Logo Clio
Les fluctuations du climat, de l'an mil à aujourd'hui
Les fluctuations du climat, de l'an mil à aujourd'hui
Emmanuel Le Roy-Ladurie, Daniel Ruosseau, Anouchka Vasak
Fayard
Paris
2011
Dès 1967, Emmanuel Leroy-Ladurie – qui venait de publier sa thèse fameuse consacrée aux paysans du Languedoc – ouvrait un nouveau territoire à la recherche en réalisant son Histoire du climat depuis l'an mil. Utilisant des sources laissées jusque là en friche, il reconstituait les grandes oscillations météorologiques qui, aux époques médiévale, moderne et contemporaine, avaient pu déterminer la conjoncture économique ou les crises sociales caractéristiques de ces époques successives. D'autres chercheurs ont su exploiter après lui la percée ainsi réalisée, ce qui a permis de compléter notre connaissance de cette dimension longtemps négligée du passé. Après plusieurs grandes synthèses consacrées l'histoire de l'Etat royal, aux nouvelles méthodes de la science historique, à l'étude des mentalités ou à des « micro-histoires » dont le modèle demeure Montaillou, village occitan, le spécialiste de l'Histoire quantitative mais aussi des représentations collectives abordées dans son Saint-Simon ou le système de la Cour, s'est tourné de nouveau vers le climat avec son Histoire humaine et comparée du climat venue, en 2009, alimenter le débat relatif au réchauffement planétaire.

C'est une synthèse débarrassée des pesanteurs érudites et destinée au grand public cultivé, curieux et... inquiet qu'il nous propose aujourd'hui, avec la collaboration du météorologue Daniel Rousseau et de l'historienne Anouchka Vasak. Alors que les grands bouleversements climatiques intervenus au cours des temps préhistoriques – marqués notamment par d'imposantes extensions glaciaires suivies de périodes de réchauffement et correspondant à des périodes pluviales et sèches dans l'espace africain – sont connus depuis longtemps, c'est l'image d'une stabilité qui a paru s'imposer depuis la fin de la glaciation würmienne survenue aux alentours de 8000 avant J.-C. Une stabilité tout à fait relative car il convient de tenir compte des oscillations, rebaptisées ici « fluctuations », qui ont marqué les diverses époques. L'environnement naturel qui nous est familier et qui voit la forêt de feuillus remplacer progressivement la toundra puis la forêt de conifères, s'impose avec la période holocène correspondant à l'Epipaléolithique puis au Néolithique, mais la continuité de ce nouveau paysage végétal n'exclut pas des phases de réchauffement sensible, notamment le petit optimum du bronze correspondant à la seconde moitié du deuxième millénaire avant J.-C. Après un refroidissement qui s'affirme et se maintient de 900 à 400 avant J.-C. survient – du IIe siècle avant J.-C. au IIe siècle de notre ère – un « petit optimum romain » correspondant aux beaux siècles de la République et de la pax romana impériale. Après un nouveau refroidissement contemporain de la période des invasions, le petit optimum médiéval qui s'étend du IXe au XIIIe siècle voit se développer en Norvège la culture de la vigne et correspond, en Europe occidentale, à l'amélioration de la production agricole et, donc, à l'essor démographique au lendemain de l'an mil.

L'avancée et le recul des langues glaciaires, l'étude de l'évolution de la végétation à partir du recours à la palynologie ou à la dendrochronologie ont permis de mettre en lumière assez rapidement ces grandes tendances, mais la disposition de sources plus nombreuses a facilité la reconstitution des évolutions ultérieures, très précisément analysées dans l'ouvrage. Les séries thermométriques rendant compte des mesures de la température apparaissent et se généralisent en Angleterre, puis en France, dès le milieu du XVIIe siècle. Il en va de même du rassemblement des données pluviométriques. Les mercuriales rendant compte de la commercialisation des grains fournissent d'autres éléments d'information, tout comme le rassemblement des données relatives aux dates des vendanges ou à la récolte des olives. Les témoignages et les mémoires des contemporains – on pense à Saint-Simon pour le grand hiver de 1709 – et relatifs au froid, à la chaleur ou à la sécheresse extrême fournissent également de précieux points de repère.

Disposant de ces diverses données – auxquelles les auteurs ajoutent les effets de phénomènes exceptionnels tels que les éruptions du Kuwae (dans les Nouvelles-Hébrides, au milieu du XVe siècle) du Laki (en Islande en 1783) ou du Tambora (en Indonésie en 1815) – les historiens peuvent confronter ce que nous apprend l'Histoire – politique, mais surtout économique et sociale – à la conjoncture météorologique afin d'en tirer des conclusions parfois inattendues. La « crise » du XIVe siècle, le « beau XVIe siècle » qui se termine vers 1560 , la décennie 1640, l'essor économique et démographique qui s'amorce au milieu du XVIIe siècle, à l'inverse les mauvaises récoltes de 1787 et 1788 et l'hiver rigoureux qui précède le printemps de 1789 agissent indirectement sur l'évolution des événements, surtout par le biais de mauvaises récoltes génératrices de crises économiques dites du type « ancien régime ». Cette relecture des derniers siècles est aussi originale que stimulante, mais les auteurs, tout en demeurant prudents, adhèrent à l'idée d'un réchauffement global porteur de lourds défis pour les générations à venir.
 
Mentions légales Conditions de vente Comment s'inscrire Vos assurances Qui sommes-nous ? Clio recrute Nous contacter ou nous visiter