Normalien et helléniste séduit un temps, comme bon nombre d’esprits de sa génération par les sirènes maoïstes, François Jullien a rapidement oublié les tentations soixante-huitardes pour s’imposer comme un sinologue hors norme, contesté par certains des membres de la corporation qui lui reprochent à tort de s’attacher à une Chine immobile, repliée sur une identité exclusive et rétive à la nouvelle religion des droits de l’Homme que tente d’imposer l’Occident. Il répond à ses détracteurs en mettant en lumière l’altérité de la pensée chinoise confrontée à l’héritage grec et chrétien. Quand la transcendance, le sens, la vérité et la finalité sont les maîtres mots de la tradition occidentale, la pensée chinoise, formée à l’école du confucianisme et du taoïsme privilégie l’harmonie et l’immanence et perçoit l’Etre cher à nos métaphysiciens comme un processus sans commencement ni fin. A l’analyse du monde et à la recherche de la Vérité, qui constituent le terme de la démarche philosophique occidentale, la civilisation de l’Empire du Milieu a préféré la fusion avec une nature animée par des polarités exprimées dans des principes tels que le yin et le yang. L’auteur établit cependant des relations avec Héraclite, les stoïciens ou certains poètes européens, tout en mettant en lumière ce qui, de Platon à Hegel diffère radicalement de l’attitude propre au monde de l’Extrême Orient. La Chine apparaît ainsi comme un môle de résistance aux prétentions universalistes d’un Occident convaincu de la prééminence de ses valeurs et demeuré attaché au mythe d’une fin de l’histoire. Etablir ce qui sépare ces deux mondes ne signifie évidemment pas que la Chine est fatalement vouée à ignorer pour toujours certaines des valeurs fondatrices de l’Occident mais permet, en nous confrontant à l’autre, de mieux nous connaître nous-mêmes et de jeter un regard critique sur ce qu’a été la construction de notre propre identité.