La Colombie
Au cœur de l'Amérique hispanique
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C’est dans la cordillère des Andes, aux confins de la jungle amazonienne, à égale distance des Caraïbes et de l’océan Pacifique, qu'est né le mythe de l’Eldorado. Des groupes de conquistadores sillonnent l’enfer vert sans jamais le trouver, mais ils s'imposent aux populations indigènes et établissent, au nom de l'Espagne, un ordre nouveau appelé à durer pendant trois siècles. La fureur de la conquête apaisée, la Nouvelle Grenade accouche d’une société originale qui voit coexister Amérindiens et Espagnols, mais, au début du XIXe siècle, Simon Bolivar lève l’étendard de la révolte contre la métropole. Une fois les derniers liens avec Madrid rompus, tout reste à faire. Le jeune Etat colombien est bientôt pris en otage entre factions libérales et factions conservatrices, antagonismes qui dégénèrent en guerre civile. Aujourd’hui, la Colombie cherche ses marques. Guérilla et trafic de drogue sont les deux fléaux les plus connus. Pourtant, la Colombie jouit d’un niveau de développement supérieur à ceux du Brésil et du Pérou, et son agriculture compte parmi les plus florissantes du continent. Avec une superficie équivalente à deux fois la France, 1 141 748 kilomètres carrés, la Colombie est, à l’échelle du Nouveau Monde, un Etat de dimension modeste. Avec 30 habitants au kilomètre carré, la densité de la population est faible. A l’extrémité nord-ouest de l’Amérique du Sud, la Colombie s’ouvre à la fois sur l’océan Atlantique (mer des Caraïbes) et sur le Pacifique. Deux grands ensembles partagent l’espace colombien : à l’ouest la cordillère des Andes qui abrite l’écrasante majorité de la population ; à l’est, les bassins de l’Orénoque et de l’Amazonie dont le climat insalubre empêche toute installation humaine. En réalité, la « Colombie utile » se limite au premier ensemble. A l’image d’une main humaine, les chaînes de montagnes dessinent des doigts qui semblent agripper de leurs ongles les bordures des océans. Les trois cordillères et les deux vallées qui en constituent l’ossature y ont déterminé les implantations humaines. Au cœur de cette main, la capitale Bogota culmine à 2 600 mètres d’altitude. A cause de la guerre civile et de l’exode rural, la population a explosé et frôle les 6 millions d’habitants. Sa grande rivale, Medellin la besogneuse, se targue de produire la moitié de la richesse du pays. Sur les pentes triomphes la culture du café. A la fois bénédiction et malédiction, son exploitation fait vivre de manière directe ou indirecte 30 millions de Colombiens. Mais il est tributaire du climat et des cours mondiaux. Un incident climatique ou l’irruption de nouveaux concurrents font que les prix peuvent brutalement s’effondrer. A cela s’ajoute la déforestation qui, une conséquence de la monoculture intensive, bouleverse tout l’écosystème. La couche superficielle et utile du sol disparaît, alors que le nombre des bouches à nourrir s’accroît, au point qu'il faut maintenant importer à grands frais des produits alimentaires d’Amérique du Nord. A ceux qui suggèrent d’essayer d’autres cultures, le paysan, accroché à son caféier, rétorque « qu’il vaut mieux tenir un oiseau qu’en voir cent qui volent ». Puis la cordillère s’affaisse et se dilue dans une vaste étendue herbeuse, la Cordoba, où ruminent d’immenses troupeaux qui forment le meilleur cheptel du pays. Plus loin, vers la mer, se découpe la plaine du rio Magdalena. Les champs de coton y agitent leurs tiges blanches et la canne à sucre découpe le paysage de ses rangées géométriques. Gigantesque et plurielle, la Colombie offre un visage sans cesse renouvelé. L’homme y demeure prisonnier d’une sensation d’angoisse et d’anéantissement qu'inspire l’immensité du cadre naturel. Colossal rideau de roches, forêt sans fin, fleuve bouillonnant, mer jusqu’à l’infini. C’est encore pire, écrit Jacques Aprile-Gniset, « quand les éléments naturels, minéraux, liquides ou végétaux se déchaînent autour de l’homme. Un déluge d’eau tombe brusquement du ciel déchiré, submerge tout, une fumée noire sort d’un pic qui bientôt crache la pierre et le feu… L’homme andin n’est pas proportionné à sa géographie. Il subit sa nature comme une malédiction qui le domine et dont il se sent le jouet vulnérable. Ecrasé par son paysage aux horizons clos, il se sent enfermé, isolé du monde. Il n’admire jamais sa terre, la craint toujours. » Désabusé, le poète Guillermo Valencia, murmure un jour à la vue des statues équestres des premiers conquistadores qui peuplent les bourgades de son pays : « Nous descendons d’un assassin espagnol et d’une prostituée indienne ». Si l’on se fie aux statistiques plutôt qu'à ce propos un peu trop réducteur, la population colombienne se répartit entre 2,2% d’Indiens, 6% de Noirs, 47,8% de métis, 24% de mulâtres et 20% de Blancs. Ces chiffres sont à prendre avec prudence dans la mesure où chacun se classe en fonction de son désir d’appartenir à tel ou tel groupe. La clarté de la peau dessine une véritable hiérarchie sociale. Loin d’être un objet de fierté, une ascendance indienne trop prononcée peut-être considérée comme un handicap. A l’occasion d’une visite officielle en 1964, le général de Gaulle commit sans s'en rendre compte une maladresse. Visiblement peu informé des subtilités sociologiques du pays d’accueil, il s’écria : « Enfin me voici parmi le grand peuple indien de la cordillère des Andes ! ». A son corps défendant, le chef d’Etat français venait d’insulter deux Colombiens sur trois. Ainsi remarque sarcastiquement Jacques Aprile-Gniset « L’indien est celui que vous jugez plus indien que vous, celui qui vous rassure. J’ai souvent vu des montagnes de talc dans les Prisunic, et aussi des faces livides et enfarinées dans les rues… je n’avais pas l’idée de relier ces deux constatations. Des amis colombiens, un peu gênés, me confirment que nombre d’entre eux tentent par le talc d’effacer "la honte". Néanmoins, celui-là, rencontrant un ami au coin de la 19, plus blanc que lui, se venge en montrant qu’il n’est pas dupe. Avec un grand sourire hypocrite, il lui lance en lui malaxant le dos: ‘Holà ! comment ça va, Chino ! ». Les descendants d’esclaves noirs appartiennent à une autre catégorie de la population. Les Indiens ne supportent pas le travail forcé aux champs ou dans les mines. Dès le début du XVI siècle, les premières cargaisons humaines en provenance d’Afrique débarquent à Carthagène. Au fil des siècles, de petites colonies d’esclaves en fuite se constituent dans les profondeurs de la jungle, les palenques. Ces trois influences indienne, africaine ou espagnole se coulent dans un même moule. Le Colombien est un criollo, un métis. Pendant longtemps, en Colombie, la ville n’existait pas. Il n’y avait que quelques centres urbains tracés au cordeau par les premiers conquérants perdus dans l'immensité verte. Aujourd’hui, trois Colombiens sur quatre sont des citadins. Les villes explosent. Au sujet de Bogota, un diction populaire affirme que c’est « une ville qui progresse au détriment du reste du pays ».Fuyant les affres de la guerre civile, attirés par la lumière de la ville, des millions de paysans s’entassent dans des bidonvilles. Les infrastructures (eau, électricité) ne suivent pas et l’improvisation est la règle. Les nouveaux arrivants n’ont rien oublié de leurs origines modestes et reconstituent une contre-société avec ses codes et ses règles propres. Dans cet univers âpre, la virilité est une question de survie autant que d’honneur. Le macho, celui qui sait jouer du couteau, de la machette comme du fusil d’assaut, jouit de l’estime publique. Croyances et superstitions accompagnent cette dévotion effrénée au coq de village. Ainsi, les testicules de taureau grillés sont un mets recherché…Le diable côtoie souvent l’ange. Et le macho, peut-être simultanément assidu aux maisons closes et confit en dévotion à l’endroit de la Sainte-Vierge. L’image de la femme oscille entre la prostituée et la sainte. Dès leur plus jeune âge, les filles sont élevées en prévision du jour fatidique où elles passeront devant l’autel. Les Colombiens ont le culte de la famille nombreuse, du clan, de la lignée. Plus qu’un impératif religieux, il s’agit d’une nécessité vitale. Un manuel de classe de cinquième des années 60 résume en quelques phrases ce natalisme forcené : « Mon travail est pour vivre, dit le terrassier, et aussi pour payer les intérêts que je dois et m’assurer un capital dans l’avenir »-« Comment cela ? », demande l’enfant. L’ouvrier le conduit à sa maison : "Voici mon père et ma mère qui ont souffert et travaillé pour moi, pour m’élever. Je paie maintenant les intérêts de ce qu’ils ont fait pour moi ». Puis il montre les six enfants et la mère: « Ce sont mes enfants, en leur donnant la nourriture j’assure mon capital qui me donnera un intérêt quand je serai vieux et qu’ils devront me nourrir ». Dans un pays où le chien n’a pas remplacé l’enfant, ou la sécurité sociale comme la retraite sont embryonnaires, ou la théorie du gender n’a pas encore valeur d’idéologie d’Etat, la famille nombreuse reste le meilleur obstacle à la misère. L’Eglise veille à cet état de fait. Jusqu’en 1990, elle a joui d’immenses avantages. La religion catholique est selon l’article premier « l’élément essentiel de l’ordre social ». L’Etat s’engage à entretenir ses ministres qui exercent leur autorité sans que la puissance publique puisse intervenir, précise l’article deux. Les questions financières et scolaires ne sont pas oubliées puisque l’Eglise et exonérée d’impôts et qu’elle dispose d’un droit de regard sur les programmes scolaires. Le tableau de la société colombienne serait incomplet sans un rapide aperçu de la question posée par le trafic de drogue. Au café s’ajoutent désormais la marijuana et la coca comme principales sources d’exportation. Selon des statistiques quasi-officielles elles fournissent à elles seules plus de rentrés de devises que le café. L’époque d’avant la conquête est une page blanche de l’histoire colombienne. Les sources sont rares et les données lacunaires. A la différence du Mexique ou du Pérou, il n’y a pas de civilisation grandiose et peu de vestiges monumentaux. Les tribus indiennes forment des groupes peu nombreux et isolés, sans contact les uns avec les autres. On évalue leurs effectifs, à la veille de la conquête, entre 500 000 et 1 500 000 d'individus. Pas de ville ni de lieux de culte spécifiques. On peut néanmoins distinguer quelques groupes à l’organisation plus avancée. Les Quimbayas vivent du rio Cauca au Magdalena. Ils cultivent le maïs et tissent le coton. Leurs tombes se distinguent par leurs céramiques et leur orfèvrerie. Toutefois, et en dépit d’une légende tenace, les richesses accumulées dans ces régions n’ont rien à voir avec celles des Incas, des Mayas ou des Aztèques. Compte tenu de l'insalubrité du climat, la vie est une lutte de chaque instant. Evitant les régions malsaines, l’homme s’installe sur les éminences ventilées éloignées des fonds marécageux. 