La vie et la personnalité de Mozart ont engendré nombre de mythes qui ont toujours la vie dure et la « médiatisation » du célèbre musicien, devenu un symbole de sa ville natale et un véritable produit touristique n’a évidemment rien arrangé.

C’est après avoir établi ce constat que Daniel Elouard entreprend de renouveler sérieusement l’image du compositeur des Noces de Figaro. L’Amadeus réalisé par Milos Forman en 1984 a largement contribué à la construction de l’icône de l’artiste maudit incompris en son temps mais rebelle vis-à-vis d’une société dont il aurait mesuré l’injustice… Autant d’idées reçues que vient mettre à mal notre auteur, en dénonçant tout d’abord le péché d’anachronisme commis par beaucoup quand ils entendent présenter et juger Mozart avec des grilles de lecture qui sont celles de la fin du XXe siècle, sans faire l’effort de reconstituer exactement ce qu’était l’environnement social et culturel dans lequel s’est écoulée la courte vie du musicien mort en 1791, à l’âge de trente-cinq ans.

Depuis la grande biographie réalisée de 1821 à 1828 par Georg Nikolaus Nissen, la mémoire collective a fabriqué un personnage qui devait correspondre au « génie de la musique » transformé en « artiste maudit », propre à satisfaire les imaginations romantiques. Victime de son père, du prince-archevêque Colloredo, de l’empereur Joseph II, de ses amis insensibles à ses problèmes d’argent… le compositeur du Requiem aurait été la proie d’une cabale rampante organisée de fait contre un musicien prodige qu’une existence malheureuse aurait empêché de réaliser ses merveilleuses potentialités…

C’est, certes à partir d’éléments bien réels que ces diverses images de Mozart ont été successivement données à ses admirateurs, mais ils ont le plus souvent été exagérés ou déformés en fonction des préjugés qui animaient les biographes successifs. Mozart, nous dit Daniel Elouard « n’a rien d’un ange déchu, éternel enfant malmené par un monde cruel, mais rien non plus d’un démon habité par l’esprit du mal. Ce musicien de génie a mené une vie fort ordinaire, semblable à celle de milliers de ses contemporains, avec des fulgurances musicales, mais aussi beaucoup de médiocrités en d’autres domaines. Constamment préoccupé de son honneur qu’il associe à sa gloire, il n’arrive pas à maîtriser sa carrière, à la différence des autres grands musiciens de son temps, peut-être moins orgueilleux mais qui savent trouver des postes stables bien rémunérés… »

Enfant surdoué qui a manifesté une précocité exceptionnelle, il n’a fait fructifier ses dons que sous l’autorité souvent sévère de son père Léopold. Celui-ci doit ensuite surveiller de près ce fils qui, revenu à Paris en 1778, accumule les dettes alors qu’il a déjà vingt-deux ans, et ne semble pas en mesure, quelles que soient les ressources que lui assure son talent, de gérer seul ses affaires. Il a gagné beaucoup d’argent mais en a dépensé bien plus, sans doute dans une vie agitée que la destruction par sa femme Constance d’une partie de sa correspondance nous empêche de connaître, mais qui ferait précisément écho au reproche de vie dissolue lancé contre lui.

Travailleur infatigable, il se donne tout entier lorsqu’il joue ou dirige, emporté par sa musique, mais ne semble guère, en revanche, se préoccuper de ses enfants, une attitude assez banale à l’époque. Il n’a rien du révolutionnaire qu’ont imaginé ceux qui ont surévalué ses liens avec la franc-maçonnerie. Sa rupture avec Colloredo, le prince-archevêque de Salzbourg, est la manifestation d’orgueil d’un « génie » qui se croit sous-estimé et qui, par ailleurs, déteste Voltaire et les philosophes.

C’est donc à partir d’une enquête approfondie, réalisée dans les sources écrites déjà exploitées par les biographies classiques du musicien, que Daniel Elouard nous propose une relecture d’un personnage dont il nous restitue avec talent l’humanité mais dont la musique, elle, conserve cette part irréductible de mystère consubstantielle aux œuvres majeures de la tradition européenne.