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La Prose du Transsibérien et de la Petite Jehanne de France
La Prose du Transsibérien et de la Petite Jehanne de France
Blaise Cendrars, Sonia Delaunay
PUF
Paris
2011
Blaise Cendrars rencontre Robert et Sonia Delaunay chez Guillaume Apollinaire en 1911. Le jeune homme, né à la Chaux-de-Fond, avait adressé au poète une plaquette de son premier poème narratif, Les Pâques à New York. L'atelier des Delaunay de la rue des Grands-Augustins est alors fréquenté par l'avant-garde parisienne : Picasso, Léger, Chagall, Modigliani y côtoient Satie, Stravinsky et Honegger. Sonia Delaunay et Blaise Cendras partagent un même amour de la Russie. Née Sarah Stern près d'Odessa, Sonia passe son adolescence à Saint-Pétersbourg dans une famille cultivée et fortunée, avant de s'installer en 1905 à Paris. Cendrars découvre Saint-Pétersbourg la même année. Il y vit deux ans, employé par un ressortissant suisse fabricant d'horlogerie. Le jeune homme y apprend le russe, le métier d'horloger et ce « goût du monde entier » – titre de l'un de ses recueils – qui ne le quittera pas. De l'amitié de Sonia Delaunay et de Blaise Cendrars – alors âgés respectivement de 28 et 26 ans – naît, dès 1913, une œuvre commune, La Prose du Transsibérien et de la petite Jeanne de France. Ses 446 vers libres racontent le voyage d'un jeune narrateur de 16 ans, Blaise, accompagné de Jehanne qui se révèle, au fil du poème, être une prostituée.

« En ce temps-là j’étais en mon adolescence
J’avais à peine seize ans et je ne me souvenais déjà plus de mon enfance
J’étais à 16 000 lieues du lieu de ma naissance
J’étais à Moscou, dans la ville des mille et trois clochers et des sept gares
[…] Le Kremlin était comme un immense gâteau tartare
Croustillé d’or,
Avec les grandes amandes des cathédrales toutes blanches. »

On sait aujourd'hui que Blaise Cendrars ne prit probablement jamais le Transsibérien. A Pierre Lazareff qui l'interrogeait, il fit cette réponse restée célèbre : « Qu'est-ce que ça peut faire puisque je vous l'ai fait prendre à vous ? » Il vit seulement l'un de ses wagons au pied de la tour Eiffel en 1910 lors de l'Exposition universelle...
Le voyage de Blaise, de Moscou à Kharbine, est d'abord introspectif, onirique, tourmenté, parfois halluciné. Aux paysages de Sibérie qui défilent au rythme du roulis du train, aux gares qui s'égrènent, se mêlent et se superposent d'autres souvenirs, d'autres visions, d'autres nostalgies.

« Je suis en route
J'ai toujours été en route
Le train fait un saut périlleux et retombe sur toutes ses roues
Le train retombe sur ses roues
Le train retombe toujours sur toutes ses roues
Blaise, dis, sommes-nous bien loin de Montmartre ? »

La Prose du Transsibérien est conçue comme un dépliant haut de 2 mètres présentant en simultané les vers de Cendrars et les compositions au pochoir de Sonia Delaunay aux sept couleurs de l'arc-en-ciel. Au rythme, aux vibrations et aux sonorités des vers de Cendrars font écho les formes et les couleurs de Sonia Delaunay ajoutées à même la page. Le texte est aligné à droite, ce qui conduit le lecteur à entrer dans le poème par l'image. Une douzaine de polices de caractères différentes sont utilisées, avec des variations dans la casse et la couleur. C'est le « premier livre simultané », selon la technique expérimentée alors par les Delaunay. Comme l'écrit Apollinaire, l'œuvre doit être appréhendée « d'un seul regard […], comme un chef d'orchestre lit d'un seul coup les notes superposées dans la partition, comme on voit d'un seul coup les éléments plastiques et imprimés d'une affiche ».

Cendrars et Sonia Delaunay avaient prévu un tirage de 150 exemplaires qui, mis bout à bout, devaient avoir la hauteur de la tour Eiffel. Une fois plié en accordéon, chacun tenait dans la poche. Seuls 70 purent être assemblés par manque de souscripteurs et de moyens. Aujourd'hui, tous les plus grands musées du monde en possèdent un : la Tate Modern, le MOMA, l’Ermitage...

En novembre dernier, à l'occasion du cinquantenaire de la mort du poète, sa fille Myriam Cendrars, elle-même écrivain et journaliste, a décidé d'autoriser l'impression en fac-similé de la version originale de ce « poème tableau » par les Presses universitaires de France.
Près d'un siècle après sa création, embarquons pour un nouveau voyage dans le Transsibérien de Cendrars au rythme du « bruit éternel des roues en folie dans les ornières du ciel »...
 
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