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Aristote au mont Saint-Michel. Les racines grecques de l'Europe chrétienne
Aristote au mont Saint-Michel. Les racines grecques de l'Europe chrétienne
Sylvain Gouguenheim
Seuil

2008
Professeur d’Histoire médiévale à l’Ecole Normale Supérieure de Lyon, spécialiste des Croisades - sujet à propos duquel il vient de publier une remarquable synthèse consacrée aux Chevaliers Teutoniques (Tallandier), Sylvain Gouguenheim nous propose, avec son Aristote au Mont Saint Michel, un ouvrage majeur, qui fera certainement date en matière d’Histoire médiévale. Contre le discours, aujourd’hui dominant, qui attribue au monde arabo-musulman une place essentielle dans la transmission des savoirs antiques et, plus particulièrement, de l’héritage grec à un Occident plongé dans les ténèbres du Haut Moyen Age, il affirme la permanence de la culture antique dans l’Europe latine et nous révèle que la quasi totalité de l’oeuvre d’Aristote était déjà traduite depuis plus d’un demi-siècle quand les premières écoles mises en place par les rois de Castille ont commencé à fonctionner à Tolède pour traduire en latin les textes grecs transmis grâce à la médiation de l’Andalousie musulmane. Le poids des idées reçues est tel en la matière que le propos pourrait être interprété comme une provocation mais l’auteur fonde ses affirmations sur une enquête d’une érudition foisonnante qui témoigne de sa parfaite connaissance, outre celle de l’Occident latin, des mondes byzantin et arabe. Comme on le sait, les siècles réputés obscurs du Moyen Age européen furent en réalité animés par de multiples renaissances intellectuelles, mises en lumière par les historiens depuis près d’un siècle : renaissance carolingienne puis ottonienne, « grandeurs de l’an mil », renaissance du XIIème siècle enfin. Elles témoignent d’une inlassable curiosité intellectuelle, d’une quête ininterrompue du savoir dont on doit créditer les chrétiens médiévaux. Cette quête aboutira à une récupération des oeuvres antiques, à leur introduction dans la pensée médiévale et à leur assimilation, l’ensemble contribuant à l’éclosion d’un savoir nouveau.
Loin de minorer les somptueuses réalisations d’une culture arabo-musulmane qui, de la Badgdad des Abbassides à l‘Andalousie des Ommeyades ou des Nasrides, nous a laissé le brillant héritage que l’on sait, l’auteur démontre l’altérité de cette culture orientale et méditerranéene par rapport au monde de Byzance et de l’Europe occidentale. Il ré-évalue la fonction de transmission trop souvent négligée qui revient à Byzance, où l’héritage grec demeura vivant pendant tout le millénaire que dura l’Empire d’Orient. Il insiste sur la place qu’il faut accorder aux Chrétiens de Syrie dans la préservation du savoir antique au sein du monde musulman, établissant ainsi, au coeur du monde arabe, une distinction importante entre les Chrétiens, héritiers de la tradition antique, et les disciples du Prophète qui, attachés à la lettre du Coran, n’accordèrent qu’une place minime aux questions soulevées par la philosophie grecque, les plus grands noms de la pensée musulmane ignorant même la langue de Platon et d’Aristote et n’ayant connaissance de leurs textes qu’à travers leurs traductions en arabe. L’une des révélations les plus remarquables auxquelles aboutit cette enquête réside dans la mise en lumière de l’oeuvre de Jacques de Venise, un moine d’origine grecque qui fut traducteur au Mont Saint Michel de 1127 jusqu’à 1150, date de sa mort, dont l’auteur nous dit « qu’il mériterait de figurer en lettres capitales dans les manuels d’Histoire culturelle ». C’est, pour une bonne part, le travail qu’il accomplit qui permit la floraison, au siècle suivant de la grande philosophie scolastique et la construction de la synthèse thomiste appelée à réconcilier la raison et la foi. Au risque de déranger les certitudes apparemment établies, Sylvain Gouguenheim pointe le caractère limité de l’hellénisation d’un monde musulman rétif à tout ce qui pourrait être susceptible de remettre en cause le dogme, une préoccupation partagée par les plus grands esprits, ainsi al Ghazali ou ibn Khaldoun. Un monde musulman qui se ferme dès le XIIème siècle, notamment en Andalousie, à toute remise en cause de la tradition établie, ce qui entraînera les ennuis que l’on sait pour le Musulman Averroès (Ibn Rochd) et le Juif Maïmonide. Il serait évidement aussi faux que réducteur d’interpréter ce travail novateur comme un argument susceptible de conforter l‘hypothèse d’un choc inéluctable des civilisations : la reconnaissance de l’altérité n’implique pas automatiquement la culture de l’antagonisme.
 
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