Botticelli et Savonarole : L'humanisme à l'épreuve du feu
Michel Feuillet
Cerf
Paris
2010
Professeur à l'Université Lyon III et spécialiste de l'Italie du Moyen Age et de la Renaissance, Michel Feuillet nous donne, avec l'étude qu'il consacre à Savonarole et Botticelli, un ouvrage exemplaire qui – combinant les acquis de l'Histoire, de l'Histoire de l'Art, de la philosophie et de l'Histoire religieuse – ouvre de passionnantes perspectives sur la fin du Quattrocento, à l'issue d'un siècle durant lequel Florence a su s'imposer, sous l'impulsion des Médicis et grâce à une pléiade d'artistes d'exception, comme une « nouvelle Athènes ». Quand, le 7 février 1497, frère Jérôme Savonarole – dont les prêches enflammés appellent à une réforme complète de la cité, des cœurs et des âmes – fait dresser sur la place de la Seigneurie un bûcher dans lequel il attend que les Florentins viennent brûler les « vanités » qui les éloignent de Dieu, quelles ont été les réactions de Sandro Botticelli, le peintre du Printemps et de La Naissance de Vénus, dont l'art se trouvait ainsi violemment mis en cause ? C'est, en effet, aux œuvres d'art « païennes » que s'en prend le fougueux dominicain qui, entré en conflit avec la Papauté, sera finalement exécuté, pendu, puis brûlé, le 23 mai 1498, là même où il avait appelé ses compatriotes à jeter au feu bijoux, parures, tableaux ou livres impies. L'auteur procède à une enquête approfondie – qui dépasse largement les épisodes dramatiques qu'a connus en ces temps troublés la riche cité des rives de l'Arno – pour tisser la toile de fond d'une histoire des mentalités et des représentations particulièrement éclairante quant au trouble qu'ont engendré dans l'Europe médiévale, les premiers souffles de la Renaissance. Les investigations méthodiques conduites dans les sources tout au long de l'ouvrage sont heureusement confrontées avec une iconographie aussi précise que complète, qui permet au lecteur de « coller » à l'argumentaire développé dans le texte. Tout commence en février 1497, avec le bûcher des vanités, « carnaval savonarolien qui a conservé les grands traits des festivités traditionnelles mais les a soumis implacablement à une toute autre logique, celle de la piété et de la sainteté ». Vasari et Guichardin nous renseignent à propos des œuvres ainsi vouées à la destruction pour conjurer la « colère de Dieu ». L'auteur nous raconte ensuite l'histoire du moine ferrarrais et celle du jeune Botticelli dont la peinture témoigne initialement de l'inspiration religieuse qui anime vers 1475 son Adoration des Mages. Le Printemps, les fresques de la villa Memmi, la Pallas et le Centaure et La Naissance de Vénus témoignent, au cours des années suivantes, d'une sensibilité résolument païenne alors que, dans le même temps, Savonarole commençait ses prêches enflammés. Le peintre demeure fidèle aux Médicis qui l'ont protégé et qui lui ont passé des commandes, mais Michel Feuillet nous montre, en analysant ses derniers tableaux, combien l'exécution du prédicateur dominicain a suscité chez lui un retournement spirituel qui l'a conduit à orienter son œuvre dans le sens de la réforme morale et religieuse voulue par Savonarole. Tout en réalisant, avec La Calomnie, conservée aux Offices, une ultime profession de foi dans les valeurs de la Renaissance.