Placée au cœur du bassin méditerranéen, au carrefour des grands espaces civilisationnels qui s’y sont succédé, la Sicile y a affirmé une personnalité et une identité nées de la synthèse conflictuelle de multiples apports. Peuplée dès la protohistoire par les Sicanes, les Sicules et les Elymes, peuples enfouis dans les profondeurs du passé, elle a abrité l’antre du Cyclope, les redoutables Lestrygons, les prairies d’Enna où Pluton enleva Perséphone, et c’est sur ses côtes qu’Ulysse affronta Charybde et Scylla. Elle entre dans l’histoire avec la colonisation grecque, mais l’hellénisme s’y heurte à la puissance punique maîtresse de l’Ouest de l’île, avant de triompher complètement quand prospèrent Syracuse, Agrigente ou Sélinonte et quand Empédocle, Théocrite ou Archimède illustrent ces brillantes cités. Enjeu de la lutte à mort engagée entre Carthage et Rome, elle devient le grenier à blé de la cité du Tibre et profite pleinement des siècles de la pax romana avant de tomber successivement sous la coupe des Byzantins, des Arabes et des Normands. C’est à Palerme que Frédéric II de Hohenstaufen établit de fait la capitale d’un empire dont il rêve qu’il pourra réunir Orient et Occident, au moment où s’élèvent les joyaux romans de Cefalu et de Monreale. Passée aux Angevins, puis aux Aragonais avant d’appartenir à l’empire des Habsbourg d’Espagne, elle est intégrée, sous les Bourbon, au royaume napolitain et sert de base de repli à ses souverains durant la tourmente révolutionnaire et impériale. Insurgée en 1848, elle se révolte de nouveau en 1860 quand débarquent les chemises rouges de Garibaldi et quand se termine le temps du Guépard superbement évoqué par Giuseppe di Lampedusa. Mais son rattachement à la jeune Italie ne va pas sans déceptions et sans tensions. Elle se retrouve rapidement réduite à un Mezzogiorno sous-développé porteur de tous les archaïsmes et terre d’élection d’un système clanique et mafieux qui relève autant de la persistance d’une anthropologie méditerranéenne traditionnelle que de la simple délinquance. Spécialiste de l’Italie contemporaine, Jean-Yves Frétigné nous propose une fresque très complète et très actuelle de l’Histoire insulaire, que les lecteurs désireux de visiter la Sicile pourront compléter en se référant à La Sicile de Mathilde Tingaud, publiée l’an passé dans la collection Culture-Guides coéditée par Clio et les Presses universitaires de France.