Spécialiste de l’Iran, Yann Richard, qui a déjà publié un livre consacré à l’Islam shi’ite et un ouvrage retraçant l’histoire de l’Iran au XXe siècle, est un parfait connaisseur d’un pays où il a séjourné pendant huit ans, notamment à l’époque où y triompha la révolution islamique. Cette révolution était totalement inattendue en Occident du fait de l’ignorance des dirigeants américains ou européens quant à la nature du shi’isme et à la réalité de la société iranienne. En effet celle-ci était alors masquée par l’occidentalisation superficielle réalisée par le régime autoritaire et modernisateur du shah Mohammed Reza Pahlevi, contraint d’abdiquer et de s’exiler en 1979, une fois acquise la victoire de l’ayatollah Khomeiny, à peu près totalement inconnu quelques mois plus tôt. Dans le contexte nouveau de la guerre d’Irak et de la crise engagée à propos de l’enrichissement de l’uranium par l’Iran, l’ouvrage de Yann Richard éclaircit la situation d’un pays qui entend tout naturellement jouer de nouveau le rôle régional qui était traditionnellement le sien, ce qu’avait d’ailleurs entrepris d’accomplir, avec un certain succès et avec la bénédiction de Washington, le défunt shah d’Iran. Il convient pour cela d’interroger l’histoire et d’analyser les réalités de la géopolitique régionale en allant chercher jusque dans la Perse de la dynastie des Qadjars, contemporaine d’un effacement apparemment inéluctable de l’ancien empire séfévide, les données qui permettent d’éclairer la situation actuelle. L’auteur retrace comment l’empire perse eut à subir la double hégémonie anglaise et russe au cours du XIXe siècle mais aussi comment le mouvement national et démocratique incarné par le docteur Mossadegh et qui aurait pu contribuer à une modernisation réussie fut réduit à néant par le coup d’Etat de 1953. La voie était alors ouverte à un islamisme capable de s’imposer comme la seule alternative possible au régime autoritaire du shah, accusé de surcroît d’être inféodé aux Etats-Unis. Critique vis-à-vis de la révolution islamique – ce qui lui vaut d’être interdit de séjour en Iran – Yann Richard n’en analyse pas moins avec lucidité la société iranienne d’aujourd’hui pour y déceler les contradictions qui ouvriront peut-être demain des accès inattendus à une modernité que les Iraniens – notamment les nouvelles et nombreuses générations – espèrent. Ils n'entendent pas pour autant renoncer à un farouche nationalisme qui – héritier de l’histoire des XIXe et XXe siècles – fera l’unité derrière quelque dirigeant que ce soit (y compris islamiste) si l’Occident prétendait régler par la force la « question iranienne ». Un livre indispensable pour analyser correctement le débat en cours.