25 000 ans av. J.-C. : Première trace d’occupation humaine en Colombie. Il s'agit de groupes de chasseurs-cueilleurs qui se sont répandus vers le sud en suivant les vallées du rio Magdalena et du rio Cauca ; deux sites de la cordillère orientale, El Abra (10 400 à 160 avant J.-C.) et Tequendama (7000 av. J.-C.) révèlent la présence de ces chasseurs qui fabriquaient un outillage lithique sur éclats. 7000 à 1250 av. J.-C. : Les sites de Manizales et de Retrepo correspondent à des groupes vivant en état de semi-nomadisme à proximité du littoral. On a découvert dans un amas de coquilles de Puerto Hormiga, sur la côte caraïbe, des fragments de poteries remontant à 3800-3500 av. J.-C. Une céramique plus évoluée sera découverte à Bucarelia, datée de 1550 av. J.-C. On voit apparaître vers 1200 avant J.-C. les premiers villages agricoles permanents. Cette agriculture repose sur la production de manioc et sur celle du maïs. Le site de Malambo (-1120), sur le bas Magdalena, rend bien compte de ce passage d'une économie de prédation à une économie de production. La céramique s'enrichit désormais de figures anthropomorphes ou zoomorphes incisées. Ier millénaire avant J-C : Développement des cultures dites « subandines » caractérisées par des chefferies belliqueuses gouvernées par un chef semi-divinisé et organisées en classes sociales. La guerre occupe une place importante pour ces groupes humains. C'est durant cette période qu'émerge la fascinante culture de San Agustin. C'est un religieux espagnol qui visite le premier le site et rend compte de ses observations en 1756. Des archéologues allemands et italiens prennent le relais au XIXe siècle avant les campagnes de fouilles décisives menées en 1936-1937 par José Perez de Barradas. Le petit village de San Agustin se dresse au cœur d'une vaste région montagneuse où les vestiges archéologiques abondent (tumulus, temples, tombes et statues gigantesques représentant des êtres humains ou des animaux). Entre 1 500 et 2 000 mètres d'altitude, le climat tempéré a favorisé l'installation humaine. L'histoire de cette culture se partage entre diverses périodes : jusqu'à 550 av. J.-C., la population vit de chasse, de pêche et de cueillettes et réalise une céramique encore très grossière ; de 550 avant J.-C. à 550 ap. J.-C., la culture du maïs devient l'activité économique principale, les populations se sédentarisent et l'on voit apparaître la poterie peinte ; de 550 à 1180, les surplus de production agricole permettent l'apparition d'un artisanat spécialisé qui réalise des sculptures monumentales, des temples, des pièces de céramique plus raffinées et des objets d'orfèvrerie ; de 1180 à 1500, la culture de San Agustin se prolonge et l'inspiration réaliste s'affirme dans les décors, les villages étaient installés sur des plates-formes aménagées au sommet des collines et les huttes circulaires étaient réunies autour de la statue monolithique de l'ancêtre du clan local. Le village était dirigé par un cacique qui s'appuyait sur la caste des prêtres et sur celle des guerriers. La société vivait du travail des agriculteurs qui maîtrisaient l'irrigation et le drainage et savaient aménager des cultures en terrasses. Une trentaine de sites ont été découverts dans l'aire de diffusion de la culture de San Agustin, qui couvre une superficie d'environ 500 kilomètres carrés. Les plus importants sont Las Mesitas, Alto de Lavapatas, Alto de Lavaderos Alto de los Idolos et Quinchana. Il s'agit de centres cérémoniels où voisinent des sépultures, des temples, des autels et des statues mégalithiques. La statuaire de San Agustin est l'expression artistique la plus étudiée de cette culture : on a dénombré plus de trois cents statues monolithiques dont la hauteur varie de 0,73 mètres à 4,25 mètres, et qui représentent des êtres humains (guerriers, prêtres, chamans), des animaux (oiseaux félins, serpents) ou des personnages mi-hommes mi-félins. 200 et 1000 ap. J.-C. : Culture Calima.sur le versant pacifique de la Cordillère occidentale. Le site le plus ancien (Canaguyero) remonte à 250 avant J.-C., mais c'est entre 1100 et 1250 ap. J.-C. qu'elle atteint son apogée. Cette culture a excellé dans les domaines de la céramique et de l'orfèvrerie. 500 après J.C. : Apparition de la métallurgie. 610 à 850 : Culture des hypogées de Tierradientro caractérisée par des tombes creusées directement dans la roche. Les traits de cette culture montrent qu'elle était proche de celle de San Agustin. On désigne sous le nom de « Qimbaya » (celui d'un groupe d'indigènes qui occupaient le bassin moyen du Cauca au moment de la conquête) une céramique particulière et un style d'orfèvrerie remarquable. 700 et 1200 : Culture Narino entre la Colombie et l’Equateur. Culture de Tumaco, proche de celle, équatorienne, de La Tolita. A la veille de l'irruption des conquistadors, le plateau où s'élèvera Bogota est occupé par les Muiscas ou Chibchas qui disposent d'une économie prospère et font le commerce du sel et des émeraudes. Ils sont riches en or et c'est sur leur territoire que les conquistadors chercheront la trace d'El Dorado, « le seigneur doré », vague écho de la tradition qui rapportait qu'un chef indien plongeait, couvert de poudre d'or, dans le lac de Guatavita. Ce n'est que durant l'entre-deux-guerres que les archéologues colombiens purent mettre en lumière ce qu'avait été la culture villageoise des Taironas qui, installée dans Sierra Nevada de Santa Marta, a connu son apogée à la veille de la conquête. 1492 : Découverte de l’Amérique par Christophe Colomb. Christophe Colomb n’a probablement jamais foulé le pays qui porte son nom. Autre paradoxe, la conquête de la Colombie s’avère une entreprise longue et difficile qui s’échelonne sur plus d’un siècle. Tout concourt à entraver l’entreprise des conquistadores. Le climat tropical, la forêt sans fin, le relief escarpé et l’absence de voie de pénétration naturelle. Mais les conquistadores ont pour eux l’audace et l’esprit d’entreprise. Chaque hidalgo arme son navire, recrute ses hommes d’armes, appâtés par le goût de l’aventure et le mirage de l’Eldorado. Selon la rumeur, un roi indien surnommé El Dorado, « le Seigneur doré », se baigne nu, couvert de poudre d’or, dans un lac. Parvenu au centre du lac, il précipite dans les entrailles du lac de l’or et des pierres précieuses. On n'a jamais retrouvé la trace du trésor, mais le musée de l’Or de Bogota conserve un modèle miniature en or de la barque cérémonielle, ce qui tend à donner un ancrage cultuel à la légende. Madrid concède des droits de conquête en échange du versement d'une redevance, le quinto real, le cinquième des richesses découvertes. Cinq colonnes sillonnent bientôt la Colombie, écrasant la résistance autochtone. Une concurrence impitoyable anime entre eux les chefs espagnols. La plupart finissent par succomber, victimes de leur propre démesure. De la Cosa et Solis tombent, sous des flèches indiennes. Ces premiers conquérants ne sont qu’une poignée. Chaque expédition ne compte qu’une centaine d’hommes. Les points d’appui restent des mois, des années sans nouvelles de la métropole. Les chefs sont d’extraction modeste, pour ne pas dire douteuse. Belalcazar est un condamné de droit commun pour vol de bétail. En revanche, d’autres, plus jeunes, ont fréquenté les bancs de l’université à l’instar de Quesada, âgé de 27 ans. Une fois les Indiens soumis, les colons appliquent le système de l’encomienda. Comme l’explique Jean-Pierre Minaudier, « les colons se répartirent les communautés indigènes qui leur étaient confiées ; ils devaient assurer leur évangélisation. Les Indiens, en échange, devaient un tribut payé en nature (de la nourriture, et aussi des pièces de coton qui firent très vite l’objet d’un commerce à grande échelle) ou en service (transport de charges à dos d’homme) ». 1494 : Traité de Tordesillas. Le pape Alexandre VI confie à la couronne d’Espagne toutes les terres situées à l’ouest du méridien du cap Vert. 1499 : L’Espagnol Alonso de Ojeda foule le sol colombien au cap de la Vela. Il est accompagné du pilote italien Amerigo Vespucci. A son retour, il publie un récit de voyage dans lequel il affirme que les terres découvertes et qu'il nomme « l’Amérique » est un continent à part entière, distinct des Indes que croit avoir abordées Colomb. 1509-1510 : Les premiers conquistadores fondent les villes de San Sebastien d’Uruba et Santa Maria, toutes deux sur les rives du golfe d’Aruba. 1519 : Pedro Arias Davila atteint, six ans après Balboa, la « Grande Mer du Sud » que Magellan baptisera bientôt l'océan Pacifique. 1524-1526 : Deux gouvernements sont créés. A l’ouest du rio Magdalena, le bénéficiaire n’honore jamais sa charge. A l’est, entre la Magdalena et le cap de la Vela, Rodrigo de Bastidas jette les premières pierres de la ville de Santa Marta. 1533 : Pedro de Heredia fonde la ville de Carthagène à l’ouest de l’embouchure du Magdalena. L’endroit est le point de départ de toutes les expéditions en direction du Pérou. Par ailleurs, la région est riche en tombes de caciques. Elle attire tous les aventuriers en quête d’or. 1535-1538 : Le jeune Gonzalo Jimenez de Quesada prend, dans des circonstances très difficiles, la direction de la colonie de la Santa Marta. Afin de rompre son isolement, il organise une expédition vers l’intérieur des terres. Il se heurte en route aux Indiens Chibchas qu’il subjugue sans difficultés. Sur l’emplacement d'une ancienne ville indienne, il fonde Santa Fé de Bogota. 1536-1537 : Les villes de Cali et de Popayan sont fondées par Sebastian de Belalcazar. Au même moment, l’Allemand Nikolaus Federmann venant du bassin de l’Orénoque parvient à son tour sur le plateau de Bogota. 1540 : Les rivalités qui les opposent obligent la monarchie espagnole à départager les sphères d’influence attribuées aux trois conquistadores : Belalcazar, Quesada, Federmann. Charles Quint, après avoir tergiversé, tranche en faveur de Quesada et de Belalcazar qui reçoivent le titre de gouverneur. 