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L'histoire oubliée des guerres d'Italie
L'histoire oubliée des guerres d'Italie
Jacques Heers
Via Romana
Versailles
2009
Les « guerres d'Italie » occupent dans notre imaginaire national une place bien particulière, marquée par l'entrée de Charles VIII à Naples, la furia francese à l'œuvre à Fornoue, le jour de gloire de Marignan et la défaite de Pavie, le tout enrichi de quelques figures héroïques : celles de Gaston de Foix tombant à Ravenne, du jeune François Ier armé chevalier à l'issue de la bataille gagnée sur les Suisses, de Bayard « sans peur et sans reproche » ou, à l'inverse, du connétable de Bourbon, un peu vite réduit au rôle de « traître » acquis à l'Empereur que lui a définitivement décerné, à la fin du XIXe siècle, l'Histoire nationaliste véhiculée par le « petit Lavisse ». Après la lecture épique des événements, il a bien fallu constater que la France du temps s'était abandonnée au « mirage italien » né des « droits » acquis par les Valois sur Naples et le Milanais, et la restauration de la paix survenue en 1559 lors de la conclusion du traité de Cateau-Cambrésis scella le renoncement aux terres d'outre-monts, la priorité devenant désormais, pour la dynastie, la marche vers le Rhin dont la première étape fut alors l'annexion des évêchés lorrains de Metz, Toul et Verdun.

Jacques Heers s'imposa, il y a près de cinquante ans, avec la thèse monumentale portant sur Gênes au XVe siècle, comme l'héritier d'Yves Renouard et comme le meilleur spécialiste français des principautés transalpines du Quattrocento, avant de nous donner plusieurs ouvrages majeurs, consacrés notamment à Louis XI, aux Médicis, aux barbaresques et à la traite musulmane. Dans cette Histoire oubliée des guerres d'Italie, il replace les épisodes bien connus qui virent Charles VIII, Louis XII et François Ier intervenir au-delà des Alpes pour y affronter la puissance espagnole et impériale dans une continuité qui nous renvoie au XIIIe siècle, quand s'établit à Naples la dynastie angevine.

Il nous rappelle, en effet, comment le comte de Provence – Charles d'Anjou, devenu vassal du Saint Siège – entreprit la conquête, aux dépens de la dynastie souabe des Hohenstaufen, de la ville et du royaume de Naples. Le prince victorieux dut cependant compter rapidement avec un nouvel adversaire, le roi d'Aragon, qui entendait s'assurer le contrôle de la Sicile. Les « Vêpres » sanglantes survenues à Palerme le lundi de Pâques 1282, puis les victoires navales de Roger de Lauria donnèrent aux Espagnols le contrôle de l'île au moment où le roi capétien Philippe III menait contre l'Aragon une vaine « croisade ». On vit ensuite les maîtres français de Naples intervenir dans les élections pontificales, notamment lors de celle qui permit à l'ermite Pierre de Morrone de devenir le pape Célestin V, mais aussi établir des liens étroits avec la Hongrie. Jacques Heers ressuscite avec bonheur des figures oubliées : celle de Robert d'Anjou dont le mécénat fit de Naples l'une des plus belles villes de l'Occident ou celles de la reine Jeanne Ière et de ses quatre époux successifs. Alors que la synthèse fondatrice d'Emile Guillaume Leonard, réalisée il y a près d'un demi-siècle, est aujourd'hui devenue introuvable, la présentation de la Naples angevine que nous propose Jacques Heers se révèle extrêmement précieuse en ce qu'elle reconstitue pour les lecteurs français l'époque si riche qui correspondit à la domination angevine sur l'Italie du Sud. On comprend mieux ensuite les nostalgies qu'entretinrent les Valois à propos de Naples, d'autant que la conquête du royaume était perçue comme la première étape du « voyage d'outre-mer » qui devait conduire Charles VIII et ses hommes d'armes vers la Terre Sainte pour y réactualiser la nécessaire croisade.

L'évocation de ces guerres d'Italie permet également à l'auteur de nous proposer, outre le récit et l'interprétation des événements, diverses approches thématiques consacrées surtout à l'art de la guerre, renouvelé par l'action de condottieri, dont les troupes soldées remplacèrent les anciennes milices communales, et marqué par les incertitudes liées aux affrontements navals. C'est aussi l'occasion d'appréhender les valeurs qui étaient celles des guerriers du temps, soucieux d'affirmer leur vaillance et de défendre leur « honneur » en un temps où l'antique morale chevaleresque s'apprêtait à connaître les mutations qui donneraient bientôt la première place au service du roi.

Dans une conclusion innovante, Jacques Heers relativise la place de l'antagonisme qui opposa, trois siècles durant, les rois de France à l'Aragon, puis à l'Empire, en insistant sur la part indirectement prise par la papauté dans cette suite de conflits : « En répondant au pape français Clément IV et en devenant son vassal, Charles d'Anjou n'était que le bras séculier de l'Eglise et ces guerres d'Italie s'inscrivent dans la lutte plus que séculaire qui opposait la papauté à l'Empire. Dans le passé, les rois normands de Sicile avaient été les alliés et les protecteurs de Rome. Mais dès le moment où l'empereur germanique fut aussi roi de Sicile et, plus encore, quand Frédéric II s'établit à Palerme, tout en maintenant ses vicaires dans l'Italie du Nord, Rome et les Etats pontificaux se sont trouvés menacés, comme assiégés. Par l'établissement d'un prince français dans le royaume de Naples, la Papauté retrouvait une sécurité, affranchie de la tutelle impériale. Ce ne fut que pour un temps. Ces rois angevins de Naples, vassaux du Saint-Siège, n'ont pas tardé à vouloir s'imposer, non seulement en protecteurs mais en maîtres... A tout considérer, il paraît bien que ces guerres d'Italie ne furent pas seulement provoquées par les ambitions et la soif de conquêtes des rois de France et d 'Aragon, mais aussi, et plus encore sans doute, par la rivalité entre rois et Empereur pour mettre la main sur la papauté. »
 
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