Inde, Chine à l'assaut du monde.
Faut-il en avoir en peur ?
Sous la direction de Pascal Gauchon
PUF
Paris
2006
L’auteur, qui enseigne l’économie dans les classes préparatoires et dirige, aux Presses Universitaires de France, la prestigieuse collection « Major », a réuni autour de lui une douzaine d’enseignants spécialistes parmi lesquels Cédric Tellene, Patrice Touchard, Sophie Moreau et Frédéric Munier, pour apporter des réponses à la fois documentées et nuancées aux interrogations que suscite la montée en puissance des géants asiatiques indien et chinois. Près de deux milliards et demi d’hommes à eux deux, une croissance continue qui fera bientôt de ces deux colosses démographiques des puissances de premier ordre dans la compétition économique, commerciale et technologique, des ambitions géopolitiques de plus en plus affirmées suffisent à faire renaître chez certains la crainte d’un « péril jaune » d’un nouveau type, générateur de délocalisations d’entreprises, de concurrence commerciale acharnée et de compétition sauvage en vue de la baisse du coût du travail. À l’inverse, les tenants d’une mondialisation heureuse voient dans l’émergence de l’Asie la garantie de sa stabilisation politique et l’avènement de partenariats nouveaux qui seront profitables à tous. Entre ces deux visions contradictoires et naturellement réductrices, les auteurs s’en remettent à la bonne vieille méthode braudélienne pour inscrire les questionnements en cours dans l’espace géographique et dans la longue histoire. Comme l’expliquent respectivement François Godement et Christophe Jaffrelot, « il n’y a pas de miracle » et c’est la vision compassionnelle, qui prévalait encore il y a un quart de siècle, d’une Inde et d’une Chine vouées à une éternelle pauvreté qui a en réalité révélé ses limites. Les contraintes imposées par la nature (les dimensions relativement réduites de l’espace agricole chinois, la gestion des ressources hydrauliques en Inde) sont en passe d’être surmontées, de même que la longue éclipse historique qui a correspondu à l’hégémonie globale de l’Europe et de l’Occident. Une séquence historique qu’il est impossible d’ignorer si l’on veut comprendre certaines des postures adoptées aujourd’hui à Pékin ou à New Delhi. Le texte de Patrice Touchard mettant en lumière les étapes du « retour vers la puissance » des deux grands de l’Asie aura sans doute valeur de référence au cours des années à venir. De même que les analyses confrontant à la mondialisation les affirmations identitaires des deux pays. Les deux dernières grandes subdivisions de l’ouvrage, intitulées respectivement « L’économie comme revanche » et « Le fardeau du nombre » sont plus descriptives mais la présentation originale de certains secteurs d’activité n’en demeure pas moins éclairante. Dans la conclusion limpide et mesurée qu’il nous propose, Pascal Gauchon apporte des réponses inattendues, en démontrant que « l’économie mondiale est une opération à somme non nulle » et que c’est une intensification de la croissance qui peut tirer vers le haut les deux pays concernés et profiter à l’ensemble de la communauté internationale. Il insiste aussi sur le rôle unificateur et positif du nationalisme, face à la montée des forces centrifuges et des inégalités sociales et régionales, un nationalisme qui, paradoxalement, ne peut être tenu comme incompatible avec une mondialisation réussie… Un livre riche et stimulant que doit lire tout esprit éclairé curieux de l’avenir prochain de la planète.