Palais et demeures d’Orient. XVIe-XIXe siècle
Jean-Claude David et Gérard Degeorge
Imprimerie nationale
Paris
2009
Du Maghreb à l’Egypte, de la Syrie ou de la Turquie à la Perse, l’Orient hante depuis longtemps l’imaginaire occidental. Les turqueries du Grand Siècle, L’Enlèvement au sérail de Mozart, les peintres de l’Istanbul ottomane, Vanmour ou Liotard, ou ceux de l’Afrique du Nord des années romantiques tels que Delacroix ou Fromentin ont ainsi contribué à la formation d’une sensibilité « orientaliste » qu’Edouard Saïd a vainement tenté de réduire à une représentation marquée du sceau de l’exotisme et appelée à justifier l’impérialisme colonial de l’Europe de l’époque. Fait de sons, d’odeurs, de parfums, de rythmes du quotidien, de musique, de couleurs, des décors infiniment répétés du bruissement de l’eau au cœur de jardins perçus comme des images du paradis, cet Orient demeure encore bien réel. L’animation bruyante des médinas nord-africaines et l’atmosphère si particulière qui caractérise les bazars des grande métropoles du Croissant fertile ou du plateau iranien continuent à exercer sur le visiteur occidental une incontestable séduction. Pourtant, confronté aux défis d’une modernité envahissante, ce monde risque, à terme, de se réduire à un simple « patrimoine » appelé à témoigner d’un art de vivre et d’un rapport au monde fatalement voués à la disparition.
L’ouvrage réalisé par Jean-Claude David et Guy Degeorge – l’un géographe spécialiste de la ville orientale, l’autre architecte et photographe qui nous a déjà donné, avec, Paul Veyne, un remarquable album consacré à Palmyre – est d’autant plus bienvenu qu’à la différence de la plupart des livres consacrés à la civilisation et à l’art musulmans – qui privilégient les monuments les plus spectaculaires, les mieux conservés et les plus souvent visités, tels que les mosquées, mausolées ou madrasa, il porte au contraire sur les palais et les demeures aristocratiques du XVIe au XIXe siècle, beaucoup moins familiers au grand public cultivé. Réalisé dans un grand format, l’album, très richement illustré, exploite toutes les ressources de la photographie pour suggérer ce que fut le quotidien des élites de l’Orient musulman dans le Maroc alaouite, l’Egypte que les Mamelouks géraient encore au nom du sultan ottoman, la Constantinople du Grand Turc, ou la Syrie conquise depuis le XVIe siècle par le nouveau Commandeur des croyants. Sans oublier la Perse shi’ite des Safavides et des Qadjars.
Le texte de Jean-Claude David nous propose, quant à lui, une approche « anthropologique » de la ville musulmane et de son « désordre » apparent dont les noms de « souk » et de « bazar » sont censés rendre compte quand ils sont utilisés en Occident. En l’opposant à l’ordonnancement rigoureux des palais construits à l’extérieur – ceux de Samarra ou d’Andjar à l’andalouse Medinat az Zahra, si l’on remonte aux premiers siècles de l’Islam –, l’auteur nous expose les dimensions politiques et juridiques qui commandent l’organisation urbaine avant de se pencher sur les édifices destinés à l’habitation. Il nous éclaire ainsi à propos des fonctions respectives de l’iwan, « construction qui délimite et englobe un espace occupé, qui matérialise l’orientation du regard et l’abri protecteur », des cours, dont l’allure et les dimensions varient selon les régions considérées, de la qa’a, la pièce noble de réception, des jardins ou des terrasses, si appréciées des habitants une fois la nuit tombée. Les décors formés d’arabesques, d’inscriptions calligraphiées ou de compositions géométriques prennent ici tout leur sens et constituent autant d’invitations à la découverte en un temps où, de Marrakech au Caire et de Kairouan à Ispahan, cet Orient traditionnel confronté à de gigantesques mutations risque bientôt d’appartenir à l’Histoire.