1542 : Leyes Nuevas (« nouvelles lois ») qui interdisent le travail forcé dans les mines pour les Indiens. Elle n’est pas respectée. 1549 : Décentralisation de l’administration qui dépendait jusqu’alors de Saint-Domingue. Création de la Real audiencia de Santa Fé de Bogota. La nouvelle circonscription administrative, appelée également Nouvelle-Grenade, s’impose rapidement. 1564 : Le pape Pie IV crée l’archevêché de Bogota. La première étape de la conquête s’achève. Celle-ci est en réalité bien incomplète. Quelques raids éclairs à l’intérieur des terres sont appuyés par un chapelet de garnisons abritées dans des fortins rudimentaires. La colonisation débute par la transformation du soldat en paysan. Les soldats vivent encore sous des cabanes de branchages. Ainsi, Bogota a pour trame originelle une dizaine de cahutes entourant une modeste chapelle où l’aumônier militaire célèbre tous les matins l’office. Mais bientôt, le génie latin reprend ses droits. D’Espagne arrivent des ingénieurs qui transforment les premiers camps en véritables villes. Du néant surgit un carré de 100 mètres de côté qui constitue la plaza mayor. A son centre convergent huit avenues qui dessinent le plan orthogonal de la future cité qui se développe en manzanas, carrés de 80 mètres de côté. Chaque fois que la ville s’agrandit, on rajoute une nouvelle manzana qui prolonge à l’infini le quadrillage existant. La Nouvelle-Grenade mue rapidement. Trois facteurs bougent les lignes de la nouvelle société : la dilution progressive des autochtones par le métissage, le choc microbien et la guerre ; l’exploitation des mines d’or grâce à l’arrivée d’esclaves d’Afrique et les difficultés de communication qui favorisent l’émergence de particularismes locaux. L’Espagnol, remarque Jacques Aprile-Gniset a « pris femme. Au viol brutal du début se substitue le concubinage, puis le mariage entre le soldat et sa servante indienne. Il remarque la polygamie paisible de l’Indien et, bientôt, malgré l’interdiction du curé, suit son exemple. Mais soldat ou fonctionnaire, dès qu’il a pris femme, l’Espagnol du Sud la cloître dans une maison entourant un patio, semblable à celle qu’il connut en Andalousie. Ainsi se dégagent, des apports indiens et arabes, des éléments qui vont modeler la personnalité d’un pays et de ses habitants ». Bogota abrite les lieux de décisions. La ville est entourée d’un vaste espace agricole où s’activent esclaves et métis. Tabac et café sont exportés vers l’Ancien Monde. La côte caraïbe jouit du dynamisme des échanges avec la métropole tandis que le versant pacifique bénéficie de la présence des mines d’or. Toutefois, la Nouvelle-Grenade reste très en retrait au sein de l’empire colonial espagnol. Elle ne compte que 800 000 habitants en 1778. Rien à voir avec le Mexique, ni même le Pérou. En outre, la situation économique est tributaire du cours des matières précieuses. Trois phases émergent : la fin du XVIe siècle se caractérise par l’apogée de l’or ; le XVIIe siècle est plus tendu en raison de l’épuisement des mines ; le XVIIIe siècle bénéficie de la découverte de nouveaux gisements aurifères. 1565 : L’entretien des ports et le prélèvement des impôts sont affermés aux commerçants aisés. 1580 : Alonso de Narvaez peint la Vierge de Chiquiquira, sainte patronne de la Colombie. 1590-1593 : Une série de réformes vise à mettre un terme à l’arbitraire des colons. Les services personnels demandés au titre des tributs sont interdits. Les Indiens sont censés recevoir une rémunération. 1595-1599 : Niveau maximum de production des mines d’or du Cauca et du Magdelana. 1587 : Début du système de l’asiento : des compagnies portugaises, anglaises et françaises achètent le droit d’exporter des esclaves noirs. Le prix d’un esclave est relativement élevé, d’environ 500 piastres. L’équivalent de vingt-cinq vaches. 1598 : Insurrection armée de Zaragoza. Les esclaves se révoltent. « Même si mon maître me tue, je ne vais pas à la mine », chante le mineur d’Iscuandé. 1600-1630 : Réduction progressive des Indiens Pijados. Abrités au cœur de la cordillère centrale, ils attaquent de manière continue la route de Bogota à Popayan. A la fin, les débris de ces tribus indiennes sont repoussés vers des zones marginales comme la Sierra Nevada. 1610 : Baisse drastique de l’extraction d’or. Les causes de cet effondrement sont multiples. La main d’œuvre indienne manque, d’autant que la traite négrière reste peu développée. Les méthodes d’exploitation encore primitives empêchent d’exploiter à fond les gisements. 1639 : Les dominicains fondent l’université de Bogota. 1660 : Début du cycle du Choco. L’arrivée massive d’esclaves et le perfectionnement des méthodes d’exploitation permettent d’augmenter les rendements. Les mines demandent de l’espace et des travaux de drainage. L’eau déviée sert à trier les alluvions et à découvrir les pépites qu'ils charrient. 1697 : Guerre de la ligue d’Augsbourg. Le port de Carthagène est pris d’assaut par une escadre française. 1700 : Les Bourbons montent sur le trône d’Espagne. La nouvelle dynastie met aussitôt en œuvre un programme de réformes qui tend vers plus de centralisation. 1701-1713 : Guerre de succession d’Espagne. 1720 : Le travail forcé est aboli. Les encomiendas disparaissent progressivement. 1739 : Création d’une vice-royauté de la Nouvelle-Grenade dont la capitale est Bogota. 1741 : La Royal Navy assiège Carthagène. Les Britanniques sont repoussés et perdent plusieurs dizaines de bâtiments et des milliers d’hommes. 1742 : Le Venezuela, davantage tourné vers les Caraïbes, est organisé en une Capitainerie générale pratiquement autonome. 1759-1789 : Règne de Charles III. Son règne est marqué par la volonté d’abaisser les privilèges et les exemptions derrière lesquelles s’abritent les colonies espagnoles. 1764 : Madrid passe au système de l’administration directe. Les prix d’achat et de revente des produits sont fixés par une bureaucratie centralisée à Bogota. 1767 : Expulsion des jésuites des colonies espagnoles. 1770 : Le neveu du dernier cacique de Bogota, Don Ambrosio Pisco, refuse de prendre la charge de son père. Il préfère se tourner vers le monde des affaires où il fait fortune comme commerçant. Au XVIIIe siècle, les Bourbons héritent d’un pays en crise où les ressources fiscales sont rares. Tout le paradoxe est que la couronne d’Espagne est un Etat pauvre dans un pays riche. Madrid enrage de constater que son colossal empire colonial lui rapporte moins qu’à la France la seule île de Saint-Domingue et ses richesses en sucre. Les colonies sont engluées dans un immobilisme stérile auquel s’ajoute un clientélisme qui entrave toute innovation. Pour encourager les échanges et la concurrence, la Couronne met fin aux barrières douanières et aux monopoles commerciaux. Le deuxième versant de cette entreprise réformatrice est la mise au pas de la bureaucratie locale. La Couronne supprime la vénalité des charges et oblige les fonctionnaires d’audiences à faire carrière hors de leur région d’origine afin d’éviter le conflit d’intérêt. A l’inverse, les natifs des colonies sont envoyés exercer leur métier en métropole. Cette politique se heurte à la résistance de la bourgeoisie criolla qui, à la même époque, commence à méditer l’exemple de l’indépendance américaine. Une formule résume leur revendication : « Vivre et travailler au pays ». En 1794, un admirateur de la Grande Révolution, Narino, traduit la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen que l’on se passe de main en main. Dans ce grand arc atlantique qui va de l’Amérique du Nord à la France en passant par la Nouvelle-Grenade, la question du consentement à l’impôt est le détonateur de l’exaspération populaire. Désormais, afin d’accélérer les rentrées fiscales, la Couronne confie la gestion des monopoles à des fonctionnaires d’Etat auxquels les producteurs sont obligés de vendre le fruit de leur labeur. A la fin du XVIIIe siècle, et en dépit de toutes les difficultés rencontrées, cette politique donne des résultats. Mais ce succès, souligne Jean- Pierre Minaudier « eut un prix politique : la Couronne dut affronter à la fin du XVIIIe siècle une crise sans précédent ». 1768-1774 : La liberté de commerce est instaurée entre la Nouvelle-Grenade et le Pérou, puis avec l’ensemble du continent américain. 1774 : Le vice-roi Manuel Guirior propose une réforme du système éducatif. Il s’agit d’introduire davantage l’étude des matières scientifiques. 1777 : Inauguration de la première bibliothèque publique avec plus de quatre mille ouvrages. 1780 : L’évêque de Bogota Caballero y Gongora encourage la création de sociétés économiques, mais également de l’imprimerie. 1778-1780 : Mission du visiteur général Gutierrez de Pineres. La Couronne lui donne mission d’instaurer une fois pour toute l’administration directe des monopoles. Afin d’améliorer la qualité du tabac destiné à l’exportation, sa culture est limitée à quelques régions. L’application de ces mesures, accompagnée d’une campagne d’arrachages, provoque l’exaspération populaire. D’autant que la production comme la qualité baissent. En outre, l’administration multiplie les contrôles tatillons sur les biens et les personnes, préludes à de nouvelles ponctions fiscales. 1781 : Révolte des Comuneros. L’insurrection éclate dans la région de Santander. Les causes sont liées aux réformes brutales entreprises par Madrid, ainsi qu’au refus des créoles de se laisser déposséder du pouvoir politique. Sous le commandement de José Antonio Galan, les insurgés marchent sur Bogota. Mais, au dernier moment, les révoltés négocient avec l’archevêque un accord temporaire. Toutefois, le vice-roi Manuel Antonio Flores refuse de reconnaître l’accord signé et envoie la troupe écraser l’insurrection. A rebours d’une interprétation marxiste, la révolte des communes est une émotion populaire qui ne vise pas à renverser les assises de la société, mais à restaurer un ordre idéal que le temps aurait altéré. Le slogan des insurgés exprime ce loyalisme à l’ordre traditionnel : « Viva el Rey y muera el mal gobierno ». Ce qui caractérise la révolte des Comuneros, écrit Jean-Pierre Minaudier, c’est « avant tout la solidarité de toutes les classes sociales face aux réformes. Le peuple révolté place à sa tête des membres des élites locales… Avant tout, les Créoles révoltés aspirent à une plus grande autonomie des "communautés" qu’ils pensent représenter, comme l’indique le nom qu’ils se donnent ; ils refusent qu’une autorité extérieure leur impose des charges supplémentaires sans négociation ni compensation ». 