C’est dans la longue durée d’une histoire vieille de vingt-cinq siècles que Jean-Paul Roux, spécialiste incontesté du Proche-Orient et de l’Asie centrale, nous incite à découvrir une réalité iranienne qui a fortement déterminé le passé oriental. Héritiers des peuples indo-européens qui vinrent occuper le plateau iranien au cours du IIe millénaire avant J.-C., Mèdes et Perses constituent le creuset initial d’où surgira l’impressionnante construction que fut l’empire achéménide. Maîtres de l’Orient depuis l’Indus jusqu’au Nil et du Caucase aux déserts arabiques, les « rois des rois » qui recevaient à Persépolis l’hommage des peuples soumis parvinrent à imposer une hégémonie de près de quatre siècles avant qu’Alexandre ne vienne mettre un terme à cette première tentative d’empire universel. L’échec de l’oikoumène gréco-oriental conduira à la renaissance, sous les Arsacides et les Sassanides, d’une Perse puissante et expansionniste qui s’opposera victorieusement à Rome puis à Byzance avant de tomber sous les coups des conquérants arabes. L’éclipse est de courte durée. La Perse apprivoise vite ceux qui l’ont subjuguée et, en un siècle, le déplacement à Bagdad du centre de gravité du nouvel espace musulman lui assure de nouveau une position dominante, avant que les envahisseurs turcs, puis mongols n’entraînent un nouveau déclin. La résurrection intervient au XVIe siècle quand s’impose la dynastie safavide qui fait d’Ispahan l’une des plus brillantes capitales du monde d’alors. La décadence contemporaine de l’empire qadjar et la domination anglo-russe qui s’affirme à l’époque coloniale ne signifient pas la disparition du moteur de puissance persan qui, ressources pétrolières et gazières aidant, joue de nouveau, tel un phénix en perpétuelle renaissance, un rôle régional de premier plan sous les Pahlavi. Depuis un quart de siècle, la république islamique, qui correspond certes à un revival religieux, est aussi porteuse des aspirations à la puissance d’un État tirant sa légitimité d’une histoire multiséculaire ; celui-ci affirme aujourd’hui des ambitions correspondant à la position centrale qu’il occupe dans l’une des régions du monde où se joueront peut-être les « années décisives » du XXIe siècle.