Le Japon d'Edo
François et Mieko Macé
Les Belles Lettres
Paris
2006
Bon nombre d’idées reçues véhiculées à propos du Japon traditionnel rejettent dans l’obscurité d’un supposé « Moyen Âge » la période qui précède la « révolution de l’ère Meiji », mise en oeuvre à partir de 1868 par l’empereur Mutsu Hito, prélude à la modernisation spectaculaire et à la montée en puissance d’un Japon devenu en l’espace d’une génération la première puissance asiatique, capable de rivaliser avec les principaux acteurs de la politique mondiale d’alors. Fermé aux étrangers, soumis à un monarque divin qui laissait la réalité du pouvoir à un shogun, un « maire du palais » que cette seule expression rendait contemporain des âges ténébreux de l’histoire occidentale, le pays du Soleil levant ne trouvait grâce qu’aux yeux des amateurs d’exotisme et seules les périodes antérieures à celles d’Edo (1603-1868), celles de Nara, d’Heian ou de Kamakura, fortes de leur vénérable ancienneté, retenaient l’intérêt des chercheurs occidentaux, les Japonais eux-mêmes jugeant sévèrement de l’état de leur pays avant la modernisation réalisée au pas de charge à la fin du XIXe siècle. C’est tout le mérite du livre de François et Mieko Macé, respectivement professeur à l’INALCO et chercheuse au CNRS, de réhabiliter cette longue période de plus de deux siècles qui voit se mettre en place tous les éléments nécessaires à la réussite des mutations futures. Au-delà des épisodes tumultueux qui voient s’affronter, à la fin du XVIe siècle, des figures aussi étonnantes que celles d’Oda Nobunaga, Toyotomi Hideyoshi et Tokugawa Ieyasu, le lecteur découvrira une société à dominante guerrière très hiérarchisée, bénéficiant d’un puissant dynamisme démographique qui porte à une trentaine de millions d’âmes le volume de la population au début du XVIIIe siècle (à comparer aux vingt millions de sujets de Louis XIV, qui régnait pourtant sur le royaume en son temps le plus peuplé d’Europe). Le Japon est évidemment un pays où les activités dominantes demeurent l’agriculture et la pêche mais, malgré l’isolement qu’il maintient, le développement de l’artisanat et de la manufacture y apparaissent tout à fait remarquables. Edo, la ville principale (la future Tokyo) est alors l’une des cités les plus peuplées du monde. Alors que fleurit une civilisation traditionnelle raffinée mêlant les pratiques de l’horticulture, du théâtre, de la musique ou de la calligraphie, une véritable littérature japonaise prend alors son autonomie par rapport aux modèles chinois. L’importance accordée à l’éducation et le haut degré d’instruction atteint par une partie importante de la population expliquent enfin l’apparente facilité avec laquelle le Japon de l’ère Meiji sut s’adapter aux nouveautés scientifiques et techniques importées d’Occident.