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Indiscrétion. Femmes à la toilette
Indiscrétion. Femmes à la toilette
Pascal Bonafoux
Seuil
Paris
2012
Par la voix d'une femme unique et éternelle qui aurait posé pour tous les peintres de l'art occidental du XVIe au XXIe siècle Pascal Bonafoux nous invite à une promenade buissonnière dans l'histoire de la représentation du corps féminin surpris, comme par le trou de la serrure dont parlait Degas, au cours de sa toilette. Pourquoi faire commencer au XVIe siècle avec le célèbre tableau de Bellini cette histoire de l'"Indiscrétion" ? Parce que comme l'indique l'idée d'"indiscrétion" la toilette renvoie à l'intimité : les rituels intemporels de la féminité appartiennent à la sphère du privé et se dérobent habituellement aux regards publics. C'est cette transgression que réalise la peinture en les exposant aux yeux de tous qui intéresse Pascal Bonafoux.


Or au XVIe siècle Pascal Bonafoux montre que plusieurs changements interviennent qui vont ouvrir la voie à l'éclosion puis au développement de ce thème du nu féminin qui va devenir l'un des plus grands et des plus universels sujets de l'histoire de l'art. En effet la redécouverte des auteurs de l'Antiquité, le mécénat de papes et de cardinaux qui collectionnent les statues dénudées que l'on trouve à foison en creusant les fondations des églises et des palais du grand chantier de Rome, et surtout la liberté de mœurs qui est alors la règle, sont à l'origine d'un goût nouveau. Tout en s'habillant encore de prétextes bibliques ou mythologiques les nouvelles commandes que reçoivent alors les artistes ont pour fin réelle le dévoilement de la beauté des corps féminins. C'est donc le début d'une longue lignée de David et Bethsabée ou Suzanne et les Vieillards qui, de Rembrandt à Cézanne et Picasso, fera miroiter des chapelles aux cimaises la trouble alliance du bain et de la concupiscence. Elle se développera parallèlement aux images tirées de la mythologie grecque où dominent Vénus et Diane, la déesse de l'amour et celle de la chasteté. C'est au cours d'un bain qu'est dévoilée à Diane la grossesse de Callisto qui périra pour avoir perdu sa virginité et c'est parce qu'il a vu la nudité de Diane qu'Actéon sera dévoré par ses chiens : heureux "regardeur" qui grâce à Boucher ou Watteau peut assister impunément au bain des déesses : la peinture illustre ainsi les dangers de la vision de la nudité féminine en même temps qu'elle la sublime et la diffuse.

Mais personne n'est dupe des titres : il est clair que nous contemplons un modèle, une femme réelle qui a posé pour le peintre, celle même qui nous raconte ses expériences à travers les siècles, et non une abstraction religieuse ou antiquisante. En effet l'auteur cite la lettre désormais célèbre de Giovanni della Casa au cardinal Alexandre Farnese, datée de 1524 : "Titien a presque terminé, sur commande de Monseigneur, un nu qui risquerait d'éveiller le démon même chez le cardinal Silvestro . Le nu que Monseigneur a vu à Pesaro dans les appartements du duc d'Urbino est une religieuse à côté d'elle". Le désir du tableau se confond alors avec le désir suscité par l'objet représenté.

Bellini fut le premier à ne pas se cacher derrière l'imaginaire antique ou biblique en peignant, en 1515, sa Femme à sa toilette : premier exemple d'un sujet qui, au lieu de dissimuler l'attraction essentielle pour le corps lui-même va la glorifier tout au long de l'histoire de la peinture en explorant tous les aspects des soins du corps et de leurs multiples facettes. De la nudité intégrale à la parure, l'auteur montre à travers une série de tableaux qui s'entrecroisent à toutes les époques, comment les artistes évoquent la façon dont la femme au cours de sa toilette se retire dans l'intimité pour mieux se préparer à la "parade" destinée à capter le regard amoureux.

"Se défaire d'un dernier bas. Etre nue. S'abandonner à l'eau. Sécher son corps. Démêler, brosser, peigner ses cheveux. Affronter son miroir. Se maquiller, se poudrer. S'habiller. Se parer".
Le sommaire de l'ouvrage, qui sonne comme un petit poème en prose, trace le chemin que Pascal Bonafoux vous invite à suivre pour partager sa réflexion. A travers les rites éternels de la féminité et leur évolution, du savon d'Alep à la cosmétique actuelle, il pose la question de l'objet et de la fonction de la peinture dans ses rapports étroits avec le désir mais aussi avec le métier de peintre. Quel autre thème peut offrir à la fois aux artistes autant de défis sur la représentation de l'eau, sur le traitement du blanc des linges et des carnations, autant de natures mortes autour des bijoux, des flacons et des tissus, et autant d'inventions subtiles de composition grâce aux miroirs, aux gestes spontanés de la toilette et à la souplesse infinie des cheveux qui, outre leur charge érotique, sont bien pratiques pour structurer un tableau sur une "diagonale rousse"…


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Pascal Bonafoux
Ecrivain et critique d'art. Professeur émérite des universités Lire l'article
 
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