Le temple indien miroir du monde
Bruno Dagens
Belles Lettres
Paris
2009
Alors que le temple grec, la cathédrale médiévale ou la mosquée musulmane sont des monuments familiers dont les caractéristiques architecturales, la signification et les fonctions sont bien connues, il n'en va pas de même du temple indien, au point que Bruno Dagens peut faire remarquer que « l'Inde est, au XIXe siècle, plus souvent représentée par ses mosquées que par ses temples ».
Leur longue proximité avec les terres d'Islam et leur méconnaissance des traditions religieuses « hindoues » conduisaient naturellement les Occidentaux à privilégier les splendeurs de l'architecture mogol, au détriment des structures insolites et de la profusion baroque des décors sculptés de Tanjore, Khajurao, Pattadakal ou Mahabalipuram.
Les missionnaires des XVIIe et XVIIIe siècles ne donneront qu'une interprétation superficielle des monuments concernés et il faut attendre 1834 et la publication à Londres par la Royal Asiatic Society de « L'architecture des Hindous » de Ram Raz, pour que les curiosités s'éveillent en Europe. Mais c'est dans la seconde moitié du XIXe siècle que les grands travaux d'inventaires descriptifs lancés alors marquent le point de départ d'une véritable approche scientifique, nécessaire à l'intelligence d'une civilisation dont on mesure aujourd'hui qu'elle va peser de tout son poids économique, démographique et culturel sur le monde du XXIe siècle. C'est tout le mérite de l'ouvrage de Bruno Dagens – historien, archéologue et linguiste – d'offrir au lecteur d’aujourd’hui une approche claire et une interprétation cohérente des grands sanctuaires indiens.
« Miroir du monde », comme le signale le beau titre de l’ouvrage, le temple indien est le lieu où architectes et sculpteurs, inspirés par les théologiens, ont su réinventer l'espace et le temps, les conjuguant dans un spectacle continu où la création toujours recommencée de l'univers est sans cesse réitérée par les cérémonies quotidiennes et les fêtes solennelles. Pour garantir la permanence du spectacle, ils l'ont pétrifié dans le décor du temple, comme ils ont inscrit le cosmos et son agencement dans son architecture et le panthéon et sa mythologie dans les images de ses murs.
L'auteur se consacre d'abord à la description du monument et à l'analyse de ses diverses composantes. Il s'appuie pour cela sur les traités qui ont, très tôt, théorisé la construction et l'aménagement des sanctuaires. Il éclaire ensuite « l'usage du temple » et ses rapports avec les rituels qui y sont accomplis. Les jeux d'eau, la répartition de l'ombre et de la lumière, le rapport au temps sont finement analysés et éclairent des pratiques et des croyances correspondant à des représentations qui nous sont tout à fait étrangères.
L'une des réussites de l'ouvrage réside dans l'ouverture qu'il réalise sur les temples édifiés à l'extérieur de l'Inde proprement dite, dans tout l'espace indianisé. Les remarques portant sur les monuments cambodgiens d'Angkor se révèlent ainsi particulièrement précieuses et permettent d'identifier les apports de la culture locale, tout en confirmant la permanence du système de références religieuses et sociales qui s'exprime à travers le modèle du sanctuaire « indien ».
La mise en perspective, dans les dernières pages du livre, des différentes étapes par lesquelles fut « découvert » le temple indien – du Grec Philostrate aux visiteurs portugais du Vijayanagar ou au Russe Athanase Nikitine, surpris par les « maisons des idoles » – fournit la matière d'une réflexion stimulante.