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Aimer dans l'Espagne médiévale : plaisirs licites et illicites
Aimer dans l'Espagne médiévale : plaisirs licites et illicites
Adeline Rucquoi
Les Belles Lettres
Paris
2008
Spécialiste de l’Espagne médiévale et du chemin de Saint Jacques de Compostelle où elle accompagne régulièrement les voyageurs de Clio, Adeline Rucquoi - directrice de recherches au CNRS où elle dirige un séminaire consacré à l’Histoire culturelle de la péninsule ibérique – nous a déjà donné plusieurs ouvrages majeurs, parmi lesquels sa thèse sur la Valladolid médiévale, une Histoire médiévale de la péninsule ibérique publiée au Seuil et une présentation thématique de L’Espagne médiévale parue en 2002 aux Editions des Belles Lettres.
La matière abordée par son dernier ouvrage peut apparaître plus « légère » puisqu’il s’agit de rendre compte des relations amoureuses au cours de ce Moyen Age espagnol qu’elle connaît si bien. A la fois didactique et vivant, le livre se révèle, à la lecture, aussi passionnant qu’un roman mais s’appuie sur une érudition sans faille, qui témoigne d’une maîtrise complète des sources chrétiennes, juives et musulmanes, puisque c’est de l’Espagne des trois religions dont il s’agit ici. Des relations amoureuses que l’auteur nous présente au prisme de ce qui est autorisé ou interdit, en montrant à quel point la réalité n’a souvent guère à voir avec les exigences de la loi ou les contraintes nées de l’encadrement social ou religieux. L’adultère ou la prostitution sont ainsi couramment pratiqués, quelles que soient les condamnations dont ils font l’objet, les nonnes de Zamora entretiennent en secret des relations bien coupables avec les frères du couvent voisin, le concubinage des clercs est monnaie courante jusqu’au XVème siècle et les relations entre musulmans et chrétiennes ou entre chrétiens et juives font partie du paysage amoureux en un temps où les royaumes de la Reconquête mènent une lutte sans merci contre l’occupant musulman installé huit siècles durant en Al Andalus… Pour les Espagnols du temps, le péché de chair n’est qu’un pecadillo ou « petit péché », une « peccadille » qui n’offense guère Dieu, et leur pays est, à la fin du Moyen Age un objet de scandale pour beaucoup d’Européens, qui en font un peu vite un lieu de débauche et de turpitudes, ce dont témoigne l’étonnement d’Antoine de Lalaing quant, accompagnant Philippe le Beau à Valence en 1501, il découvre dans la grande cité levantine « un quartier de femmes publiques aussi grand qu’un village.. »
Selon l’auteur, de nombreux facteurs peuvent expliquer l’importance ainsi accordée à l’amour et à la sexualité dans l’Espagne médiévale. La culture raffinée et la douceur de vivre du Califat de Cordoue et des royaumes de taifas qui lui succédèrent trouva ensuite un écho à la cour chrétienne de Castille, où l’on fut également convaincu, même si le code des Siete Partidas d’Alphonse X prétendit règlementer et contrôler les relations amoureuses, qu’il convenait de profiter des bonheurs d’ici bas, considérés comme un don de Dieu. De manière plus confuse et plus inconsciente, le sous-peuplement de la péninsule contribua sans doute à l’épanouissement de la sensualité et à la construction d’une image positive de la sexualité, en un temps où toute naissance était bonne à prendre et où son caractère légitime ou illégitime s’estompait rapidement. Adeline Rucquoi met également en lumière comment les victoires obtenues lors des combats de la Reconquista et la prodigieuse aventure américaine qui suivit ont convaincu les Espagnols qu’ils bénéficiaient d’une véritable élection divine, au regard de laquelle leurs aventures amoureuses, fussent-elles illicites, ne comptaient guère dans la réalisation de leur salut. Quand vint le temps de la Contre-Réforme militante, inquisiteurs et prédicateurs post-tridentins entreprirent d’imposer le respect des préceptes de l’Eglise, un processus achevé avec la fin des Habsbourgs et leur remplacement par les Bourbons… comme si le nouvel « ordre moral » allait de pair avec le déclin de la grande puissance du « Siècle d’Or ». L’Espagne n’en a pas moins donné au patrimoine de la littérature universelle, le Don Quichotte de Cervantès, le Don Juan de Tirso de Molina et la Celestina de Fernando de Rojas, types emblématiques du rêveur amoureux, du séducteur cynique et de l’entremetteuse qui, faute de pouvoir encore séduire, s’emploie à favoriser les amours des autres.
 
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