1782 : Le vice-roi proclame une amnistie générale, mais fait exécuter les meneurs comme Galan. 1783 : Début de l’expédition botanique, vaste entreprise scientifique qui vise à recenser la faune et la flore de l’ensemble de l’Amérique espagnole. Un herbier de vingt mille espèces est constitué. 1790 : Vargas publie Mémoire sur la population du royaume, où il s’attaque à l’inégale répartition de la propriété foncière. 1791 : Publication à Bogota du premier journal, dirigé par Manuel del Socorro Rodriguez. 1793 : Inauguration du théâtre du Colisée à Bogota. 1794 : Les autorités font jeter en prison un étudiant, Narino, qui a traduit et diffusé à plusieurs dizaines d’exemplaires la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. 1797 : Narino rédige Essai sur un nouveau plan d’administration de la vice-royauté. 1801-1802 : L’expédition d’Alexandre von Humboldt traverse la Nouvelle-Grenade. 1808 : Charles IV d’Espagne abdique en faveur de son fils Ferdinand VII. Napoléon envahit l’Espagne et dépose Ferdinand VII au profit de son frère Joseph. L’indépendance de la Colombie n'a rien d'évident. Elle est arrachée à la pointe du sabre et de la baïonnette à une métropole décidée à maintenir son autorité. En deux décennies, la Colombie livre deux guerres d’indépendance tout en faisant face à une tentative de reconquête espagnole. Les hostilités opposent républicains et royalistes, mais dressent également à l’intérieur du camp américain les patriotes entre eux. La première république, la Grande Colombie, ne dure qu’une dizaine d’années (1819-1830). La figure de Bolivar, pourtant originaire du Venezuela, domine de très loin l’époque. A son retrait, la Grande Colombie éclate et, de ses dépouilles, naissent l’Equateur, le Venezuela, et l’actuelle Colombie. La chute des Bourbons est l’occasion plus que la cause de l’émancipation des colonies espagnoles. Plus que la monarchie, la véritable cible des patriotes américains est le système de centralisation mis en place à partir de la fin du XVIIIe siècle. En vertu de la « constitution non écrite », les Créoles estiment être liés de manière personnelle à la Couronne et non à la nation espagnole. En 1808, cette union personnelle est rompue. Naturellement, les Américains reprennent à leur compte la souveraineté désormais vacante. C’est ainsi, souligne Jean Pierre Minaudier, que « les colonies d’Amérique proclamèrent leur souveraineté vis-à-vis de l’Espagne, tout en se considérant encore liées à la dynastie légitime : un peu, si l’on veut, selon les mêmes principes qui président à l’actuel Commonwealth, mais sans l’accord de la métropole ». 20 juillet 1810 : A cette date, écrit Jacques Aprile-Gniset, la Colombie connaît en une journée son « vase de Soissons et sa prise de la Bastille ». Ce jour-là, à Bogota, un habitant ayant besoin d’un vase s’adresse à son voisin, le fleuriste espagnol, dont la boutique est à l’angle. Le vendeur injurie l’Indien qui le frappe, ce qui ameute toute la ville. Aussitôt se forme une assemblée populaire qui oblige le vice-roi à accorder le lendemain l’indépendance. 27 novembre 1811 : Un congrès des Provinces-Unies siège à Tunja et adopte un « Acte fédéral » dont les idéologues sont Camillo Torres et Miguel Pombo. De tendance fédéraliste, cette constitution souhaite faire respecter le droit des différentes provinces de Nouvelle-Grenade. A cette orientation fédéraliste s’oppose une tendance plus centralisatrice, groupée autour d'Antonio Narino. En conséquence, les délégués de Bogota et du Chocò rejettent l’Acte fédéral. 9 janvier 1813 : Narino bat les troupes fédéralistes aux portes de Bogota. 30 mai 1813 : Fédéralistes et unionistes parviennent à un accord. Ils s’accordent sur la lutte contre l’ennemi commun espagnol. 12 décembre 1814 : Simon Bolivar, rentré en Nouvelle-Grenade après l’échec de la Deuxième République, entre à Bogota dans le but de refaire ses forces. Bogota devient officiellement la capitale du pays. Mais, rapidement, dégoûté par les intrigues et les disputes, Bolivar comprend qu’il n’arrivera à rien. Pour cette raison, il s’embarque pour partir en exil à la Jamaïque. 1815 : Suite à la chute de Napoléon, Ferdinand VII remonte sur le trône d’Espagne et entreprend de réunir à lui les colonies révoltées. L’Espagne envoie un imposant corps expéditionnaire. Le colonel Pablo Morillo, un vétéran de la guerre contre la France, est choisi pour le commander. Les forces espagnoles atteignent un effectif de 10 000 hommes. Août-décembre 1815 : Siège de Carthagène. 26 mai 1816 : Bogota tombe aux mains des Espagnols. 1817 : Rétablissement de l’audience de Santa Fé. Un régime militaire d’une grande brutalité s’abat sur la Colombie. Les républicains sont pourchassés et exécutés. En dehors de cette répression qui s’attaque aux élites locales, les exactions des troupes espagnoles sur la population civile excitent le ressentiment des populations locales. Dans l’intérieur, quelques guérillas émergent. Mais faibles, elles ne peuvent rien entreprendre sans une aide extérieure. 15 février 1819 : Congrès d’Angostura. Vingt-six délégués sont présents et représentent le Venezuela et la Nouvelle-Grenade. Y est décidée la création d’un grand Etat commun. Sous la houlette de Simon Bolivar revenu d’exil le mouvement s’affirme. Créole de Caracas, il a été élevé à la lecture des auteurs des Lumières, et toute sa jeunesse a vibré au rythme des exploits de Napoléon et de l’Empire. Pour lui, l’échec de la Première République est d’abord le fruit d’une mauvaise constitution, à la fois trop libérale, trop décentralisée, et sans outil militaire. Aussi écrit-il dans la Lettre de Jamaïque que « les institutions parfaitement représentatives ne sont pas adaptées à notre caractère, à nos coutumes et à nos lumières actuelles ». De même que pour lui, il n’est pas possible d’oublier l’épineux problème de l’esclavage qui dresse les noirs et les mulâtres contre leurs maîtres créoles, partisans de l’indépendance. Mai-juin-1819 : Libération de la Colombie. L’armée du libérateur passe les Andes et surprend les Espagnols. 11 juillet 1819 : Bataille de Gameza. Les deux parties s’attribuent la victoire. Bolivar réussit cependant à avancer vers Tanja, porte d’entrée de l’Altiplano. 25 juillet 1819 : Les patriotes, grâce à une charge de lanciers bien menée et à l’action décisive de la légion anglaise, parviennent à enfoncer les lignes espagnoles et à mettre en déroute l’armée de Madrid. 10 août 1819 : Bolivar entre triomphalement à Bogota. Le vice-roi fuit, déguisé en Indien. 17 décembre 1819 : Le congrès d’Angostura scelle l’union de la Nouvelle-Grenade et du Venezuela en une république de Colombie composée de trois départements : le Venezuela, la Nouvelle-Grenade et Quito. Néanmoins, une grande partie de ce territoire était encore sous le joug espagnol : la côte du Venezuela et, surtout, tout le Sud, puisque, pour Bolivar, la nouvelle nation devait s’étendre jusqu’aux limites du Pérou. 1er janvier 1820 : Les soldats qui doivent être embarqués à Cadix en direction des Amériques se révoltent et contraignent le roi Ferdinand VII à rétablir la constitution espagnole de 1812. Mai-octobre 1820 : Bolivar convoque un congrès constituant à Cùcuta. Antonio Narino est chargé de diriger les travaux du congrès. 24 juin 1821 : Bataille de Carabobo. Bolivar écrase le maréchal Miguel de la Torre. 10 octobre 1821 : Les troupes républicaines prennent Carthagène. 7 novembre 1821 : Bolivar est élu président de la Colombie et Santander vice-président. 16 juin 1822 : Bolivar entre à Quito. Effectivement, Bolivar poursuit la lutte contre l’Espagne en lançant une campagne de libération continentale au Pérou et en Bolivie. Santander exerce la réalité du pouvoir en Colombie. Juillet 1822 : Les Etats-Unis d’Amérique reconnaissent le nouvel Etat. 1824 : Tous les suspects de royalisme sont expulsés de Grande Colombie et leurs biens sont confisqués. 1824-1826 : Pendant l’absence de Bolivar, des problèmes apparaissent au sein du nouvel Etat, du fait du gigantisme de son territoire, formé de régions très différentes. Les divergences idéologiques un instant disparues dans l’union sacrée contre les Espagnols rejaillissent. Les partisans de Santander prônent un Etat faible et laïc. A l’inverse, Bolivar défend l’idée d’une Grande Colombie catholique forte et centralisée aspirant à l’hégémonie continentale. Le nouvel Etat se dote d’une Bibliothèque nationale, d’un Musée national, d’une école des Mines et d’une Académie littéraire. L’inquisition politique (comme en Espagne) ainsi que la censure religieuse sont abolies. 4 septembre 1826 : Bolivar quitte le Pérou pour la Colombie. 2 mars 1828 : Bolivar convoque un congrès dans la ville d’Ocana afin de réfléchir à une nouvelle constitution plus centralisée. 27 août 1828 : Face aux résistances, Bolivar passe outre et adopte la « loi fondamentale » qui abolit la précédente constitution et assume la dictature. Cependant, les difficultés intérieures s’aggravent. 25 septembre 1828 : Coup d’Etat avorté. Santander est exilé en Europe. 3 juin-28 février 1829 : La Grande Colombie est en guerre avec le Pérou qui lorgne sur le Sud du pays. Le conflit s’achève sur un statu quo. 27 décembre 1829 : Le Venezuela fait sécession. 8 mai 1830 : Incapable de juguler la crise ouverte par la déclaration d’indépendance du Venezuela et affaibli physiquement, Bolivar donne sa démission. 13 mai 1830 : L’Equateur déclare également son indépendance. Ier juillet 1830 : Antonio José de Sucre, que Bolivar considère comme son dauphin, est assassiné. 17 décembre 1830 : Bolivar s’éteint dans la Quinta de San Pedro Alejandrino, à Santa Marta. Il écrit peu avant de mourir que l’ « Amérique est ingouvernable », que « servir une révolution, c’est labourer la mer », et que « la seule chose à faire en Amérique, c’est d’émigrer ». 