait surnommé, dans une biographie qui fit date, le « Léopard du Désert ».
Assister à une conférence de Clio à Paris
Cette exposition propose un périple au cœur de l’Arabie, rythmé par l’évocation photographique des somptueux paysages de la région. Elle est conçue comme une succession d’étapes dans quelques-unes des...
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