L'Egypte des Mamelouks. L'empire des esclaves
André Clot
Editions Perrin
Paris
2009
La publication en format de poche de cet ouvrage paru initialement en 1996 peut être considérée comme une heureuse initiative des éditions Perrin car l'Egypte des Mamelouks demeure largement méconnue du grand public cultivé. André Clot, familier de l'Orient ottoman auquel il a consacré plusieurs ouvrages majeurs, était sans doute le mieux placé pour nous présenter ce que fut l'histoire de cette aristocratie militaire qui parvint à imposer sa loi à l'Egypte à partir du milieu du XIIIe siècle avant de constituer – jusqu'à la conquête turque survenue en 1517, sous le règne du sultan Sélim Ier le Terrible – l'une des grandes puissances du Proche-Orient, celle qui fut capable d'arrêter en Syrie la vague mongole.
Ces guerriers blancs issus des steppes, qui avaient été initialement les esclaves des sultans ayyoubides, surent, une fois installés au pouvoir, faire du Caire la plus belle cité du monde musulman de leur temps, au moment où Bagdad était mise à sac et ruinée par les hordes du souverain mongol Hulagu et alors que l'Islam d'al Andalus, refoulé par la reconquête chrétienne, se réduisait désormais au petit royaume nasride de Grenade. Vainqueurs des Francs à Mansourah en 1250, puis des Mongols à Aïn Djalut, en Syrie, dix ans plus tard, les Mamelouks sont en mesure d'installer une dynastie puissante dont l'un des souverains, Khalil (le bazar cairote de Khan al Khalili rappelle son nom), s'empare en 1291 de Saint-Jean-d'Acre, la dernière position des croisés sur les côtes syriennes.
Des luttes fratricides voient ensuite les Mamelouks « de la Citadelle » succéder à ceux « du Fleuve », mais quelques grands souverains – dont Qait Bay, qui a construit à Alexandrie le fort installé à l'emplacement de l'ancien phare – n'en illustrent pas moins cette période. Celle-ci correspond à un apogée culturel, qui n'est pas sans rappeler celui de l'époque fatimide, et Ibn Khaldoun peut s'extasier à propos du Caire, « éclairée par les étoiles de l'érudition ». Près de cent cinquante monuments – mosquées, madrasa, mausolées – témoignent encore aujourd'hui de la richesse de cette période. La nécropole située au nord de la citadelle, au pied de la colline du Moqattam et, surtout, l'admirable mosquée du sultan Hassan nous renvoient aujourd'hui à ce moment particulièrement faste.
La menace représentée par Tamerlan – dont les troupes ravagent la Syrie au début du XVe siècle – et la ruine du commerce vénitien consécutive à l'expansion ottomane, viennent, au XVe siècle, fragiliser la puissance mamelouke qui devra bientôt compter, vers la mer Rouge et l'océan Indien, avec la concurrence portugaise. La ruine économique précède de peu l'effondrement politique puisque, dès 1517, les Ottomans s'installent en vainqueurs au Caire. Un compromis permettra aux Mamelouks de maintenir en partie leur pouvoir, sous la suzeraineté des nouveaux maîtres de l'Orient, mais leur aventure trouvera son issue tragique avec l'expédition d'Egypte, quand leur cavalerie sera décimée lors de la bataille des Pyramides, et avec Mehmet Ali, le fondateur de l'Egypte moderne, quand ce dernier, les ayant attirés dans un traquenard, les fera massacrer en mars 1811.