20 octobre 1831 : Ce qui reste de la Grande Colombie se regroupe sous le nom de république de la Nouvelle-Grenade. Après quatre noms successifs, six constitutions, trois coups d’Etats, neuf guerres civiles et des dizaines de conflits frontaliers avec ses voisins, le nouvel Etat qui naît sur les cendres de la Grande Colombie connaît une gestation douloureuse. Ainsi, souligne Jean Pierre-Minaudier, « cet ensemble de territoires disparates, rassemblés autrefois sous l’égide des mêmes autorités coloniales, ne formait absolument pas une nation, c’est-à-dire une communauté consciente de son unité et désireuse de partager un destin commun. L’Etat, faible, dépourvu de légitimité et de projet mobilisateur, se dissout dans la violence et l’anarchie ». Les différentes constitutions s’avèrent en pratique inapplicables. On raconte que Victor Hugo, le phare spirituel des constituants, recevant un exemplaire de la constitution colombienne, s’exclama que « ce pays devait être peuplé d’anges ». C’est aussi au milieu du XIXe siècle que naissent les deux grands partis qui dominent encore la vie politique colombienne : les libéraux et les conservateurs. Quelle différence y a-t-il entre un conservateur et un libéral ? Garcia Marquez nous l’explique dans Cent Ans de solitude : « Les conservateurs vont à la messe de cinq heures, les libéraux vont à l’église à sept heures. » En réalité, la ligne de fracture entre les deux partis s’affirme au gré de l’esprit de contradiction. Ainsi, les conservateurs deviennent les porte-drapeaux de la religion et des valeurs traditionnelles parce que les libéraux ont une inclinaison plus anticléricale. A l’inverse, les libéraux sont de farouches avocats de la décentralisation alors que les conservateurs ne croient qu’en un Etat fort. Le clientélisme domine la vie politique. A la racine se trouvent les solidarités, locales et familiales, les réseaux élaborés dans les loges maçonniques ou les confréries religieuses. C’est également à cette époque qu’émerge la figure du caudillo, grand propriétaire terrien ou chef de guerre intrépide qui s’appuie sur un fief, un clan. Plus généralement, c’est un homme d’action épris de rêve de grandeur. Un siècle plus tard, dans son roman L’Homme à cheval, Pierre Drieu la Rochelle en donne cette définition : « Il y a beaucoup d’action dans l’homme de rêve et beaucoup de rêve dans l’homme d’action. » 29 février 1832 : Une nouvelle constitution est adoptée. Elle établit un régime présidentiel. De retour d’Europe, le général Santander est élu à la charge suprême par le Congrès. 1833 : Réélection de Santander. En dépit de son expérience d’homme d’Etat et de juriste, il ne parvient pas à stabiliser le régime, en partie faute d’avoir su se concilier les partisans de Bolivar. L’œuvre de sa présidence se borne à l’abolition du monopole de l’eau de vie. Par ailleurs, les frontières avec le Venezuela sont fixées. Toutefois, des imprécisions demeurent. Les deux pays sont toujours en conflit au sujet du golfe de Maracaibo. 1837 : José Ignacio de Marquez est élu président de la République. 30 juin 1839-mai 1840 : Le pays est plongé dans une guerre civile. Le Congrès supprime les couvents de la région de Pasto, provoquant la révolte de la population locale. Le général Pedro Alcantara Herran écrase la rébellion. Le chef de l’insurrection, José Erato, est capturé. Celui-ci accuse le général José Maria Obando, candidat du parti d’opposition aux prochaines élections présidentielles, de ne pas être étranger à l’assassinat de Sucre en 1830. Obando quitte Bogota et rejoint les débris de la rébellion. Il profite de la mort de Santander pour sortir de Pasto. Mais le gouvernement de Bogota anéantit les insurgés avec l’aide de l’Equateur. Cette ingérence extérieure déclenche une contestation générale. Les dirigeants insurgés proclament l’indépendance de leurs provinces et déclarent qu’ils n’accepteront de réintégrer le giron de la Nouvelle-Grenade qu’à condition qu’elle se transforme en fédération. Néanmoins, les rebelles ne parviennent pas à s’entendre, ce qui conduit José Maria Obando à la déroute. Le président Marquez reprend la main et termine son mandat en pacifiant le pays. 1841-1845 : Présidence de Pedro Alcantara Herran. 1843 : Nouvelle Constitution qui renforce l’autorité du président. 1845-1849 : Présidence de Tomas Cipriano de Mosquera. 1848-1849 : Formation des partis libéraux et conservateurs. Les tensions mises en relief par la guerre entre les bolivaristes et les santandéristes se cristallisent avec la naissance des partis libéral et conservateur. Mais la vie démocratique reste assez réduite. Le corps électoral ne dépasse pas 5 % de la population : les analphabètes, les journaliers, les domestiques sont exclus du droit de vote, les esclaves l’étaient même de la nationalité néo-grenadine. En outre, le collège en charge de l’élection du président ne compte que 1 600 grands électeurs. 1er avril 1849 : Le libéral José Hilario Lopez accède à la présidence. Il entreprend aussitôt une vaste campagne de réformes. Il abaisse les droits de douane, décentralise la fiscalité. La peine de mort pour des motifs politiques est abolie. Les jésuites sont expulsés en raison de leur trop grande influence dans l’éducation. 21 mai 1851 : Le gouvernement décide l’abolition de l’esclavage. Cette mesure provoque une brève période d’affrontement. Mais les libéraux sortent renforcés de l’épreuve. 1853 : Nouvelle constitution qui introduit une dose de fédéralisme. Le Panama devient le premier Etat fédéral. 1854 : Une courte guerre civile éclate suite au coup d’Etat du général José Maria Melo. Melo s’assure le soutien de Bogota. Mais sans charisme, isolé, mal organisé, il ne résiste que quelques mois face à l’union sacrée des conservateurs et des libéraux. 1857 : Création des Etats autonomes de Bolivar, Boyaca, Cauca, Cundinamarca et Magdelana. 1858 : Transformation de la république de Nouvelle-Grenade en un Etat plus décentralisé nommé Confédération grenadine. Le poste de vice-président est supprimé et le suffrage universel direct est adopté tandis que le président est élu pour quatre ans par le Congrès. Cependant, malgré ces progrès en direction du fédéralisme, les libéraux estiment que le pouvoir central garde encore trop de pouvoir et souhaitent écarter l’Eglise des affaires politiques. 1860-1862 : Guerre civile. Le général Tomas Cipriano de Mosquera (ancien président conservateur de Nouvelle-Grenade devenu entre-temps leader des libéraux) proclame la sécession de l’Etat du Cauca, le plus vaste des Etats du pays. Il s’empare de Bogota et se déclare président provisoire. L’un de ses premiers actes est de changer le nom du pays en Etats-Unis de Colombie espagnole. 4 février 1864 : Convention de Rionegro. Le pays se dote d’une nouvelle constitution encore plus fédérale. La Colombie, remarque Jean-Pierre Minaudier, ne fut plus que l’addition de neufs Etats confédérés souverains « qui menaient chacun leur vie propre, avec leurs constitutions, leurs lois, leur justice, leur monnaie, leurs douanes, leurs armées. Au pouvoir confédéral, il restait en théorie les relations extérieures et la conduite de la guerre : mais le président, dont le mandat avait été réduit à deux ans, n’avait même plus le droit de déclarer la guerre sans l’accord des gouverneurs des Etats, ni d’intervenir en cas de conflit armé contre le gouvernement de l’un des Etats. La Constitution limitait les forces armées confédérales à mille hommes, une garde nationale inoffensive, bonne à parader aux fêtes nationales. » Instituée pour éviter le retour d'un caudillo aspirant à la dictature à l’échelle nationale, la constitution plonge la Colombie en campagne électorale permanente du fait de la brièveté des mandats. La fraude explose. Ainsi, en 1875, le futur président Rafael Nunez obtient dans l’Etat de Bolivar plus de voix que l'Etat ne comptait d’hommes adultes. 1er avril 1864 : Le général Mosquera cède la place de président à Manuel Murillo Toro. Il radicalise sa politique religieuse et fait voter une loi expulsant les membres du clergé ne jurant pas fidélité à la constitution. 1866 : Mosquera est réélu président de la République. Sur le plan de la politique étrangère, il tente de maintenir la neutralité du pays dans la guerre qui oppose l’Amérique du Sud à l’Espagne. Il ouvre les ports colombiens aux belligérants. 1867 : Un scandale éclate au sujet de l’achat aux Etats-Unis d’un navire de guerre. Après avoir suspendu les activités du Congrès pour un an, il est renversé par un coup d’Etat radical et exilé. Ce coup d’Etat entérine le début de l’hégémonie politique des libéraux radicaux. 1er avril 1868 : Santos Gutierrez est élu président. Il fait face à plusieurs révoltes qu’il réprime sans problèmes. 1870 : Election d’Eustorgios Salgar à la présidence de la République. L’éducation s’améliore avec la création d’écoles normales. Un traité est signé avec Washington au sujet de Panama et de la voie de chemin fer qui permet la liaison entre les océans. 1872 : Bogota devient la capitale fédérale. 1872-1874 : Mandat présidentiel de Manuel Murillo Toro. 1874-1876 : Mandat de Santiago Pérez de Manosalbas. 1876-1877 : Guerre civile. Elle éclate à cause de la frustration des conservateurs privés de postes et qui sont furieux de la politique anticléricale des libéraux. Des troubles perturbent la tenue des élections présidentielles. Le Congrès finit par élire Aquileo Parra. Les conservateurs refusent de reconnaître le résultat. Le général Largacha mate la rébellion. 1er avril 1878 : Le général Largacha, le vainqueur de la guerre, est élu à la présidence. Son mandat est compliqué car les caisses de l’Etat sont vides et l’autorité du pouvoir central est toujours contestée. 10 janvier 1880 : Ferdinand de Lesseps débute les travaux de percement du canal de Panama qui est encore en territoire colombien. 1er avril 1880 : Le docteur Rafael Nunez est élu à présidence. Libéral, il a effectué plusieurs voyages d’étude en Europe. Lucide, il observe que l’anarchie et de trop grandes libertés aboutissent au chaos. Pour cette raison, il préconise un Etat central fort et respecté. 1er avril 1882 : Le docteur Francisco Javier Zaldua est élu président sans candidat de l’opposition. Il sert en réalité d’alibi à Rafael Nunez. La constitution interdit à celui-ci d’enchaîner deux mandats consécutifs. 1er avril 1884 : Rafael Nunez est réélu à la présidence. Janvier 1885 : Sept Etats se révoltent. Leurs milices occupent toute une bande côtière le long du rio Magdalena. Nunez, avec la bienveillance de Washington, mène une campagne militaire qui rétablit l’ordre. Nunez se rapproche des conservateurs et fonde le parti national. 