Montagne-refuge qui – si l'on excepte les quelques années de domination italienne – sut préserver farouchement son indépendance, l'Ethiopie demeure un monde tout à fait original où survivent de puissantes traditions religieuses, et c'est ce trait particulier qu'Elizabeth Foch et Paola Viesi ont su présenter par le texte et l'image, à travers les deux pèlerinages de Lalibela et de Cheikh Hussein.
Deux lieux sacrés, l'un chrétien identifié par le nom du plus grand souverain de la dynastie Zagwé qui succéda, durant notre Moyen Age, à la lignée salomonienne originelle, l'autre musulman qui porte le nom d'un sage soufi dont la vie et les miracles résument aujourd'hui dans une large mesure l'islam éthiopien.
« Pays des origines, pays d'autrefois d'où le temps s'est absenté et où l'étendue seule est donnée », les hautes terres, qui fascinèrent tant Arthur Rimbaud, offrent aux hommes une nature propice aux expériences spirituelles. Montagnes, ravins vertigineux et hauts plateaux (ambas) composent en effet un cadre splendide et tourmenté qui accentue la dimension « originelle » de ce pays inscrit dans une très longue histoire puisque ses mythes fondateurs renvoient à l'union du roi Salomon et de la reine de Saba...
C'est dans le nord du pays, à 2 770 mètres d'altitude, que le roi Lalibela fit construire au XII
e siècle, onze églises creusées à même le roc, sur les contreforts de l'Abouna Yosef. C'est à Dirre, sur le plateau Somali, au sud de Harar, dans le « vaste lieu » encadré par les montagnes d'Abul Qasim et de Dedela qu'a été édifié le mausolée de Cheikh Hussein. Deux étonnants lieux de pèlerinage, qui voient affluer vers eux des milliers de fidèles. Les 6 et 7 janvier, jour de la Nativité selon le calendrier julien, les chrétiens monophysites éthiopiens viennent à Lalibela, la « Jérusalem africaine » où le Christ serait apparu dans l'église de Beta Maryam, pour y fêter Ledet, c'est-à-dire Noël. C'est en revanche le calendrier lunaire qui commande les rassemblements de pèlerins effectués à Dirre, devenu Cheikh Hussein, du nom du sage soufi qui y est honoré.
Les deux hauts lieux concentrant les énergies spirituelles liées au phénomène pèlerin proposent des parcours initiatiques analogues. C'est à l'issue d'une reptation dans une grotte que les musulmans accèdent, à Cheikh Hussein, à un « autre état de l'Etre », fonction assurée par le cheminement dans les tranchées reliant entre eux les sanctuaires de Lalibela et canalisant ainsi la foule des croyants.
Le lac proche du mausolée de Cheikh Hussein renvoie à la rivière de Lalibela, désignée sous le nom de Jourdain, et au bassin entourant Beta Maryam où s'exercent les pouvoirs purificateurs de l'eau. Un paysage religieux héritier d'une histoire longtemps conflictuelle mais aujourd'hui apaisée.
Deux Syriens accueillis à la cour du royaume d'Axoum, Frumentios et Aidesios, furent les fondateurs du christianisme éthiopien, attaché à l'origine au patriarcat d'Alexandrie. Porté initialement par la dynastie salomonide, il s'affirme au XII
e siècle avec celle des Zagwé, maîtresse d'une Ethiopie monophysite désormais isolée dans un environnement musulman hostile. C'est à ce moment que règne Lalibela, le souverain « dont les abeilles ont reconnu l'autorité » quand, rassemblées en essaim autour de l'enfant, elles ne lui ont infligé aucune piqûre. L'Ethiopie chrétienne tient alors en respect tous ses adversaires, jusqu’à ce que Ahmad ibn Ibrahim al Ghazi – plus connu sous le nom de « Gragne » ou de « Gaucher » – ne lance contre elle un djihad impitoyable, en des temps désormais bien éloignés de ceux qui avaient vu le Négus accueillir favorablement, à l'époque du Prophète Mahonet, des réfugiés musulmans venus de La Mecque.
L'arrivée des Portugais, partis à la recherche du royaume mythique du Prêtre Jean, inversera pourtant le rapport des forces et entraînera le repli des musulmans sur Harar, que visiteront au XIX
e siècle Richard Burton et Arthur Rimbaud. C'est à la suite de ce reflux que l'islam éthiopien s'orientera vers le soufisme, en honorant notamment Cheikh Hussein, « la Lumière de l'Abyssinie », venu au XIII
e siècle gagner à l'islam le peuple Oromo, après avoir remonté les gorges du Wadi Shebele dans les eaux duquel les pèlerins d'aujourd'hui pratiquent, avant d'atteindre le mausolée du saint, les indispensables ablutions rituelles.
Mais la sensibilité religieuse des Ethiopiens ne se réduit pas à la foi et aux pratiques des deux grands monothéismes chrétien et musulman. Ce sont des miracles – l'arrivée de la pluie ou la guérison des maladies – que les fidèles attendent à Cheikh Hussein. Guérisseurs et magiciens contribuent aussi au soin des âmes et, à Lalibela, les bâtons de prière ou les ombrelles symbolisant les sphères célestes rendent compte d'un système de croyances complexe, dans lequel la spiritualité la plus archaïque trouve sa place aux côtés des enseignements chrétiens.
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