Comment est apparu le Coran ? Dans quel monde ? A qui s'est-il d'abord adressé ? Quelle sorte d'islam ont pratiqué les premiers musulmans compagnons de Mahomet ? C'est à ces questions que répond Jacqueline Chabbi, professeur à Paris VIII, spécialiste de langue et de civilisation arabe, dans une somme novatrice publiée en 1997 et aujourd'hui rééditée par CNRS éditions. Au cours d'une longue enquête à la fois anthropologique et linguistique, historique et sociale, Jacqueline Chabbi replace l'islam de Mahomet dans son contexte, celui de l'univers tribal de l'Arabie du VII^e siècle. Elle propose une lecture du texte coranique en regard des territoires, paysages, peuples, institutions, pratiques religieuses, politiques, culturelles au sein desquels il a émergé. Comme le rappelle Jacqueline Chabbi, l'islam de Mahomet, rassembleur de tribus, n'est en effet jamais sorti de son milieu d'origine et n'a jamais franchi les frontières de l'Arabie des déserts. « L'islam fut d'abord d'Arabie avant d'être du monde. […] Pour qui s'interroge sur la nature et la configuration de l'islam de la première époque, c'est donc d'abord sur ce milieu que doit porter le regard. »
Cet islam émergeant, explique Jacqueline Chabbi, ne doit être en aucun cas confondu, d'un point de vue historique, avec celui de l'empire des califes qui règnent à Bagdad, capitale de l'immense Empire abbasside à partir du milieu du VIII^e siècle.
C'est sous leur règne, en effet, que les historiographes à leur service fixent le Coran, le faisant apparaître comme un livre sacré demeuré inchangé en son texte depuis la période de sa révélation à Mahomet.
Pour Jacqueline Chabbi, cette tradition musulmane médiévale, qui entend mettre passé et présent en conformité et donner à ce passé une total visibilité, est trop parfaite pour correspondre à la réalité historique. L'islam ne devrait être terre interdite à l'histoire des religions, souligne André Caquot, membre de l'Institut et professeur honoraire au Collège de France, dans sa préface. Jacqueline Chabbi, poursuit-il, « a écrit un livre exemplaire d'une saine méthode d'histoire des religions, ni dogmatique, ni irrévérencieuse. [...] Elle s'en tient au texte et aux mots, à ce qui exprime une expérience religieuse, sans pour autant laisser croire qu'on peut refaire celle-ci ».
A l'heure où le monde musulman subit la tentation du littéralisme et du fixisme, cet ouvrage a l'immense mérite de rendre le Coran à l'histoire.