5 août 1886 : Le Congrès élabore une nouvelle refonte constitutionnelle. Le pays abandonne l’appellation d’Etats-Unis de Colombie pour relever celui de république unitaire de Colombie. Les neufs Etats souverains sont abolis et remplacés par trente-deux départements. Dorénavant, les gouverneurs et les maires sont nommés directement par le gouvernement et non plus élus. Les lois, la monnaie, la collecte de l’impôt redeviennent des prérogatives régaliennes. Les armées régionales sont prohibées. Le président jouit désormais de larges pouvoirs. Il n’est pas responsable de ses actes et peut, en cas de crise, proclamer l’état de siège. Les institutions conçues à la fin du XIXe siècle ont charpenté toute l’histoire politique de la Colombie jusqu’en 1991. Elles partent d’un constat d’échec. Ainsi, Nunez, en résumant l’expérience du libéralisme radical, écrivait en 1886 : « Nous avons fait de la liberté humaine un idéal stupide semblable aux idoles sanglantes des tribus barbares, source fangeuse de dispositions aveugles qui perturbent le jugement et finissent par plonger chaque citoyen dans la plus déplorable des servitudes, la dépression morale. » A cause de la décentralisation à outrance, il n’existe aucun réseau routier national, ce qui renforce le cloisonnement entre les régions. L’industrialisation est inexistante. Cette seconde renaissance, cette régénération nationale se fait dans le sang et la douleur, tant les haines et les fossés sont profonds entre les différentes composantes de la population. Le pays qui endure trois nouvelles guerres civiles est amputé d’une partie de son territoire. Pourtant, après 1905, la Colombie connaît quatre décennies de paix et de stabilité. L’homme va défricher trois fois plus qu’il ne l’avait fait durant les siècles précédents. En Antioquia, qui ne comptait que quarante-huit bourgs et hameaux en 1800, naîtront cinquante-et-un villages nouveaux avant 1900, dont vingt-sept dans les cinquante dernières années. 1887 : Concordat avec le Vatican qui rend à l’Eglise le contrôle de l’éducation et reconnaît le catholicisme comme religion de la République colombienne. 1888 : La loi dite « de Ley de los Caballos » permet d’interdire les journaux d’orientation libérale. 1894-1898 : Election à la présidence de Miguel Antonio Caro. 22 janvier 1895 : Le directeur de la nouvelle police nationale colombienne, le commissaire français Jean-Marie Marcelin Gilbert, déjoue une conspiration organisée depuis l’étranger par le général libéral Avelino Rosas Cordoba qui pensait faire arrêter le président Miguel Antonio Caro. Janvier-mars 1895 : Les libéraux s’insurgent et la révolte se répand dans toute la Colombie. Mais elle est rapidement écrasée. 1898 : Election de Sanclemente, âgé de 85 ans, à la présidence de la République. 1899-1902 : Guerre des Mille Jours. C’est la dernière et la plus meurtrière des guerres civiles du XIXe siècle. Sous la houlette des généraux Gomez Pinzon, Herrera et Uribe, les libéraux essayent de profiter de la crise qui agite le parti conservateur. En raison de son âge, Sanclemente a du mal à se faire respecter. Mais les libéraux ne parviennent pas à trouver des alliés et, surtout, s’avèrent incapables de faire face à l’armée nationale modernisée et équipée à l’européenne. La guerre est responsable d’énormes destructions, de l’effondrement du commerce, de campagnes saccagées, de la mort de plus de cent mille personnes (3 % de la population). Le conflit s’arrête par épuisement. En outre, les Etats-Unis réussissent à faire parapher un accord de paix entre les belligérants. Il est signé à bord du cuirassé Wisconsin. Les libéraux renoncent à la lutte armée et sont amnistiés. Janvier 1903 : Le gouvernement colombien signe le traité Herran-Hay qui prévoit la concession du canal de Panama et d’une bande de terre de 5 kilomètres de large en échange d’un dédommagement de 10 millions de dollars. Mais le Congrès colombien refuse de le ratifier. Irrités, les Américains décident d’apporter leur soutien aux autonomistes panaméens. 3 novembre 1903 : Coup de force des indépendantistes panaméens soutenus par les soldats américains. La république de Panama est proclamée. Par la suite, la Colombie sera indemnisée pour la perte du Panama, soit un total de 25 millions de dollars. 1904 : Rafael Reyes est élu à la présidence. Dans le domaine de l’économie, l’action du nouveau président vise à accélérer la modernisation des transports et à protéger une industrie naissante grâce à des tarifs douaniers élevés (augmentés de 70 % en 1907). 1905 : Reyes met fin aux travaux du Congrès et convoque une assemblée dont il désigne les membres. 1906 : Un attentat raté déclenche la répression contre les milieux libéraux. 1909 : Reyes signe avec les Etats-Unis un traité qui entérine la perte du Panama et autorise les bâtiments de l’US Navy à faire escale dans les ports colombiens en cas de guerre. L’accord est rejeté par l’assemblée, ce qui oblige Reyes à donner sa démission. 1910 : La coalition hétéroclite qui a déchu Reyes se rassemble au sein d’un nouveau parti, le Parti républicain, le parti qui porte à la présidence le conservateur Carlos Eugenio Restrepo. La durée du mandat présidentiel est ramenée à quatre ans et les mandats successifs sont prohibés. Désormais, le chef de l’Etat est élu au suffrage universel. Quelle que soit la nature du crime, la peine de mort est définitivement supprimée. 1914 : Election du conservateur José Vicente Concha qui forme un gouvernement purement conservateur. 1918 : Election du conservateur Marco Fidel Suarez. 1920 : La Colombie devient le deuxième producteur de café au monde. La United Fruit Company emploie 25 000 personnes. Néanmoins, la United Fruit demeure une compagnie étrangère détestée (elle dispose de ses propres lois qui priment sur le droit national). Elle ne s’intéresse pas au développement du pays. Les dividendes ne sont pas réinvestis sur place. La firme utilise un personnel qualifié américain et exploite la main-d’œuvre autochtone. L’élevage de viande ovine double et la Colombie exporte sa marchandise vers les Antilles et les Etats-Unis. 1921 : La compagnie américaine ouvre sa première raffinerie en Colombie. Une décennie plus tard, le pays exporte vingt millions de barils. 1922 : Election du conservateur Pedro Nel Ospina dans des circonstances douteuses. 1923 : Création de la banque centrale. La surintendance bancaire (institution chargée de contrôler le système financier) et le contrôle général (organisme chargé de contrôler les dépenses de l’Etat). 1924 : Naissance du Parti socialiste révolutionnaire d’obédience marxiste. 1925-1929 : Spéculation effrénée. Afflux massif de capitaux américains qui va de pair avec l’endettement. Cette période de croissance est appelée par la suite, la « Danse des millions ». 1926 : Election de Miguel Abadia Mendez sans candidat d’opposition. 1928 : Massacre des bananeraies, dans la ville de Ciénéga au nord de la Colombie, lorsqu’un régiment fait feu sur des grévistes de la United Fruit Company, faisant cent morts et deux cent cinquante blessés. 1929 : Après des échauffourées entre étudiants qui font un mort, le maire de Bogota doit démissionner. Le climat devient si tendu que le parti conservateur se scinde en deux. 1930 : Les libéraux présentent Enrique Olaya Herrera qui est élu président. Trois décennies de règne sans partage des conservateurs prennent fin. Trois épisodes scandent cette triple décennie : l’accession aux affaires des libéraux et l’application de leur programme avancé ; puis la montée fulgurante de Jorge Eliecer Gaitan. Il soutient les petits planteurs de café, encourage l’instruction publique, défend l’idée d’un organisme proposant des habitations accessibles à tous. A la fois nationalistes et révolutionnaires ses idées mêlent bolivarisme et quête d’un homme nouveau affranchi de la domination du capitalisme international. Comme il est mort fauché dans la fleur de l’âge à quelques mois d’un scrutin dont il était le favori, il est devenu un personnage mythique, même si ses idées n’ont jamais pu être confrontées à l’épreuve du pouvoir. Enfin, une nouvelle guerre civile éclate, sempiternelle répétition de la haine séculaire entre bleus et rouges. Jacques Aprile Griset remarque que l’idéologie est reléguée au second plan. « Depuis longtemps déjà un libéral n’est pour un conservateur qu’un sale cachiporro qui lui-même méprise l’affreux godo. On ne choisit d’ailleurs pas son étiquette car on naît dans une famille où un lointain ancêtre a déjà choisi une fois pour toutes, et pour tous ceux qui suivront. » Simultanément, l’insertion du pays dans le concert mondial se poursuit. Les différences entre les régions s’estompent et un authentique sentiment national émerge. 1931 : Effondrement du cours du café suite à la crise aux Etats-Unis. L’étalon-or est abandonné et le contrôle des changes instauré. Le peso est dévalué et l’inflation atteint jusqu’à 40 % par an. 1932-1933 : Guerre entre la Colombie et le Pérou. Le président péruvien s’avance en territoire colombien dans le but d’annexer le trapèze amazonien au sud du pays. La marine colombienne riposte tandis que l’aviation péruvienne lance plusieurs raids. Les Colombiens ont recours à plusieurs centaines de mercenaires allemands. Après l’assassinat du président péruvien, le conflit cesse et un traité de paix est signé qui confirme la frontière entre les deux pays. 1933 : Jorge Elicier Gaitan fonde l’UNIR, l’Union nationale révolutionnaire de gauche, qui s’inspire du PRI mexicain et des Chemises noires italiennes… Jeune boursier doctorant en droit, Gaitan a passé plusieurs années en Italie. L’exemple mussolinien l’a beaucoup impressionné. 1934 : Election du président Afonso Lopez Pumarejo. Issu d’un milieu bourgeois de producteurs de café, il lance en s’inspirant du New Deal de Roosevelt l’idée d’une « Révolution en marche ». 1935 : Le gouvernement réunit une commission d’enquête sur les conditions de vie des ouvriers de la Tropical Oil. 1936 : Double réforme agraire et constitutionnelle. L’Etat reconnaît aux colons la propriété de la terre qu’ils ont mis en culture. Toutes les corvées en nature et en travail sont supprimées. Le clergé perd son immunité fiscale. La nouvelle constitution garantit le droit de grève. 23 mars 1936 : Gaitan est nommé maire de Bogota. Il lance une ambitieuse politique d’éducation populaire qui vise à améliorer la santé et l’hygiène. 1937 : Le directeur de la United Fruit est emprisonné pour infraction à la législation sociale. 1938 : L’alphabétisation progresse de 11 % en 1900 à 41 % en 1938. 1940 : Avec la guerre, le marché du café connaît un nouvel effondrement. Les exportations diminuent de 20 %. 1941 : La Colombie déclare la guerre à l’Axe. Les entreprises allemandes sont nationalisées. 1942 : Réélection de Lopez Pumarejo. 1943 : Lopez Pumarejo laisse le pouvoir pendant plusieurs mois à un président intérimaire. 1945 : Instauration d’un code du travail. Il limite la durée du travail, institue des congés payés. 