Renoir
Pascal Bonafoux
Editions Perrin
Paris
2009
L’exposition que le Grand Palais consacre aux dernières années d’Auguste Renoir – de 1892 à 1919 – est l’occasion pour Pascal Bonafoux, dont les fidèles de cet historien d’art ont déjà plébiscité les ouvrages consacrés, entre autres, à Van Gogh et à Monet, de nous proposer une biographie du peintre du Déjeuner des canotiers, de La Grenouillère et des somptueux nus féminins qui ont fait de lui l’héritier incontesté de Titien et de Rubens.
Peintre du « bonheur de l’instant », soumis en ses dernières années à l’épreuve de la souffrance physique, celui qui se considérait comme un artisan et se méfiait avant tout de l’aspiration au « génie », sut évoquer, pour un public qui l’a rapidement reconnu et lui est demeuré fidèle, le triomphe de la vie.
Né à Limoges en 1841, fils d’un modeste tailleur et avant-dernier d’une fratrie de sept enfants, le jeune Auguste suit ses parents à Paris dès l’âge de 4 ans et quitte l’école à 13 pour entrer comme apprenti chez un peintre de porcelaine. C’est au Louvre qu’il découvre et admire Watteau, Boucher et Fragonard, avant d’intégrer, en 1862, l’école des Beaux-Arts, en même temps que dans l’atelier de Gleyre où il va rencontrer Monet, Sisley et Bazille, ce qui l’entraîne dans le mouvement impressionniste alors en gestation. Il accompagne ses amis à Chailly en Bière, Chatou et Argenteuil pour y pratiquer la peinture en plein air qui manifestait une claire volonté de rupture avec l’académisme jusque là dominant. Outre le goût du réalisme, de la nature et des sujets tirés de la vie quotidienne négligés jusque là par les peintres, Renoir se passionne, avec Monet, pour le rendu de la lumière et de ses reflets sur l’eau, à l’occasion de leurs passages à la Grenouillère, une guinguette installée dans l’île de Croissy, près de Bougival.
Lors de la première exposition impressionniste de 1874, Renoir présente La Loge, conservée aujourd’hui à l’Institut Courtauld de Londres, qu’il a réalisée l’année précédente. Il se consacre ensuite souvent à la représentation des femmes ou des jeunes filles, nues au soleil ou jouant du piano – « Si Dieu n’avait créé la gorge de la femme, je ne sais, dira-t-il, si j’aurais été peintre » – ainsi qu’au bonheur de vivre qu’expriment ses représentations des dimanches à la campagne, au bord de l’eau, ou l’animation joyeuse du Moulin de la Galette présenté au public en 1877, lors de la troisième exposition impressionniste. Un voyage en Italie, deux autres en Algérie et une visite à l’Estaque où officie Cézanne le familiarisent avec la lumière méditerranéenne avant que, de retour à Paris, il épouse Aline Charigot qui, aperçue dans le Déjeuner des canotiers, lui donnera trois enfants : Pierre, l’acteur, Jean, le réalisateur de La grande illusion, de La règle du jeu et de La Marseillaise, et Claude, le petit Coco, immortalisé, avec son déguisement de clown, dans le superbe portrait conservé à l’Orangerie. Il éprouve ensuite, au cours de la décennie 1880, le sentiment d’aboutir à une impasse, et mesure, à ce moment, les limites de l’impressionnisme, au point d’entreprendre un retour vers les maîtres traditionnels.
L’exposition organisée par Durand-Ruel en 1892 assure le succès du peintre, mais ce dernier commence à subir les effets d’une douloureuse polyarthrite. A Essoyes, en Bourgogne, mais surtout à Cagnes-sur-Mer où il se retire dans la propriété des Collettes, il réalise, durant les dernières années de sa vie, la synthèse de toute son expérience. Terriblement affaibli et diminué – devenu impotent, il faut lui attacher ses pinceaux aux poignets pour qu’il continue à peindre – il persiste à magnifier la beauté féminine dans une série d’œuvres qui trouvent leur aboutissement dans Les Baigneuses. L’artiste s’éteint en 1919, à l’issue d’un parcours que Pascal Bonafoux résume brillamment en constatant que « le conformisme ne saurait admettre qu’un peintre qui n’a renoncé ni à la figuration ni à l’un de ces thèmes les plus rabâchés, le nu, puisse avoir quelque place dans l’histoire de la modernité ».
A l’inverse, la place occupée par Renoir depuis près d’un siècle dans le goût du public révèle à quel point ce peintre du bonheur a su rencontrer la sensibilité et les attentes de ses contemporains et des générations qui leur ont succédé.