Latins en Orient
Michel Balard
PUF
Paris
2006
En des temps où l’on invoque trop souvent un « choc des civilisations » jugé inévitable et à propos duquel l’épisode des croisades est régulièrement mis en avant, le livre que Michel Balard consacre aux Latins en Orient vient à point pour remettre en place un certain nombre de données trop souvent oubliées ou négligées. Organisées pour rétablir la liberté des pèlerins chrétiens de se rendre à Jérusalem, les croisades des XIe et XIIe siècles ont certes abouti à l‘installation des Etats latins de Terre Sainte mais elles n’ont entamé qu’à la marge le territoire de l’Islam. Les principautés d’Edesse, d’Antioche, de Tripoli et le royaume de Jérusalem lui-même n’occupent finalement qu’une mince frange littorale et leur manque de profondeur stratégique, tout comme leur faiblesse démographique ne pouvaient que conduire à l’échec, accompli en 1291 avec la chute de Saint Jean d’Acre, mais le contact de l’Occident latin et de l’Orient byzantin et musulman ne peut se résumer aux seules croisades perçues comme le moment conflictuel par excellence entre la Chrétienté latine et le Dar al Islam. Conduite par Frédéric II de Hohenstaufen, la VIe aboutit à la restauration par la négociation du royaume de Jérusalem alors que la IVe, détournée par les Vénitiens de sa destination originelle conduit au tragique sac de Constantinople perpétré en 1204. L’intensification des relations commerciales avec l’Orient ayyoubide puis avec l’Egypte des Mameluks ou l’Empire ottoman, l’établissement des principautés chrétiennes en Grèce sur les ruines du pouvoir byzantin, l’aventure des Lusignan, rois de Jérusalem puis de Chypre, celle des Hospitaliers chassés de Terre Sainte mais devenus les défenseurs de Rhodes jusqu’en 1522 témoignent de la persistance des relations entre l’Orient et l’Occident méditerranéens bien après que se fut terminé l’épisode des croisades, alors que Venise établissait sa thalassocratie à Candie, Famagouste ou Négrepont, quand les Gênois commerçaient à Constantinople ou à Caffa, au nord de la Mer Noire… C’est la réouverture de la Méditerranée coupée en deux par l’expansion musulmane qu’entraînent la première croisade et les succès des Normands de Sicile. Espace de conflit, la mer intérieure redevient aussi une zone d’échanges et le demeurera jusqu’à l’expansion maritime des Ottomans avec lesquels Venise tentera vainement d’établir un modus vivendi favorable à ses entreprises. Spécialiste incontesté de cette période et de ces régions, Michel Balard – qui publie également chez Picard une Méditerranée médiévale – était tout à fait désigné pour rendre compte de la réalité et de la complexité de cette époque de l’histoire méditerranéenne.