1946 : Election du conservateur Ospina Pérez à la présidence de la République. 1947 : Gaitan, après avoir réintégré les rangs du parti libéral, lance la campagne des élections présidentielles. Tribun de la plèbe hors pair, il joue de son aspect physique imposant, de sa mâchoire proéminente. En bras de chemise, il sue, tonne et éructe. Ses discours sont simples et vigoureux. Il réserve ses attaques « les plus féroces aux oligarchies et plus encore qu’à la ploutocratie, à ce pays politique coupé du peuple, qui profitait de son pouvoir pour exploiter la sueur du pays national » remarque Jean-Pierre Minaudier. Il conclut chacune de ses harangues par son cri de ralliement : « A la charge ! » 9 mars 1948 : En début d’après-midi, Gaitan est assassiné en plein centre de Bogota alors que vient de s’ouvrir la première conférence panaméricaine. Les mobiles du meurtre restent obscurs : mari jaloux, déséquilibré, tueur à gage engagé par les conservateurs. Car, en quelques minutes, il est lynché par la foule en fureur. Immédiatement, c’est l’anarchie. La masse déchaînée, écrit Jacques Aprile-Gniset « descend dans la rue et incendie joyeusement tramways, banques, ministères, églises et collèges, magasins de luxe, bref une bonne moitié du centre d’une capitale comptant alors 500 000 habitants. Dans vingt villes, l’émeute populaire éclate, brutale, mais le président, fort de l’appui américain, refuse de démissionner. Il arrive même à effrayer les dirigeants libéraux qui lâchent leurs troupes, convaincus qu’elles sont manœuvrées par les communistes. L’armée entre en scène et, deux jours plus tard, on enterre entre 3 000 et 5 000 victimes ». Cet épisode dramatique a joué un rôle essentiel dans la propagation de l’idée d’un peuple immature et barbare. Après les événements, on interdit symboliquement la vente de la chicha, la bière de maïs traditionnelle des Indiens et des métis. 30 avril 1948 : Fin de la Conférence panaméricaine et naissance de l’Organisation des Etats américains (OEA). Mai 1949 : Les ministres libéraux quittent le gouvernement. Novembre 1949 : Le président Ospina Pérez met un terme aux activités du Congrès où les libéraux demeurent majoritaires. Ces derniers décident de boycotter l’élection présidentielle remportée par le conservateur Laureano Gomez. Surnommé le « Monstre », il incarne le conservatisme radical. Admirateur de l’expérience de Salazar, il rêve d’instaurer un ordre nouveau à la fois autoritaire et corporatiste. Immédiatement, il désigne les libéraux à la vindicte : « En Colombie, on parle encore du Parti libéral pour désigner une masse amorphe, informe et contradictoire que l’on peut seulement comparer à une création imaginaire d’époques révolues : le basilic. Notre basilic se meut grâce à des pieds de confusion et de stupidité, sur des jambes de brutalité et de violence qui traînent son énorme ventre oligarchique ; avec une poitrine assoiffée de vengeance, des bras francs-maçons, et une petite, toute petite tête communiste ; mais c’est la tête. » 1951 : Dans les confins du pays, des insurgés proclament des républiques libérales. Juin 1951 : Fidèle alliée de Washington, la Colombie est le seul pays d’Amérique du Sud à envoyer un bataillon sous mandat des Nations unies, participer aux opérations en Corée. 1952 : Les insurgés tiennent une conférence nationale dans le Boyaca. 1953 : Nomination d’un « commandant en chef des guérillas » en la personne de Guadalupe Salcedo. Leur nombre s’élève à 10 000. Ils éditent deux manifestes, où ils exigent une réforme agraire drastique. Juin 1953 : Coup d’Etat de l’armée qui porte au pouvoir le général Rojas Pinilla. Il promulgue aussitôt une amnistie générale. Mais celui-ci se met à rêver d’un destin à la Peron. Il cherche à mettre sur pied une troisième voie politique à équidistance des libéraux et des conservateurs : le Mouvement d’action nationale soutenu par le double pilier peuple-armée. Pinailla souhaite se présenter aux présidentielles de 1958. 1954 : Des manifestations étudiantes sont réprimées. Juillet 1956 : Pacte de Benidorm. Les libéraux et les conservateurs réunis en Espagne donnent naissance au Front national. Ils unissent leur force contre Pinilla. Les deux partis s’engagent pendant seize ans à se partager le pouvoir à tous les niveaux, et à se partager les postes de l’administration publique. Aux quatre prochaines élections présidentielles, les deux partis présentent un même candidat. Le premier tour revient aux libéraux. Ainsi, écrit Jean-Pierre Minaudier, « les conservateurs et les libéraux, enfin conscients que ce qui les séparait était infiniment moins important que ce qui les rapprochait, ne formaient plus pour seize ans qu’un étrange parti unique du genre siamois, pourvu d’une seule tête, de deux visages distincts et de deux corps étroitement mêlés l’un à l’autre ». Mai 1957 : Une grève générale éclate, soutenue aussi bien par l’Eglise que par les syndicats. Pinailla est poussé à la démission. Décembre 1957 : Le pacte de Benidorm est soumis à un plébiscite. Mai 1958 : Le premier président libéral du Front national, Alberto Liera Camargo, est élu. A la différence d’autres pays d’Amérique du Sud, la Colombie a beaucoup moins souffert des soubresauts de l’économie planétaire. Elle n’a enduré ni chômage de masse, ni hyperflation, ni récession. L’endettement est très supportable. C’est l’unique pays d’Amérique latine qui n’a jamais eu besoin de négocier l’étalement de ses créances avec le FMI. En revanche, loin de trouver un point d’équilibre, le système politique s’est desséché, victime du partage du pouvoir entre bleus et rouges. Le système fait l’objet d’un rejet de plus en plus violent. A partir des années quatre-vingt, les guérillas contrôlent des pans entiers du pays. Les Forces armées colombiennes (FARC) rêvent encore de la société sans classes, bien que le marxisme soit entré en phase terminale. En réalité, dans les campagnes, les soldats perdus de la guérilla se sont mués en mercenaires de causes de moins en moins politiques. Le trafic de drogue, le racket et les enlèvements deviennent progressivement une fin en soi. Les homicides se comptent par dizaines de milliers ; c’est la première cause de décès. Ainsi, selon les statistiques, 10 % des assassinats au monde sont commis en Colombie alors que les Colombiens ne représentent que 0,5 % de la population de la planète… Les barons de la drogue ajoutent au chaos l’immoralité d’un argent-roi qui arrose toutes les strates de l’économie, quand ce n’est pas de la politique colombienne. L’argent sale se déverse à gros bouillons. Il finance les campagnes des candidats quelles que soient leurs couleurs. Il décide aussi des résultats. En 1994, une voix valait 50 000 pesos (un peu plus de 100 euros), soit quinze jours de salaire. Ainsi, écrit Jean-Pierre Minaudier, « toutes les valeurs ont été bouleversées par l’émergence brutale d’une nouvelle élite exclusivement formée de malfaiteurs fabuleusement riches ; en particulier le fameux cartel de Medellin formé de sous-prolétaires parvenus, vulgaires et m’as-tu-vu ». 1962 : Election à la présidence du conservateur Guillermo Léon Valencia. 1961 : De retour d’exil, Rojas Pinilla fonde l’Alliance nationale populaire. Mouvement social-national qui, sur le modèle du péronisme, entend rallier tous les opposants à l’alliance contre nature des bleus et des rouges. 1963 : L’Etat colombien opte pour la politique d’industrialisation par substitution des exportations. Le principe est simple : instaurer des barrières douanières drastiques, dans le but de servir de béquilles aux industries balbutiantes ; encourager les exportations au moyen de subventions et privilégier la production nationale dans les achats. 1964 : Création des Forces armées révolutionnaires de Colombie. D’obédience marxiste-léniniste, ce mouvement prend de l’ampleur sous la houlette du commandant Manuel Marulanda Vélez. Il est très proche de l’appareil du PC clandestin. 1966 : Election à la présidence du libéral Carlos Lieras Restrepo. Comme le résultat des élections ne fait aucun doute, la participation s’effondre à moins de 30 %. 1968 : Lieras Restrepo lève l’Etat de siège. 1967 : Adoption d’un système de dévaluation progressif du peso vis-à-vis du dollar. En quelques années, le PIB croît de 6 % par an en moyenne. 1970 : Election à la présidence du libéral Pastrana Borrero. Il l’emporte d’une courte tête face à Rojas. Vraisemblablement, les résultats ont été truqués, ce qui provoque la colère des partisans de Rojas dont certains optent désormais pour la lutte armée et fondent le M-19. Ce mouvement se fait remarquer par ses actions spectaculaires comme le vol de l’épée de Bolivar. 1971 : Une série de manifestions sur les campus universitaires sont réprimées dans le sang. La gauche étudiante se radicalise et commence à fournir des cadres à la lutte armée. 1974 : Election d’Alfonso Lopez Michelsen à la présidence. Le système de partage des pouvoirs entre libéraux et conservateurs prend fin. 1975 : Apparition du trafic de coca. A l’origine, il s’agit juste d’une activité de transformation. Les feuilles cultivées en Bolivie et au Pérou sont transformées dans des laboratoires clandestins en pleine jungle. Les raisons qui expliquent que la Colombie soit devenue le pays phare de la production de drogue sont triples. Tout d’abord, elle n’est distante que de trois heures en avion des Etats-Unis. Ensuite, le territoire national est constitué de très larges tâches blanches peu ou pas contrôlées. Enfin, l’Etat ferme les yeux sur la provenance des capitaux abondants qui irriguent l’ensemble de l’économie et sont à l’origine du dynamisme de l’économie, quels que soient les aléas de la conjoncture mondiale. Endurante, la coca ne demande que peu de soins. Le travail est faible en proportion des gains escomptés et des surfaces cultivées. 1978 : Election de Julio César Turbay Ayala à la présidence. 1979 : Signature d’un traité d’extradition entre les Etats-Unis et la Colombie. Il prévoit de livrer aux Etats-Unis les trafiquants de drogue. 1980 : La politique de substitution aux importations est à bout de souffle. Les barrières douanières élevées sont un frein à l’innovation. Elles protègent une production nationale dont la qualité n’est pas le souci premier. A part le café, les exportations s’écoulent difficilement. En outre, l’argent facile de la drogue ou du café alimente l’inflation au détriment du travail et de l’investissement. Février 1980 : Le M-19 organise l’enlèvement d’une douzaine d’ambassadeurs à l’occasion d’un cocktail à l’ambassade dominicaine, dont celui des Etats-Unis et du Vatican. 