Les derviches tourneurs. Doctrine, histoire et pratiques
Alberto Fabio Ambrosio, Eve Feuillebois et Thierry Zarcone
Cerf
Paris
2006
Il faut se féliciter du travail effectué par trois auteurs spécialistes de la mystique musulmane et des mondes persan, arabe et ottoman pour proposer aux lecteurs non spécialistes mais curieux d’histoire religieuse un compte rendu très éclairant d’une journée d’études tenue dans le cadre prestigieux du centre culturel du Saulchoir, en collaboration avec l’équipe chargée au CNRS des études turques et ottomanes. C’est la confrérie mawlavviya, plus connue en Occident comme celle des « derviches tourneurs » qui fournit la matière de l’ouvrage. Cette secte et ses pratiques rituelles, notamment la danse extatique qui fait sa célébrité, témoignent en effet d’une expérience spirituelle héritière de plus de huit siècles d’histoire dont la découverte, à travers cet ouvrage savant mais particulièrement clair et didactique, ouvre à la réflexion des perspectives aussi riches qu’inattendues.
Tout commence avec la vie de Mawlânâ Jalâl al-Din Muhammad ibn Muhammad al-Balkhî al-Rûmî (c’est-à-dire « Notre Maître, Splendeur de la Foi, Muhammad, fils de Muhammad, de Balkh et du pays de Rûm », la région d’Asie centrale où est né le fondateur de la confrérie et celle de l’Asie mineure où il a vécu). Connu par les Occidentaux sous le nom de Rûmî, il vécut de 1207 à 1273. Etudiant à Konya, il rencontre Shams al-Dîn Tabrîzî qui l’initie au soufisme et il se tourne alors vers la wilâya, l'amitié mystique qui pousse à la réunification de la créature et de son Créateur. C’est son fils, Sultan Walad, qui sera ensuite le véritable fondateur de la confrérie mawlawiyya devenue ensuite un ordre rigoureusement organisé au sein duquel la samâ, la danse extatique, va devenir une pratique fondamentale. Le texte d’Alberto Fabio Ambrosio révèle les diverses significations de cette pratique qui vise à arracher l’âme du danseur à la sphère terrestre pour l’élever jusqu’à la divinité. « Danse des mystères » qui fait écho aux anciennes croyances néoplatoniciennes, elle s’inscrit dans un univers mental et spirituel qui voit les mevlevis placer leur poésie, leurs rituels et leur esthétique sous la loi du symbole. Aussi passionnant que dépaysant, cet ouvrage dégage, pour tout esprit cultivé, des horizons d’une fascinante nouveauté.