Jean Delumeau s’est imposé depuis de nombreuses années comme l’un des maîtres de l’histoire des mentalités religieuses au cours de l’époque moderne, et ses travaux – consacrés au péché et à la peur en Occident, à la naissance et l’affirmation de la Réforme, au catholicisme entre Luther et Voltaire ou à l’histoire du Paradis – font aujourd’hui autorité. Comme nombre d’historiens de sa génération, il a entamé son parcours de chercheur en se consacrant à l’histoire économique chère à l’Ecole des annales, et c’est ainsi qu’il a publié en 1957 une thèse de doctorat d’Etat qui portait sur la vie économique et sociale de Rome dans la seconde moitié du XVI
e siècle. Autant dire qu’il était le mieux placé pour nous proposer la brillante synthèse que constitue son dernier ouvrage. Appuyé sur une parfaite érudition, ce livre présente l’avantage d’être aisément accessible au grand public cultivé qu’intéressent l’histoire de la papauté et, plus largement, celle de la Ville éternelle. Le cadre chronologique qu’a retenu l’auteur va du pontificat de Nicolas V (1447-1455) à celui d’Innocent X (1644-1655). Il se confond avec les fastes de la Renaissance et avec l’apogée, au XVII
e siècle, de la capitale du monde catholique. Davantage que l’histoire religieuse, c’est le mécénat des souverains pontifes et leurs réalisations urbanistiques qui sont ici mis en valeur. Jean Delumeau entend montrer comment et pourquoi une ville qui sortait épuisée, ruinée et largement dépeuplée de l’épreuve que fut l’exil de la papauté en Avignon et du Grand Schisme d’Occident qui l’a suivi a été en mesure de manifester une vitalité renouvelée, au point de devenir, au cours de la période 1630-1650, la plus belle ville d’Occident et ce, malgré la rupture religieuse qu’avait engendrée, au siècle précédent, l’affirmation du protestantisme.
Le renouveau de Rome, ce fut d’abord l’affaire des « papes de la Renaissance », étudiés au début du siècle dernier par Ludwig von Pastor. Mécènes, diplomates, hommes de guerre, on ne distingue, jusqu’à Pie V – le pape de Lépante –, que fort peu de saints parmi ces princes fastueux qui vont d’abord se préoccuper de restaurer l’Etat pontifical mis à mal par les divisions et les troubles qui ont marqué la fin du Moyen Age. Mais leur projet va, à terme, bien au-delà du politique car « dans leur désir de s’affirmer face à Rome et au monde, ils s’attribuèrent eux-mêmes le titre antique de
pontifex maximus. Ils devaient en conséquence s’imposer par un gigantisme religieux et faire en sorte que la gloire du Vatican dépassât celle du Capitole ». Atteindre un tel objectif signifiait parcourir un chemin semé d’embûches et il fallut quelques personnalités exceptionnelles pour faire de la capitale du monde catholique la prodigieuse « ville-monde » – non pas au sens économique que Fernand Braudel attribuait à ce terme, mais au sens spirituel et culturel – qu’elle devint au milieu du XVII
e siècle, quand elle apparut, pour l’Occident catholique, comme la cité des arts par excellence, celle où devaient séjourner obligatoirement peintres et sculpteurs, la ville où allaient s’affirmer les nouvelles tendances du maniérisme et du baroque appelés à s’imposer dans toute l’Europe au cours des décennies suivantes.
L’auteur s’arrête plus longuement sur certaines figures de papes, notamment celles qu’une historiographie issue des Lumières a longtemps décriées. Comme en témoigne un récent feuilleton télévisé, Alexandre VI Borgia demeure aux premières loges de la « légende noire », pour ne rien dire de ses enfants, César et Lucrèce… Ce pontife d’origine espagnole est assimilé, non sans raison, à la corruption et au népotisme reprochés aux papes du temps. Il réussit pourtant à affirmer son autorité en montant les unes contre les autres les grandes familles romaines – les Orsini, les Colonna… – qui faisaient ordinairement les élections pontificales. Il sut également se débarrasser de Savonarole qui avait imposé à Florence une dictature théocratique finalement mal supportée dans la cité des Médicis. Il parvint enfin à « gérer », en habile diplomate, l’irruption en Italie du roi de France Charles VIII. Il fallait cependant davantage qu’un diplomate pour redonner tout son poids politique au trône de Pierre, et Giuliano della Rovere s’en chargea, au point que Ludwig von Pastor voit en Jules II « le restaurateur du pouvoir temporel des papes » et que Jean Delumeau le décrit en « chef de guerre ». N’hésitant pas à manier l’épée, il fut aussi un diplomate retors, au moment où le roi de France Louis XII et l’empereur Maximilien tentaient d’imposer leur hégémonie en Italie, alors qu’il fallait également compter avec les ambitions de Venise. Brillant mécène, Léon X, un Médicis, ne pesa guère dans l’affrontement entre François I
er et Charles Quint et il ne mesura pas du tout la portée des critiques de Luther. C’est un autre Médicis, Clément VII, qui vit sa capitale saccagée en 1527 par les lansquenets de Frundsberg, entraînés contre Rome par le connétable de Bourbon passé au service de Charles Quint. La Ville fut pillée et dévastée, mais se redressa rapidement, au point de faire, neuf ans plus tard, un accueil triomphal à Charles Quint, vainqueur de Tunis. Entre temps, Alessandro Farnèse était devenu pape sous le nom de Paul III et allait régner sur l’Eglise pendant quinze ans, au long d’un pontificat d’une importance majeure puisqu’il vit s’ouvrir en 1545 le concile de Trente qui devait préparer la mise en œuvre de la Réforme catholique. La reconnaissance par le pape, en 1540, de la Compagnie de Jésus, inconditionnellement dévouée au souverain pontife, confirmait la centralité romaine du pouvoir ecclésial.
Après Jules II et Léon X et malgré les dégâts consécutifs au sac de Rome, la capitale d’un monde catholique que les grandes découvertes ont élargi aux dimensions du globe – au moment où s’effectue l’évangélisation de l’Amérique espagnole, où Goa est un actif foyer missionnaire et où saint François-Xavier jette les fondements d’une chrétienté japonaise – ne cesse d’être embellie par le mécénat des papes et des cardinaux et par les grands travaux urbanistiques qu’ils engagent. Après que Florence s’est imposée en Italie comme une nouvelle Athènes et alors que Venise, Milan ou Naples ont chacune pris leur part au magnifique essor culturel du Quattrocento, c’est Rome qui s’impose au siècle suivant comme la capitale des arts en attirant sur les rives du Tibre tous les grands talents de l’époque, de Raphaël qui peint les Stanze vaticanes à Michel Ange qui réalise le prodigieux décor de la chapelle Sixtine, de Bramante au Bernin qui bâtissent en plus d’un siècle la basilique Saint-Pierre à Caravage, le mauvais garçon qui ouvre des perspectives nouvelles à la peinture européenne. C’est cette « seconde gloire de Rome » qui fait de l’ancienne capitale du plus grand empire de l’Antiquité la « Ville éternelle ».
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