1981 : Interception, au large de la côte Pacifique, d’un bateau bourré d’armes en provenance de Cuba et à destination de la guérilla. Les relations entre La Havane et Bogota sont rompues. 1982 : Election du conservateur Belisario Betancur. Il décide une amnistie sans conditions aux guerilleros qui ne sont pas obligés de rendre leurs armes. 1984 : Les FARC et le M-19 acceptent le cessez-le-feu. 1985 : Les guérillas se coordonnent et décident de reprendre la lutte armée. 1986 : Election du libéral Virgilio Barco. Mars 1986 : Une coulée de boue dévalant les pentes d’un volcan en éruption submerge la ville d’Armero, faisant plus de 20 000 morts. Juin 1986 : Spectaculaire opération du M-19 contre le palais de Justice de Bogota. La prise d’assaut du bâtiment par l’armée provoque le massacre de plus de cent personnes, dont la moitié des juges suprêmes. 1988 : Le trafic de drogue prend des proportions dramatiques. La drogue provoque un afflux de devises, de dollars. Ce qui provoque un renchérissement du peso. L’industrie nationale est découragée, la spéculation explose. 1989 : Assassinat en pleine campagne présidentielle du candidat des libéraux, Luis Carlos Galan. L’état de guerre est déclaré. L'Etat fait saisir les propriétés des parrains du cartel de Medellin. 1990 : Election de César Gavirias. Epaulé par les Etats-Unis, il entreprend une vaste campagne anti-drogue. Lors de ces élections et pour la première fois, l’usage de l’isoloir est obligatoire. Pour la première fois également, les électeurs votent avec des bulletins imprimés par le gouvernement et non par les partis. La Constitution est réécrite. 1991 : Pablo Escobar, qui est traqué, accepte de se rendre. Il est incarcéré dans une prison trois étoiles qu’il a lui-même fait construire. Entouré de ses gardes du corps, il continue néanmoins à diriger son « entreprise ». Pour obtenir la capture d’Escobar, le président Gavirias est contraint de céder sur la question de l’extradition. Ce principe est même désormais inscrit dans la nouvelle constitution. 1992 : Pablo Escobar s’évade de manière spectaculaire de sa prison. Il est aussitôt pourchassé par toutes les polices et des mercenaires alléchés par la prime de plusieurs millions de dollars qui est offerte. 1993 : Pablo Escobar est abattu à l’issue d’une cavale rocambolesque à Medellin. 1994 : César Gaviria devient pour cinq ans le secrétaire général de l’Organisation des Etats américains. Avril 1994 : Election du libéral Ernesto Samper à la présidence. Il est aussitôt victime d’un scandale financier ayant trait au financement de sa campagne par le cartel de Cali. Bien que dédouané personnellement, ce scandale le discrédite totalement. Mai 1994 : La Cour constitutionnelle décide de dépénaliser l’usage de la drogue au nom du respect des libertés individuelles. 1996-1998 : Les FARC lancent une offensive militaire d’envergure qui étrille durement les unités antiguérilla de l’armée. 1997 : Essor des milices paysannes qui travaillent en coopération avec l’armée. Juin 1998 : Le conservateur Andrés Pastranas Arango est élu président. Aussitôt, il commence à négocier avec les FARC. Une zone démilitarisée est donnée aux FARC sur plusieurs dizaines de milliers de kilomètres carrés. Des prisonniers sont libérés. Mais l’autorité de l’Etat se délite tandis que l’économie entre en récession. 2000 : Les autorités colombiennes obtiennent des Etats-Unis le lancement du plan Colombie 2000. Washington injecte 1,6 milliard de dollars dans la lutte antidrogue et accepte de prendre en charge la formation de l’armée colombienne. En une décennie, grâce à une politique volontariste, la situation est rétablie. L’Etat a repris le contrôle de régions entières qui lui échappaient jusqu’alors. Repoussés aux confins des frontières du Venezuela et du Brésil, les combattants des FARC font dorénavant profil bas. La conjoncture économique s’est aussi améliorée. En définitive, le drame, écrit Jean-Pierre Minaudier, « c’est que les Colombiens manquent tout simplement du sens de la vie en société, de ce qu’il faut accepter de limites à l’individualisme pour que l’individu puisse s’épanouir : ils on toujours été seuls aux moments difficiles ; les autorités, toutes les autorités, leur ont toujours beaucoup pris et peu donné ». 2002 : Election d'Alvaro Uribe à la présidence. Il est plébiscité dès le premier tour, ce qui prouve que les Colombiens approuvent son discours de fermeté à l’égard des groupes armés et sa volonté de restaurer l’autorité de l’Etat sur l’ensemble du territoire, au nom d'une politique de « sécurité démocratique ». 2003-2004 : 30 000 soldats professionnels sont recrutés et un réseau de surveillance civique de plus d’un million de personnes est mis sur pied. Les champs de coca sont détruits grâce à l’épandage massif d’herbicide. Des centaines d’otages sont libérés et le nombre d’homicides chute spectaculairement. Les FARC sont malmenés et nombre de leurs soldats désertent. 2006 : Alvaro Uribe est réélu à la présidence dès le premier tour. 2008 : L’opération Jaque permet la libération d’otages des FARC dont Ingrid Betancourt. C’est une victoire de sa ligne puisqu' il réussit à libérer la célèbre Française tout en refusant de négocier avec l’organisation terroriste. 2009-2010 : Les relations entre le Venezuela et la Colombie se tendent. Des documents démontrent que le Venezuela a apporté un soutien financier aux FARC. Par ailleurs, alors qu’Uribe, qui n’a jamais caché sa proximité personnelle avec Georges Bush, campe sur des positions pro-américaines, Hugo Chavez se fait le chantre de la lutte contre l’impérialisme. Les deux pays rompent leurs relations diplomatiques. 2010 : Juan Mauel Santos est élu président après le rejet par la Cour constitutionnelle d’une loi autorisant Alvaro Uribe de briguer un troisième mandat. Son homme de confiance et ancien ministre de la Défense prend la succession. 2011 : Le Venezuela et la Colombie restaurent leurs relations diplomatiques. 2012 : Juan Manuel Santos se prononce pour l’ouverture d’un dialogue avec les FARC à condition que ceux-ci commencent à libérer les otages. Cette volte-face lui vaut les attaques de son ancien mentor Alvaro Uribe. Des négociations sont ouvertes à la Havane avec al guerilla 2013 : Uribe fonde le Centre démocratique. La rupture entre Uribe et Santos est consommée. 2014 : En dépit d’un premier tour favorable au candidat du Centre démocratique, Juan Manuel Santos est réélu avec 50,95% des voix à la présidence de la République. Sortie d’une crise politique qui l’a affectée pendant plusieurs décennies qui l’ont vue plongée dans une interminable guerre civile, la Colombie a entrepris d’en finir avec le fléau qu’a longtemps constitué le trafic de drogue, devenue, avant le café, son premier produit d’exportation. Même si de nombreuses fragilités demeurent, le pays profite d’un incontestable dynamisme économique (5,7% de croissance en 2011, 4,8% en 2014). Partenaire privilégié des États-Unis en Amérique latine, il apparaît en revanche un peu isolé politiquement face aux voisins « anti-impérialistes » que sont le Venezuela, la Bolivie et l’Équateur. Avec un taux de croissance de près de 5% par an – que l’on peut comparer à la récession (-3%) qui affecte le Venezuela – le pays dispose de solides atouts pour affronter l’avenir. La dépendance aux exportations de pétrole (60% des recettes d’exportation) constitue cependant une fragilité.
2015 : Les négociations engagées avec les FARC se révèlent plus difficiles que prévu et butent notamment sur le statut qui sera réservé aux guérilleros démobilisés. La désescalade n’en est pas moins engagée sur tout le territoire et l’année 2015 s’avère être la plus pacifique depuis 1990. Le 20 août, le président vénézuélien Nicolas Maduro, successeur de Chavez, a fait fermer la frontière entre les deux pays et a expulsé plus de 20 000 Colombiens alors que Juan Manuel Santos rappelait son ambassadeur à Caracas. Le commerce bilatéral chute de 46% sur les six premiers mois de l’année. En fait, le Venezuela n’est plus le partenaire commercial privilégié de la Colombie, qui se tourne désormais davantage vers les États-Unis et les pays du Pacifique. La baisse des prix du pétrole et des matières premières, tout comme la sécheresse provoquée par le phénomène climatique El Niño, compliquent une situation marquée par la hausse des produits alimentaires et l’augmentation du chômage.
26 septembre 2016 : Après 52 ans de conflit armé et quatre ans de négociations difficiles, les Forces Armées Révolutionnaires de Colombie (FARC) ont accepté de déposer les armes et de se transformer à terme en parti politique. Le président Juan Manuel Santos et le chef des rebelles, Rodrigo Londoño, ont en effet signé à Carthagène un accord de paix, à la satisfaction de la communauté internationale. Un accord qui vaudra, dix jours plus tard, au chef de l’État colombien de recevoir le prix Nobel de la Paix. la surprise vient du référendum qui suit et qui voit le corps électoral colombien repousser l’accord à une très faible majorité (0,4%). Une renégociation s’en est suivie et, le 30 novembre, un nouvel accord a été ratifié par le Congrès, malgré l’opposition de la droite conservatrice menée par l’ex-président Alvaro Uribe. 6 000 guérilleros doivent être démobilisés et des négociations vont pouvoir commencer avec l’ELN, l’autre guérilla (Ejercito de Liberacion Nacional). L’accord va bien au delà de ses clauses militaires et sécuritaires puisqu’il prévoit une ambitieuse politique de développement rural et la mise en place d’un système de justice transitionnelle visant à la réconciliation des différentes parties. Les FARC s’engagent à cesser toute activité liée au trafic de drogue et leurs membres pourront se présenter aux élections. Le retour de la paix civile intervient dans un contexte économique qui s’est sensiblement assombri, même si la Colombie a mieux encaissé que ses voisins la baisse des prix du pétrole. La croissance atteint encore, certes, 2,2%, en baisse par rapport aux années précédentes, mais le chômage demeure à 10% et l’inflation à 7%. Le gouvernement et l’opinion tablent cependant sur les effets de la paix retrouvée pour attendre des investissements étrangers et l’augmentation de la consommation intérieure, même si l’élection, en novembre 2016, de Donald Trump laisse planer des incertitudes quant au versement de l’aide antérieurement promise par les États-Unis. |