Le Christ et César
Joël Schmidt
Desclée de Brouwer
Paris
2009
Historien spécialiste de l'Antiquité et du Moyen Age – auteur d'ouvrages remarqués consacrés à Lutèce et au royaume wisigoth de Toulouse, il nous a récemment donné une Histoire de l'antagonisme entre Gaulois et Romains, ainsi qu'une biographie de saint François d'Assise –, Joël Schmidt aborde ici, dans un essai brillant et suggestif appuyé sur une puissante érudition, la question des relations entre l'Empire romain et la religion nouvelle apparue en Orient au siècle des empereurs julio-claudiens. Prenant à contre-pied les tenants de l'interprétation qui entend établir le caractère inéluctable de l'incompatibilité entre religion chrétienne et idéologie impériale, il s'efforce avec succès de montrer comment, à l'inverse, la civilisation romaine a pu préparer l'avènement de la foi nouvelle. Il montre ainsi que les grands auteurs latins ont participé sans le savoir à l'annonce de la révolution spirituelle qui va progressivement s'affirmer jusqu'à la « conversion » de Constantin. ll nous invite donc à relire Sénèque, Ovide ou le Virgile de la IVe Eglogue des Bucoliques, pour nous montrer que le monde romain, confronté à l'épuisement de la religion traditionnelle, était mûr pour accepter l'idée du Salut, préparée depuis plusieurs siècles par les cultes à mystères. Il minimise également l'affrontement entre les premiers chrétiens et l'Etat impérial, mis au contraire en avant par le culte rendu ultérieurement aux martyrs. Il précise ainsi, relativisant l'ampleur des persécutions, qu'elles se sont limitées au total, dans le temps, à une dizaine d'années auxquelles il faut ajouter quelques périodes de tracasseries épisodiques, des incidents locaux, et conclut en ces termes : « Entre les quelque deux cent cinquante années où le christianisme se répandit en toute impunité et les cinquante ans où il fut, sinon toujours persécuté, du moins inquiété, le rapport passe largement du simple au quintuple. » L'auteur insiste même sur les continuités qu'il observe entre les Rome païenne et chrétienne. Selon lui, « le Christ devient le point de convergence lumineux entre la religion naturelle et la religion révélée, mais il ne put abattre les vestiges du paganisme. Le Christ naît ainsi fictivement un 25 décembre, au solstice d'hiver, au moment de la remontée lente du soleil après sa chute, au commencement de ces jours qui, peu à peu, grignotent la nuit : certains interprètes hermétiques ont même voulu voir dans les différentes étapes de la vie du Messie les divers points de la course du soleil et dans les douze apôtres la figuration des douze signes du Zodiaque. » Ressuscité au printemps, comme l'indicateur supérieur du réveil de la terre, le Christ a, lui aussi, participé à cet élan majeur de l'homme vers la lumière, qui vibre dans toutes les images solaires de religions païennes ; et la Rome antique elle-même vient légitimer le nouveau dieu, qui se voit attribuer les titres de Seigneur, Sauveur et Libérateur attribués aux empereurs, des titres utilisés par les Pères de l'Eglise pour désigner le Ressuscité. Ces quelques analyses suffisent pour rendre compte de la richesse d'un ouvrage qui vaut également par les réflexions originales que nous présente son auteur à propos de la spiritualité de saint Paul, citoyen romain, du sens qu'il convient d'attribuer au martyre ou de la controverse antichrétienne telle qu'elle fut pratiquée par Celse ou Porphyre. Au moment où l'Europe en construction ne pourra faire l'économie d'une interrogation de fond sur son identité historique, le livre de Joël Schmidt apporte de précieux éléments au débat.